Entrevues de la diaspora: Nouhoun Diallo, Ph.D. porte une analyse critique des actions de la Banque mondiale et du FMI au Burkina.

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Nouhoun Diallo, Ph.D.

Dans le cadre des grandes entrevues de la diaspora Burkinabè, Burkina 24 reçoit un  ancien fonctionnaire Burkinabè vivant maintenant au Québec (Canada). Monsieur Nouhoun Diallo  a récemment soutenu une thèse de doctorat en sciences politiques qui porte sur la valorisation des évaluations des programmes dans les Pays en développement.

Dans cette entrevue, M. Diallo porte un regard critique sur la gouvernance économique et politique, la crise socio-politique, et le rôle de la Banque mondiale et du FMI au Burkina.

Burkina24: Qui est Nouhoun Diallo pour les lecteurs de Burkina24 ?

Nouhoun Diallo : Avant de me présenter, je voudrais d’abord dire merci à Burkina24 d’avoir pensé à ma modeste personne pour cette entrevue. Mon nom est Nouhoun Diallo et je demeure actuellement au Québec. Actuellement, j’ai des  travaux de recherche à des fins de publication en attendant la session d’automne où je pense dispenser des cours dans le domaine de l’évaluation des politiques publiques et le management public.

Burkina24: Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours académic et professionnel?

Nouhoun Diallo : Je suis un étudiant des grandes écoles publiques du Burkina, du Maroc et du Canada . J’ai débuté mon cycle supérieur à l’Ecole nationale des Régies financières au Burkina Faso. Après le diplôme de contrôleur des services financiers, je suis allé au Maroc où j’ai fait un Diplôme d’études supérieures en management. De retour au pays en 2002, j’ai fait un DESS en comptabilité, audit et contrôle de gestion. En 2004, je me suis inscrit pour la maîtrise en administration publique à l’École nationale d’Administration publique au Québec. Maître des sciences en Administration publique option évaluation des programmes depuis 2006, j’ai entrepris des études doctorales à l’université de Laval en sciences politiques. Le 15 juin, j’ai soutenu ma thèse de Doctorat qui porte sur la valorisation des évaluations de la Banque mondiale dans les Pays en développement.

Sur le plan professionnel, j’ai été pendant longtemps contrôleur financier d’établissements publics (le Centre national de Recherche scientifique et l’Agence nationale de la Promotion de l’Emploi) et du ministère des Affaires étrangères. J’ai également exercé le métier d’auditeur au Maroc et de chargé de cours au Canada. J’ai aussi fait quelques consultations dans mon domaine.

Burkina24: Vous êtes un modèle pour tous ceux et toutes celles qui travaillent et qui aimeraient faire de l’éducation continue. Qu’est ce qui vous a donné le courage de retourner aux études à deux reprises (au Maroc et au Canada) ?

Nouhoun Diallo : Je ne sais si je suis un parfait exemple. Mais ce qu’il faut savoir c’est que plusieurs éléments peuvent encourager quelqu’un à aller aux études. La première raison devrait être le souci d’apporter à son pays. Ce facteur a été déterminant dans mon cas. La deuxième raison qui m’a poussé aux études est le souci d’actualisation de mes connaissances. De nos jours, la connaissance évolue vite. Une mise à niveau est toujours nécessaire. En tant que fonctionnaire de niveau intermédiaire, je pense que le cheminement normal est la formation. La troisième raison est  la curiosité intellectuelle. Dans les écoles nationales, le souci est de former des agents d’exécution et d’application. Le cycle A qui est sensé former des agents de conception manque fortement de base théorique nécessaire pour la recherche dans l’administration publique. Mes inscriptions à l’université de Québec (École nationale d’Administration publique) et à l’Université de Laval répondent à ce souci de se familiariser avec les théories et les méthodes de recherches nécessaires dans les études comparatives et la mise en œuvre des réformes dans l’administration publique.

Burkina24: Quels conseils avez-vous à donner à ceux qui pensent retourner aux études après plusieurs années d’expérience de travail ?

Nouhoun Diallo : En ce qui me concerne je ne peux que les encourager. Toute personne qui veut aller en étude doit savoir que c’est un investissement à long terme. Il ne faudrait pas s’attendre à un retour sur investissement très tôt surtout dans l’administration publique. Aujourd’hui la reconnaissance du diplôme sur le plan financier et de la carrière est soumise à une rigueur législative qui décourage. Cet état des faits est très désolant pour notre administration parce qu’elle lui fait perdre en expertise nationale et en compétitivité internationale sur les postes ouverts dans les institutions internationales. En se basant sur ma propre expérience, c’est de faire fi aux difficultés qui se présentent à nous et de s’y  lancer. Il y a toujours un salaire au bout de l’effort. Nous constatons par exemple des avancées notables dans le domaine de recrutement des directeurs généraux des établissements qui sont désormais soumis à des tests. Il faut noter aussi que certains ministres à la recherche de la qualité dans leur département ont décidé de prendre en compte la compétence des agents au lieu de l’ancienneté qui était auparavant le critère de base.

Burkina24: Vous venez de soutenir votre thèse de Ph.D en science politique à l’Université Laval. Parlez-nous un peu de votre sujet de recherche et l’importance de la problématique de votre recherche pour le Burkina ?

Nouhoun Diallo : La thèse porte sur la valorisation des évaluations des programmes dans les Pays en développement. Nous avons constaté que les projets et les programmes de développement sont soumis à des évaluations chaque année. Malgré les montants engagés et le nombre d’évaluations, l’impact des évaluations sur l’efficacité de l’aide n’est pas perceptible. Notre recherche a porté sur les types d’évaluations qui sont faites par la Banque mondiale au Burkina Faso, le niveau de participation et d’utilisation de ces évaluations par les acteurs locaux.

Burkina24: Quelles sont les conclusions de votre thèse et quelles peuvent être les recommandations pour une amélioration des prestations de la Banque mondiale au Burkina ?

Nouhoun Diallo : Les conclusions sont que les évaluations faites par la Banque mondiale servent principalement à la gestion et que la participation des acteurs n’est pas assez effective. La Banque mondiale garde le pouvoir de contrôle des décisions techniques ramenant les acteurs locaux à de simples participants qui fournissent des données. L’utilisation de ces évaluations est presque imposée et se fait seulement au cours des projets. L’administration dans ce cas reste sans mémoire. Ces constats ont pour conséquence que les évaluations faites n’ont pas d’impact sur l’apprentissage des acteurs et l’efficacité de l’aide.

À la fin de la recherche nous avons recommandé une institutionnalisation de l’évaluation à l’intérieur des Directions des études et de la planification afin de servir de mémoire pour l’administration. Dans ce cas les évaluations pourront être utilisées comme intrants dans le montage des projets et l’élaboration du budget national. Elle pourra également servir aux décideurs publics dans l’élaboration des politiques publiques.

Burkina24: Dans de nombreux pays à travers le monde, tout récemment en Grèce, les recommandations de la Banque mondiale et du FMI sont décriées par la population. Quelles leçons le Burkina peut-il tirer de cela ? Concrètement quand faut-il dire non aux recommandations des institutions de Bretton Woods ?

Nouhoun Diallo : La première chose qu’il faut savoir c’est que la Banque mondiale et, à moindre mesure, le FMI, sont des institutions bancaires. Comme on le dit souvent «l’oiseau vole des fois mais la banque vole toujours», ces institutions cherchent leur profit. Leur objectif est de défendre leurs intérêts  pour ne pas dire ceux des grands contributeurs comme les membres du G8. En allant vers ces institutions, c’est comme si nous allons dans une banque commerciale pour faire un prêt. Dans ce cas il faut savoir que ton investissement va dégager du cash flow nécessaire pour le remboursement et dégager des profits. Dans le cas des PVD, ces calculs sont très rares parce qu’il revient à la génération future de payer. Les enfants naissent avec des dettes énormes sans qu’ils ne l’aient contractées et profité car les infrastructures se détériorent souvent avant la fin des remboursements sinon même le début.

Les prêts de la Banque mondiale doivent s’inscrire dans un programme national à long terme et non avoir un aspect conjoncturel. Le Burkina Faso à ce niveau, a fait un grand pas. La mise en place du secrétariat permanent des programmes et politiques financiers a permis de coordonner l’aide, d’éviter le double emploi avec le budget de l’État, d’harmoniser la gestion dans le cadre de la Déclaration de Paris et de s’inscrire dans le long terme sous forme de politiques financières et non de projets.

Si, sur le plan financier, nous pouvons féliciter une telle organisation, il reste beaucoup à faire sur l’élaboration des politiques publiques. En effet les programmes et politiques financiers doivent répondre à des problèmes publics. Le processus d’élaboration des politiques publiques répondent non seulement moins aux besoins des populations mais sont largement dépendant de l’avis de la Banque mondiale. Les interventions de la Banque ne constituent pas un complément à nos besoins mais la base et l’état n’intervient à faible montant comme contrepartie.

Burkina24: En termes de politiques publiques qu’est ce que le Burkina pourrait faire pour améliorer l’efficacité de l’aide publique qu’elle reçoit de tous ses partenaires multilatéraux ?

Nouhoun Diallo : J’ai préconisé dans ma thèse la participation des acteurs locaux à l’évaluation de ces politiques. J’appelle acteur local, la population bénéficiaire, la société civile, les gestionnaires des politiques.  Dans l’idéal, ils devaient être au début et à la fin du processus, autrement dit depuis l’émergence du problème public jusqu’à la mise en œuvre de la politique. Mais dans le cas du Burkina et les programmes internationaux le processus est très complexe et long.  C’est la raison pour laquelle nous avons parlé de leur participation à l’évaluation de la politique. Dans ce cas, ils porteront un jugement, lequel jugement sera suivi de recommandations. Au moment où ils ont pris part à la formulation des recommandations ils l’appliqueront facilement.

Burkina24: Vous connaissez assez bien les questions de gouvernance économique non seulement pour les avoir étudiées mais aussi  à cause de votre expérience professionnelle dans l’administration publique burkinabè. Quelle lecture faites-vous de l’état de la gouvernance économique et politique au Burkina ?

Nouhoun Diallo : Dans les PVD, la gouvernance est la capacité des gouvernements à gérer « efficacement » leurs ressources, à mettre en oeuvre des politiques « pertinentes » et à procéder aux « ajustements structurels » nécessaires. Elle est une quête quotidienne et chaque pays la poursuit toujours. Pour des jeunes  pays comme le nôtre, il y a beaucoup d’ajustements à faire. Depuis 1998, il y a eu quelques avancées sur le plan institutionnel. Beaucoup de textes sont élaborés et des organismes sont mis en place.  Mais nous restons dans un tâtonnement avec des réformes aux résultats peu concluants.  Je pense qu’il manque de suivi évaluation de ces réformes pour nous permettre de savoir où nous sommes et prendre les conclusions en compte pour l’amélioration des programmes.

Burkina24: Vous avez aussi fait une étude comparative entre le discours de l’État des pays non industrialisés et celui des pays post-industriels. Quelles en sont les conclusions et les recommandations pour les leaders politiques africains ?

Nouhoun Diallo : Dans cette étude qui nous a servi de communication lors d’un séminaire à Sherbrooke et à Québec, notre objectif était de voir si les discours permettent de prédire l’avenir d’un pays. Les discours des premiers ministres étaient notre échantillon. Les conclusions de la recherche ont montré un grand suivi et par la suite l’évaluation des discours politiques au Québec. Ces discours sont intimement associés aux programmes politiques du parti élu. Le premier ministre donne les objectifs de son mandat, les moyens mis en œuvre pour les atteindre et l’échéancier qu’il se donne pour exécuter son mandat. Le principal déterminant de sa politique reste la capacité de l’opposition dans le cas où le premier ministre est minoritaire.

Dans le cas du Burkina Faso, les données ne sont pas les mêmes. Premièrement, le premier ministre exécute un programme qui ne l’appartient pas. Les discours restent souvent vagues et les moyens mis en place sont très dépendants des facteurs extérieurs et de la conjoncture nationale. En somme, plusieurs éléments jouent sur l’exécution des programmes annoncés qui ne dépendent pas du seul Premier ministre en place.

Nous avons enfin noté une amélioration dans la rédaction des discours au Burkina Faso.

Burkina24: Comme vous le savez, le Burkina Faso traverse actuellement une crise sociale sans précédent. Comme avez-vous vécu cela en tant qu’expatrié et quelle lecture faites-vous de la présente crise?

Nouhoun Diallo : Il est douloureux de constater l’état actuel de la situation sociale et politique au Burkina Faso. Cela m’amène à dire que ça n’arrive pas qu’aux autres et que la paix est une chose chère à protéger. Pour moi, il faut d’abord voir d’où viennent les problèmes. Sur le plan social, mon analyse personnelle me pousse à regarder la situation depuis la révolution. Les systèmes de caisse de solidarité et d’effort public d’investissement mis en place pendant la révolution ont été les premiers efforts des burkinabé pour contribuer au développement de leur pays. Malgré cet effort, les institutions ont conditionné leur aide à un Programme d’ajustement structurel et à une ouverture des marchés (disparition de la Caisse générale de péréquation, de l’Office national des céréales). Les conséquences ont été la flambée des prix. La dévaluation de 1994 n’a pas aussi aidé. Depuis lors, les fonctionnaires n’ont pas reçu d’amélioration considérable en tenant compte du coût de la vie.

Sur le plan politique, la réponse des gouvernants à tous ces changements n’a pas convaincu les citoyens. Face à l’ouverture des frontières, l’état n’était pas assez fort pour conserver ces entreprises publiques qui étaient le pourvoyeur d’emplois. La solution la plus dure qui était la privatisation pure et simple a été adoptée. La méthode de privatisation qui a constitué à la vente totale des actifs a été faite soit au profit d’un groupe de personnes restreint ou de l’étranger avec une certaine complicité. Étant donné que ces entreprises ont été bâties par des sacrifices du peuple, il était alors difficile de les accepter.

Burkina24: Le CCRP a proposé une série de réformes politiques pour un retour à une paix sociale durable. Quelle est votre appréciation des conclusions des travaux du CCRP  au regard de l’article 37, du train de vie de l’état, de la question la chefferie coutumière, des institutions politiques) ?

Nouhoun Diallo : Les solutions institutionnelles pourraient-elles constituer une solution à une crise sociale ? Je ne saurai le dire. La crise est assez profonde et remet en cause la gouvernance à tous les niveaux. La mise en place du CCRP rentre dans le cadre de la maturité démocratique pour dire qu’on a besoin de tous pour construire une nation. Avant cela, il y a eu le comité des sages. Lorsque l’on a eu le courage de poser un tel acte, je pense que la logique veuille qu’on poursuive avec l’acceptation et la mise en œuvre des recommandations. Dans un pays comme le nôtre, il faut éviter les exceptions. L’exception crée l’injustice et l’injustice amène les révoltes.

Burkina24: Quelles sont vos perspectives professionnelles à moyen et à long terme ?

Nouhoun Diallo : Je suis un fonctionnaire de l’État qui est en position de disponibilité. Je reste à la disposition de mon pays pour une utilisation dans le cadre de mes compétences. Actuellement, je m’occupe des travaux de recherche. Dans un futur proche, j’aimerais faire de la consultation afin d’apporter ma connaissance et mon expérience au développement. Quant au futur, il est très tôt de le programmer ; cela appartient à Dieu.

Burkina24: En tant que membre de la diaspora, quelle pourrait être votre contribution au développement du Burkina au vu de votre expertise ?

Nouhoun Diallo : Ma première contribution s’est faite à travers les sujets que j’évoque dans mes recherches. Les thèmes que j’ai abordés dans mes mémoires (la mise en œuvre de contrôle de gestion dans les établissements publics ; la place de l’audit dans l’amélioration du contrôle financier de l’État, l’étude des déterminants de la performance des sociétés d’État autre que la propriété) et dans la thèse (la valorisation des évaluations de la Banque mondiale dans les Pays en voie de développement : cas du Burkina Faso) sont des éléments de réponse à quelques problèmes que j’ai constatés dans l’administration publique. En 2008 lorsque j’étais rentré au pays, j’ai été dans un groupe de travail sur la réforme du contrôle financier dans le cadre d’une gestion axée sur les résultats. Les propositions contenues dans ce document sont l’amélioration avec l’apport de mes collègues des suggestions de mes mémoires du diplôme d’études supérieures en management et du DESS en Comptabilité, Audit et Contrôle de gestion.

Burkina24: Votre dernier mot ?

Nouhoun Diallo : Tout simplement vous dire grandement merci d’avoir pensé à moi dans le cadre de la diffusion des résultats de ma thèse. Cela est déjà une bonne contribution, car plusieurs recherches restent dans les tiroirs si des bonnes volontés comme Burkina24 ne se présentent pas pour donner plus de lisibilité.

Sandra Zoungrana

Burkina 24  – Montréal

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Rédaction B24

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4 commentaires

  1. Quand est-ce que les pays pauvres vont comprendre que Banque mondiale, FMI, BAD, tous des voleurs ! Ils pretent l’argent ? des int?r?ts ?lev?s et les pays s’endettent pour rembourser et tombent dans un cycle sans fin. Pauvres de nous contribuables !
    M. Nouhoun, vous devez envoyer cette entrevue ? tous les journaux burkinab? pour que les gens comprennent enfin que les institutions internationales ce ne sont pas l? pour nous aider, mais nous exploiter !

  2. F?licitation cher compatriote. Voil? une expertise dont le pays a besoin. Encore faut-il qu’il accepte des gens comp?tents, de peur de perdre leur place!

  3. Felicitations le frere pour ta graduation.

    Merci pour ton exemple de courage et de perseverance.

    Dommage que le pays ne regarde pas sa diaspora, mais d’autres ont besoin de nous, alors on met nos competences a leur service tout en essayant dans la limite de nos possibilites de contribuer dans notre propre pays.

    Courage et surtout bonne chance

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