La guerre anti-coloniale de 1916 : 100 ans après, un moment d’Histoire nationale à commémorer et à enseigner

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Ceci est une contribution  à l’histoire du Burkina.

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L’année 2016 marquera le centenaire de la révolte Bwa de 1916.  En effet, cette révolte qui a failli mettre en péril la domination coloniale dans notre pays, mobilisa plus de 500000 personnes  insurgées et resta l’une des plus meurtrières guerres coloniales de l’Afrique de l’Ouest. Elle demeura aussi sans conteste un sursaut d’un peuple dans la lutte contre l’oppression coloniale, pour la liberté et l’indépendance.

Quelles sont les causes ou les éléments déclencheurs de cette révolte ? Quels ont été l’étendue et le déroulement de cette lutte pour la liberté et la dignité ? Quels sont les enseignements que nous pouvons en tirer pour non seulement nous réconcilier avec notre Histoire mais surtout pour la construction de la mémoire nationale commune.

1-Origines et cause de cette résistance

La révolte des Bwa de 1916 a  des causes diverses. Il y a en premier lieu l’existence d’un ras-le-bol généralisé des populations Bwa contre les exactions régulières de l’administration coloniale surtout sur le recrutement militaire forcé (l’impôt du sang) de bras valides pour la première guerre mondiale et les traitements humiliants et dégradants lors des travaux forcés.

En outre, il y a l’accumulation des injustices, des brimades  et tortures diverses que le colon avait érigées en politique publique : « prisonniers étranglés, rafles de jeunes filles sur les marchés, viols accompagnés de pendaisons, bébés tués sur le dos de leurs mères»1

Par ailleurs, il convient d’ajouter les injustices et frustrations multiples et diverses de ceux dont les intérêts avaient été lésés ou dont l’autorité et le prestige d’antan avaient été anéantis par le pouvoir colonial. Ces derniers voulaient profiter de l’affaiblissement des colons inhérent au départ des garnissons militaires pour combattre sur le front de la première guerre mondiale pour exiger le départ définitif de la France.

Ainsi un des vieux qui appelait à la guerre s’interrogeait ainsi «les Blancs sont venus chez nous; nous les avons acceptés croyant qu’ils se comporteraient comme les Peuls c’est-à-dire sans se mêler de nos affaires .Tout leur appartient désormais dans ce pays: nos biens, nos femmes, nos enfants, et nous-mêmes. Qu’est-ce qui nous reste encore? Ils ridiculisent et même interdisent nos coutumes et les choses sacrées héritées de nos aïeux, les cicatrices, pour que nous ne reconnaissions plus nos enfants ».

A toutes ces raisons ci-dessus invoquées, comme dans toutes les révoltes ou luttes populaires, il y a un événement déclencheur.  En effet, à la fin de l’année 1915, le peuple des  Bwa est réquisitionné pour construire la route la San-Koudougou passant par Tominian, Bénéna, Nouna, Dédougou. C’est durant ces travaux, à Bouna, qu’un garde força une femme enceinte et à terme à poursuivre ses  tâches  sur le chantier. Cette dernière perdit son enfant.  Écœurés par cette bavure et traitement inhumain et excessif, les hommes du chantier se ruèrent sur le garde et le tua.

2-Étendue, déroulement et faits d’armes

Cette révolte sur le chantier à Bouna marque le début d’une grande lutte contre la répression coloniale et pour la liberté et le respect de la dignité humaine. Les représentants de plusieurs familles et villages lancèrent un appel à la résistance contre l’oppresseur. C’est le début de l’une des plus meurtrières guerres coloniales de l’Afrique. En effet, cet appel à la résistance aura un vrai retentissement dans les diverses couches populaires. Plus de 112 villages se soulevèrent. Si les Bwa ont payé un lourd tribu, cette révolte est  « supra-tribale »  et va ratisser large.

Elle va s’étendre et susciter des métastases sur tout l’Ouest, et le Centre-Ouest du Burkina et une partie du Mali. Plus de 550 000 insurgés composés de Bwaba, Dafing, San, Bobo, Toussian ,Marka, Samo, Fulbe (Peul), Tusia, Sambla, Lela, Nuna, Winye (Ko) ,  Minianka , Dogon, Dioula , Gourounsi et  Mossi du Centre-Ouest unirent leurs forces et leurs volontés pour défendre la liberté et bouter hors de la Haute-Volta la France néocoloniale.

Armés de flèches, des frondes, d’arcs, de fusils artisanaux,  ils mettent en déroute les premières expéditions punitives. Ainsi la colonne, conduite par le commandant Simonin, constituée de 600 militaires armés de fusils et de canons fut défaite par les insurgés le 3 décembre 1915 devant  Yankasso. Les troupes  coloniales  conduites par Modeste (600 hommes) et Mollard (1500 hommes) subirent de cuisantes défaites avec des nombreuses pertes en vies humaines.

Face à cette déroute le Gouverneur s’écrira « Jamais  nous ne pûmes cerner un village et en ramasser tous les défenseurs. Les indigènes ont fait preuves de beaucoup de bravoure et de mordant…derrière leurs murs en terre, ils nous tuèrent beaucoup de mondes sans grande pertes  ». En Février 1916, le gouvernement de l’Afrique Occidentale Française envoya  une nouvelle colonne militaire d’une puissance de feu considérable. Cette colonne après avoir épuisé ses dotations en munitions dans l’attaque des villages fortifiés est contrainte de replier sur Dédougou.

La population insurgée célébra avec vaste ce repli des troupes coloniales comme une victoire d’étape importante qui constituait de réels motifs de satisfaction et de mobilisation dans cette résistance. L’ « aspiration à la liberté » (Hannah Arendt) et à une autre vie digne pour eux et leurs progénitures cimentait les idéaux, les convictions et les engagements de ces insurgés qui combattaient avec audace pour une vie meilleure tout en préférant la mort à la servitude coloniale.

Ce trait ressort nettement dans le rapport de l’administrateur en chef VIDAL au Gouverneur générale de l’Afrique occidentale française. Dans ledit rapport, On peut lire ceci : « Pour comprendre l’exacte signification de cet acharnement, il est nécessaire de dire le fanatisme violent, le mépris de la mort, l’audace et le courage tranquille dont ont fait preuve les rebelles au cours des combats les plus meurtriers.

Il faut aussi dire l’étroitesse cohésion, la discipline merveilleuse, l’esprit de solidarité et de sacrifice qui les animaient et les portaient aux actes d’héroïsme les plus troublants. Des hommes en grand nombre, des vieillards, des enfants en groupe ou isolement, préféraient se faire tuer ou se laisser enfumer et griller dans des cases incendiées, plutôt que de se rendre, malgré la promesse d’une vie sauve qui leur était faite, ne voulant même pas profiter des facilités d’évasion que leur offraient les ténèbres de la nuit ou le retrait momentané de nos tirailleurs pour échapper à une mort certaine qui les attendait.

J’ai vu des femmes, des enfants s’enterrant vivants dans les caveaux de familles, parmi les ossements, un vieillard se pendant au-dessus du corps de son fils pour ne pas tomber vivant dans nos mains. ». En somme, pour ces combattants contre l’ordre colonial, le mot d’ordre était « Plutôt Humu-la-Mort que Wobamu-l’Esclavage »1 (Nazi Boni)

  1. Bilan et enseignements

Des  hommes et femmes ont pu faire un dépassement des  divisions ethniques mortifères et ont tenu en échec durant presqu’un an, avec seulement des flèches et des frondes, la machine de guerre de la France coloniale.

Après les premières défaites des troupes coloniales, et face à la stratégie déployée par les résistants, le lieutenant-gouverneur du HSN, demanda « des moyens modernes de destruction … et surtout un aéroplane, qui tout en impressionnant très fort les rebelles, causeraient des dégâts tels qu’ils abandonneraient leurs villages sans attendre l’assaut ». Ce n’est qu’au mois de juillet 1916 que la France coloniale viendra à bout des différents foyers de résistance populaire.

Le bilan humain et matériel de cette guerre anti-coloniale, qui a fait naître des solidarités et des espoirs, est lourd : plus de 20000 personnes tuées selon le Professeur Bakary KAMIAN, destruction et incendie systématiques des villages, dévastation et mise à feu des stocks alimentaires et des récoltes, des séances publiques de mutilations, traitements cruels, inhumains et dégradants sur les femmes et les enfants. Ce mouvement insurrectionnel va aussi déstructurer surtout la société Bwa dans son Avoir, son Être et son rapport au culte multiséculaire du DO ou des ancêtres.

En outre, le récit partial et parcellaire du colon sur ce moment déterminant de notre Histoire commune demeure teinté par cette supériorité factice qu’ont les chiens vivants sur les lions morts. Il est donc une  urgence à repenser cet événement comme un acte fondateur dans la lutte de libération nationale contre l’ordre colonial mais aussi comme un apport fondamental dans la construction de l’État-nation.

Cet événement de par sa portée, son étendue et les valeurs défendues mérite d’être commémorer annuellement et enseigner dans les écoles de notre pays afin que notre génération et celles à venir sachent le prix du sang versé pour cette nation civique que nous aimons tant. Pour cela,  il faut réinterpréter les symboles inclusifs et réécrire le grand récit des origines pour donner pleinement du sens aux valeurs fondatrices de notre Nation en construction.

Vincent Takoun Guiebré


Références

  1. BONI Nazi, Crépuscule des temps anciens, Paris, Présence africaine,

  2. KAMIAN Bakari, Des tranchées de Verdun à l’église Saint-Bernard: 80000 combattants maliens au secours de la France, 1914-18 et 1939-1945, Karthala, 2001

  3. Marc Michel , Les Africains et la Grande Guerre. L’appel à l’Afrique (1914-1918)

 

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