Burkina : Gloire et douleur de salles de ciné

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Le FESPACO (Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou) fête ses 50 ans.  L’édition anniversaire a lieu du 23 février au 2 mars 2019 à Ouagadougou. Cependant, après cinq décennies, la capitale du cinéma africain manque de salles de ciné.

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Neuf (9) salles sont retenues pour la projection des 160 films de la 26e édition du FESPACO : deux à l’Institut français, les deux  Canal Olympia, le Ciné Burkina,  le Ciné Neerwaya,  la salle Koamba Lankoandé du CENASA, le Théâtre Jean-Pierre Guingané et la salle de conférence du CBC.  Les trois derniers cités ne sont pas des lieux habituels de projection de films. Ils devront donc subir quelques coups de pinceaux pour permettre de bonnes conditions de visualisation aux festivaliers.

« Qui tient la distribution, tient l’activité cinématographique », disait Tahar Chériaa, fondateur des Journées cinématographiques de Carthage, cité par Collin Dupré dans son œuvre « Le Fespaco, une affaire d’Etat(s), parue chez L’Harmattan en 2013.

Le Burkina Faso, pays où converge le cinéma africain, ne semble pas intégrer cette dynamique de nos jours. Bien qu’ayant été le premier pays dans la sous-région à nationaliser les salles détenues par les entreprises françaises, à mettre un système de distribution en place,  les ambitions du pays sont revues à la baisse ou n’existent plus.

Des structures cinématographiques en construction Haute-Volta

Pour l’histoire, c’est en 1970 que le président de l’époque Sangoulé Lamizana décidait de nationaliser les salles de cinéma, gérées par des sociétés françaises, la CAMACICO (Compagnie Africaine de Cinématographique Industrielle et Commerciale) et la SECMA (Société d’Exploitation Cinématographique Africaine).

Selon Collin Dupré,  au vu du succès croissant que connaissaient les salles de cinéma, l’intendant militaire Marc Tiémogo Garango, ministre des finances et du commerce, en décembre 1969, ajoute une taxe sur les places du cinéma au profit des communes, augmentant le prix des billets de près de 25 %. Cette décision n’est pas du goût des détenteurs des salles de cinéma  (COMACICI et SECMA) qui demandent la même augmentation en leur faveur. Attendant en vain un dialogue, ces dernières adressent un télégramme le 29 décembre 1969 et lancent un ultimatum au gouvernement. Si les sociétés n’obtiennent pas satisfaction avant le 1er janvier 1970, elles fermeront les salles.

Le 2 janvier, la menace est mise à exécution. L’intendant envoie une lettre urgente aux directeurs des sociétés qui fait mention du point de vue du gouvernement sur l’affaire. Une rencontre exceptionnelle a été tenue, considérant cet ultimatum comme un défi à la souveraineté et à l’indépendance du pays. Le chef de l’Etat communique l’ordonnance le 5 janvier 1970 déclarant que les deux sociétés monopolistes ont cessé leurs activités.

Le gouvernement décide alors de nationaliser les salles. C’est ainsi qu’à Ouagadougou, le ciné Nader et le ciné Olympia deviennent les cinés Oubri et Rialé.

La nationalisation a fait naître la SONAVOCI (Société Nationale Voltaïque de Cinéma, devenue SONACIB sous la révolution)  pour prendre en charge la gestion et la distribution de films en lieu et place des sociétés françaises. 

 « La SONAVOCI est la première structure chargée de la cinématographie et constitue en quelque sorte la pierre de ce chantier en pleine construction, consistant à doter le pays d’une industrie cinématographique efficace et de circuit d’échanges, de diffusion et de distribution », mentionne Collin Dupré dans son livre.

Après la SONAVOCI, suivit la création du fonds de promotion et d’extension d’activités cinématographiques. Il était alimenté par 15%  des recettes des entrées en salles que la SONAVOCI reversait au trésor et 80% par l’Etat.

C’est dans cette même dynamique qu’a été  construite la première salle moderne burkinabè, le ciné Burkina en 1975 dans le souci que le Fespaco puisse se dérouler dans un cadre professionnel.

C’est ce fonds qui a  aussi permis la production des premiers longs métrages burkinabè. Les premiers films burkinabè voient le jour, dès 1972 avec « Le sang des Parias » de Mamadou Djim Kola, « Le chemin de la réconciliation » de René Bernard Yonli en 1976.

Il faut le souligner, bien que la fête du cinéma se tenait à Ouagadougou, les Burkinabè  ne produisaient pas de film et le président en avait fait une préoccupation dès les premières heures du festival. Alimata Salembéré, l’une des pionniers de la semaine du cinéma africain en 1969 (Fespaco aujourd’hui),  a laissé entendre au cours d’un de ses témoignages, qu’à la fin de la deuxième édition de la semaine du cinéma, le président Lamizana Sangoulé leur avait signifié que s’il n’y avait pas de film burkinabè à l’édition prochaine, il ne viendrait pas les soutenir. Ce qui a incité les Burkinabè à la production.

Le vent en poupe

Concernant les infrastructures, les salles passent de 6 en 1970 à 12 en 1981. La SONAVOCI inscrit dans son programme les cinq autres années à venir la construction de dix salles, dont deux à Ouaga (portant à 6 salles dans la capitale), deux à Bobo et 6 salles dans 6 régions.

La Haute-Volta devient l’un des rares Etats d’Afrique à s’engager dans de tels chantiers. En 1974,  CIDC (Consortium International de distribution de cinéma) et CIPROFILMS (Consortium de Production de films), qui regroupait 14 pays, pour mutualiser les moyens de production et faciliter l’achat et la distribution des films africains, implantent leur siège en Haute-Volta et le pays devient un « carrefour  pour les cinémas africains« .

En 1976, la création de l’INAFEC (Institut africain d’éducation cinématographique), première école africaine de cinéma pour la formation de nombreux cinéastes et techniciens, vient confirmer le « leadership du pays dans le domaine du cinéma« .

Une année plus tard suivit la création  de la direction de la promotion cinématographique dont le premier directeur était Gaston Kaboré,  un centre équipé par l’Etat par ce même fonds en matériels cinématographiques pour soutenir la production des films burkinabè et  des cinéastes de la sous-région.

« A partir du moment où une direction avait été créée, cela permettait une politique sectorielle beaucoup plus dynamique.  De là, on a pu recruter beaucoup plus de monde(…)  former les gens,  acheter du matériel. Grâce à ce matériel, beaucoup de choses ont été faites. On a mis en avant une régie d’avance qui est un système du ministère des finances qui permet qu’on puisse avoir une souplesse d’engagement de l’argent de l’Etat. On dépense et on justifie après », explique Gaston Kaboré.

Cette régie d’avance a été un vrai moteur de production de films financé à 100% par le Burkina. On peut citer, entre autres, « Poko » de Idrissa Ouédraogo, court métrage prix Fespaco 1979, puis «Wend Kuni » de Gaston Kaboré en 1981-82, « Jour de tourmente » de Paul Zoumbara en 1982. 

« La création de ce fonds a été, selon le cinéaste, l’intelligence de la Haute-Volta à l’époque et la fin des années 70, début des années 80 car il a pu vraiment impulser un grand dynamisme sur le cinéma ».

Les salles de cinéma, un boom sous l’ère Sankara

En 1983- 84, le président Thomas Sankara a décidé de faire de la culture de façon générale et du cinéma, en particulier,  une locomotive de conscientisation, d’éducation et de développement du pays.  C’’est à cette époque qu’a été a créée la Semaine nationale de la culture. Le président a décidé de renforcer le FESPACO en faisant venir la diaspora après sa visite de Harlem aux Etats-Unis.

Il a aussi été instauré la création  de salles de cinéma dans toutes les provinces du Burkina, appelées à l’époque les salles de la révolution, dont 5 salles  construites à Ouagadougou, avec le projet de construire une salle moderne à Bobo (Ciné Sagnon). Mais ce projet de ciné a été inauguré bien après lui. Le Burkina Faso passe ainsi de 7 à 50 salles de cinéma.

La SONAVOCI, chargée de la distribution des films dans toutes les salles, a fonctionné jusqu’au moment où son activité est devenue de plus en plus difficile. 

« Cest cette crise au niveau du CIDC,  selon toujours les dires de Gaston Kaboré,  qui ne pouvait plus avoir de crédibilité pour avoir les films parce que les pays membres ne faisaient pas remonter les recettes au consortium. Ce qui a entraîné aussi la désorganisation et les difficultés au niveau de la SONACIB. Le fonds de promotion du cinéma n’était plus alimenté et cela faisait qu’on ne pouvait plus distribuer».

La disparition de la SONACIB intervient avec l’entrée du Burkina Faso dans le PAS (Programme d’ajustement structurel) du FMI dans les années 2000 où l’Etat devait se désengager des secteurs de commerces et de service. C’est  en ce moment qu’il y a eu la vague de privatisation des institutions à capitaux majoritairement détenus par l’Etat. L’Etat a cédé ses parts, à commencer par les services du secteur de la culture au profit des secteurs sociaux.

De plus en plus difficile

 «Il faut reconnaître, a fait remarquer le délégué général du FESPACO, Ardiouma Soma, que le secteur privé burkinabè n’était pas préparé à l’industrie de cinéma. Du coup il n’y avait pas de repreneurs pour le secteur  du cinéma. La SONACIB a été mise sous administration provisoire avant sa liquidation pure et simple ».

Autre fait qui expliquerait la disparition de la SONACIB, toujours selon le délégué, se trouverait dans l’arrivée du Home cinéma qui a développé les vidéos clubs dans les quartiers mais aussi le rasage des quartiers en périphérie des grandes salles de la ville sous la révolution. « Les potentiels clients se sont retrouvés éloignés des salles dans les périphéries. Les recettes ont donc baissé alors que les salles dans les provinces ne rapportaient pas assez à la SONAVOCI».

 Conséquence, les salles ont fermé les unes après les autres, à commencer par les salles provinciales. Le  ciné Oubri  a été transformé en partie en boutiques. La salle de projection reste un espace délabré. Quant au Ciné Rialé, aucune trace de lui. Un immeuble abritant des commerces trône  en lieu et place.

 De nos jours, il n’y a plus que la salle privée Neerwaya et le ciné Burkina qui, pour ne pas être perdu, a été sauvé par la CNSS (Caisse Nationale de Solidarité Sociale) avec néanmoins quelques difficultés. Gaston Kaboré explique que «la CNSS n’a pas un département pour penser culture et ce qu’une salle de cinéma représente réellement ». A noter aussi que CNSS est propriétaire du ciné Sagnon de Bobo-Dioulasso.

De même, seulement deux salles sur les cinq construites sous la révolution dans la capitale, fonctionnent et là encore, avec toutes les difficultés. Il s’agit du cinéma du quartier Tampouy du secteur 21 et du Cinéma de Wemtenga au secteur 23 (ex secteur 29). Ils ont été aussi sauvés par l’association « Emergence » des anciens travailleurs de la SONACIB qui les loue à la commune.

Karim Kinda, premier technicien de la salle depuis 1987 et toujours sur les lieux, regrette que le Fespaco ne vienne plus dans ces salles de quartiers. Les salles fonctionnent au gré des spectacles et quelques rares projections.  « Deux à trois projections par mois par manque de films » ne leur permettent pas d’honorer les frais de location et la mairie menace de fermer. «On peut projeter un même film sur trois  semaines. Ce qui amène les cinéphiles à ne plus venir alors qu’on n’a plus de circuit pour se ravitailler. La production nationale elle aussi est insuffisante. Les gens veulent voir de la nouveauté. C’est parce que la mairie se dit que si on ferme, ces lieux vont servir de cachettes aux bandits et aux drogués, qu’ils nous laissent continuer», confie-t-il.

De l’espoir, malgré tout

Devant un tel décor, il est encore possible de renverser la donne et Gaston Kaboré y croit fort. « Si le Burkina veut continuer à avoir de la confiance et de la crédibilité, il y a un seuil de qualité qu’il faut atteindre.  Je pense que c’est un défi qui est lancé au  Burkina, c’est à notre portée. On peut faire des deux autres salles, des joyaux pour le cinéma», confesse-t-il. Pour lui, il faut  une volonté politique forte.

 «On sait très bien que nulle part  au monde, les salles n’ont pu survivre sans l’aide de l’Etat.  Par exemple en France, les salles sont privées  mais soutenues énormément par l’Etat français par le biais du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée, NDLR). Sans quoi, le réseau de salles en France ne serait pas ce  qu’il est aujourd’hui et par contrecoup, la production française ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. Une des  cinématographies qui arrive à exister aux côtés  de la machine hollywoodienne. C’est ce que nous on avait réussi à mettre en place».

 «C’est le cinéma  qui a mis le Burkina sur la carte du monde, il ne faut pas négliger cela», conclut-il.

En attendant, «la nature a horreur du vide », comme le dit l’adage.  Le groupe « Vivendi » l’aura compris. En l’espace de deux ans, il a inauguré  deux salles Canal Olympia dans la capitale, dont la dernière  à quelques jours du Fespaco, soit le 21 février 2019. Une salle sur laquelle le FESPACO compte pour célébrer son cinquantenaire.

Revelyn SOME

Burkina24

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