Crise politique en République de Djibouti: Le blocage du dialogue post électoral

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Petit pays de la Corne de l’Afrique, la République de Djibouti traverse une crise politique sans précédent depuis les élections législatives du 22 février 2013. Si toutes les élections législatives ont été source de contestations de la part de l’opposition depuis l’instauration des élections pluralistes en décembre 1992, celles-ci ont été marquées par des manifestations sans précédent des partisans de l’opposition tant dans le pays qu’à l’extérieur par une forte mobilisation d’une partie de la diaspora djiboutienne au Canada et en Europe.

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Ismaël Omar Guelleh (à gauche), Président de la République de Djibouti , depuis avril 1999.
Ismaël Omar Guelleh, Président de la République de Djibouti , depuis avril 1999.

Plus que les autres scrutins, ceux du 22 février dernier ont été marqués par le changement de la loi électorale. Votée en début décembre 2012 à quelques mois des élections législatives, cette loi a introduit un scrutin de liste mixte à un tour avec une représentation proportionnelle selon laquelle «l’élection est acquise pour l’une des listes en lice qui a recueilli la majorité absolue ou relative des suffrages exprimés. Il est donc attribué à cette liste majoritaire un nombre de sièges égal à quatre-vingt pour cent de sièges à pourvoir (80%), arrondi, le cas échéant, à l’entier le plus proche.»

Le changement de loi répondait à une stratégie du gouvernement: donnée satisfaction à l’opposition et à l’opinion internationale sans lâcher le pouvoir. En effet gagner des élections, c’est accéder ou perdre le pouvoir. Or pour le parti au pouvoir depuis l’indépendance, même s’il gouverne en coalitions depuis 1997, perdre le pouvoir ne fait pas parti de son langage. Quant à l’opposition, anxieuse de pouvoir depuis sa légalisation en 1992, elle a accueilli favorablement cette réforme qu’elle voyait non seulement comme une porte d’entrée au parlement, mais une victoire écrasante. Il faut dire qu’elle n’a pas toujours participé aux élections tant présidentielles que législatives, comme des oppositions d’autres pays africains. Deux coalitions : l’Union pour la Majorité Présidentielle (UMP) composée de 4 partis, l’Union du Salut National (USN) composée de 6 partis  et un parti récemment créé le Centre des Démocrates Unifiés (CDU) prenaient part à ces élections. Si la coalition du pouvoir n’a pas beaucoup changé depuis les précédentes élections de 2008, celle de l’opposition est nouvelle. Composée de nouveaux partis légalisés à la suite de l’instauration du multipartisme intégral en 2002, même si les leaders sont les mêmes, elle a renouvelé son discours, son programme électoral et surtout le contact et la communication avec la population.

Ahmed Youssouf Houmed, Président de l’Union pour le Salut National (USN), une nouvelle coalition des partis de l’opposition.

Ces élections interviennent à une période de crise économique et sociale du pays, malgré l’augmentation du budget du pays avec la rente des 3 bases militaires (Etats-Unis depuis 2002, France depuis 1977 et Japon depuis 2007) pour sa position stratégique et à proximité de la Somalie, pays défaillant et dont les gouvernements des Etats-Unis affirment être le refuge des terroristes qu’ils recherchent depuis 1998 (les attentats de leurs ambassades à Nairobi et Dar-Es-Salam). C’est sans surprise que le ministère de l’Intérieur le soir de 23 février a annoncé la victoire de la coalition du pouvoir, mais une courte différente de suffrages exprimés entre les deux coalitions. Quelques jours après sont publiés les chiffres officiels par le Conseil Constitutionnel, juge électoral; il confirme l’annonce du ministre de l’Intérieur. Comme on pouvait s’y attendre, l’USN et le CDU ont rejeté ces résultats et ont saisi le conseil constitutionnel pour annulation et recompte des votes. Or cet organe a rejeté leurs requêtes entre autres comme raison le délai dépassé pour déposer une requête et l’absence des preuves à leurs allégations. L’USN et le CDU ont interprété ce rejet comme une réponse politique et non juridique. Mais les deux coalitions ont misé sur des résultats positifs avec l’adoption de la réforme électorale. Or c’est une illusion qu’un texte produise un changement immédiatement, il y a des facteurs administratifs et culturels, qui échappent à l’application de tout texte aussi bien élaboré et juste soit-il.

Ces résultats ont été aussitôt rejetés par une grande partie de l’opinion nationale, qui a manifesté, mais aussi par la diaspora en Europe et Amérique du Nord, qui a soutenu majoritairement l’opposition. Il n’y a jamais eu des grandes manifestations postélectorales en République de Djibouti. Le pouvoir a réagi violemment en multipliant les arrestations des opposantes/s et de simples citoyennes/citoyens, en les emprisonnant sans jugement. Mais bien avant le jour des élections, la tension se notait. En effet quelques jours avant le 22 février, un leader de l’opposition, qui revenait d’un long exil, a été arrêté et empêché de sortir de sa maison. Vu que son parti (membre de la coalition) ne présentait pas de candidat, il a été désigné le porte-parole de la coalition de l’opposition.

Refusant d’occuper les sièges de députés à l’Assemblée Nationale pour dénoncer un «hold-up électoral», l’USN crée un «Parlement», légitime selon elle.  Mais au bout de deux mois, un des dix députés de l’USN élu a décidé d’occuper son poste. C’est une figure de la politique nationale depuis l’école coloniale et président d’un parti de la coalition. Dans la législature antérieure, son parti avait formé une coalition avec le parti gouvernemental. L’instabilité politique de ce pays, stratégique pour l’Occident, ne pouvait laisser indifférentes les diplomaties des pays ayant des bases militaires surtout dans une région connue pour son instabilité. Dans un communiqué en juillet, l’ambassade des Etats Unis a manifesté son appui au dialogue entre les deux parties. Le gouvernement convoque l’USN à un dialogue politique.  Il s’ouvre en août; les deux délégations se mettent à table.

Par pragmatisme ou pour détourner le vrai problème, quatre points ont été retenus par les deux parties :

– 1 º la libération de tous les prisonniers politiques, certains sont en prison depuis plus de 5 ans sans jugement.

– 2 º que les élus locaux déchus de leurs responsabilités poste reprennent leurs postes. Certains élus comme le Maire de la capitale, responsable d’une nouvelle formmation politique qui a remporté les élections municipales de 2011 dans les communes de Djibouti-ville, ont été délogés de leurs postes par la force. Selon certains opposannts, il lui est reproché d’avoir soutenu l’USN.

– 3º fin de la répression anti-USN de la part des forces de sécurité. Avant comme après les élections du 22 février 2013, les membres et celles et ceux qui appuient les thèses de l’USN font l’objet d’arrestations arbitraires et d’emprisonnement et privés de leurs droits élémentaires de justiciables dans un régime qui se veut démocratique.

– 4º que toutes les personnes suspendues de leurs fonctions pour des raisons politiques reprennent leurs fonctions. Depuis 1992, des fonctionnaires sont exclus de la fonction publique. A Djibouti, on les appelle les «bras casés». Selon l’opinion dominante dans le pays, elles/ils sont soupçonnées/és de soutenir l’opposition.

Aucun de ces points n’a été accompli; les répressions contre les leaders et sympathisants de l’opposition ont continué comme la détention et l’emprisonnement de son porte-parole, Daher Ahmed Farah. Un jeune membre de l’opposition est mort dans la prison centrale, de mort naturelle selon le gouvernement.

Daher Ahmed Farah, Président du Mouvement du Renouveau  Démocratique (MRS) et porte-parole de l’Union pour le Salut National (USN)
Daher Ahmed Farah, Président du Mouvement du Renouveau
Démocratique (MRS) et porte-parole de l’Union pour le Salut National (USN)

Mais au bout de quelques semaines, il n’y a aucune avancée sur les points de l’agenda du dialogue, il y a un blocage. Face à ce blocage, les responsables de l’USN adressent une lettre au président de la République le 14 septembre, pour qu’il fasse «usage de son influence la délégation gouvernementale». Or ce dernier accuse l’opposition d’être un obstacle au dialogue. Il était suprenant que le président ait une position de neutralité ; il est partie prenante dans ce dialogue, même s’il ne participe pas personnellement. La délégation gouvernementale est en contact permanent avec lui. L’USN se tourne alors à une médiation des institutions de l’Union Africaine (UA). C’est la première fois que l’opposition choisit une telle option. Une délégation des responsables de l’USN s’est rendue à Addis-Abeba. Elle est reçue, paraît-il, par la représentation éthiopienne au prés de l’UA. Le but était de porter connaissance aux responsables de l’organisation continentale la crise que vit le pays depuis la proclamation des résultats électoraux du 22 février 2013. Volteface ou realpolitique, les délégués ont été arrêtés par la police éthiopienne et renvoyés à Djibouti, donc la délégation n’a pas pu porter l’affaire devant les instances africaines. Il ne faut pas oublier la coopération entre le régime éthiopien et le régime djiboutien.

Cette initiative fut-elle une naïveté politique d’une coalition politique? Pourtant elle est formée par des hommes connaissant les relations entre les deux pays. Pourquoi ont-ils passé par cette représentation éthiopienne? Quelle capacité ont-elles les institutions de l’UA pour le règlement des conflits internes des Etats membres? Aucune. Sa charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance d 2007 n’a pas eu d’application dans les pays, qui traversent des graves politiques internes. Il ne faut pas oublier que l’UA a comme principe la non-intervention dans les affaires internes des Etats membres.

La crise post électorale djiboutiennne est grave, même si elle n’est pas suivie par des violences meurtrières comme au Kenya en 2007 et en Côte d’Ivoire en novembre 2010 où les dirigeants politiques se sont appuyés sur des groupes ethniques, qui se sont affrontés à la machette et aux armes.

 Par Mohamed Abdillahi Bahdon

Citoyen de la République de Djibouti

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