« Sankariste » à l’âge de 5 ans !

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Idrissa Diarra revient avec une nouvelle tribune et il raconte comment il a vécu la Révolution d’août 1983.

Il y a une littérature abondante sur le Président Thomas Sankara, en passe de devenir intarissable, tant chaque jour, de nouvelles initiatives et œuvres naissent. Cependant, rare sont les œuvres (même en peinture, dessin) émanant de l’enfance ou de l’enfant. Rien de plus normal, quand on sait surtout que nous sommes dans un pays où la langue maternelle est rarement écrite, que la langue officielle, le Français, est d’origine étrangère et enfin, que le lecteur, souvent très exigeant par ses critiques virulentes sur la forme, au détriment de l’intention des auteurs, du contenu et de la portée de leurs œuvres (…)

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Combien d’enfants savent caricaturer le portrait en image de nos illustres anciens Chefs d’Etat ? C’est la preuve que nous fuyons souvent nos propres Histoires nationales au profit de l’Histoire occidentale et en même temps, nous crions souvent sur tous les toits, que nous n’avons pas de leçon à recevoir d’autrui, encore moins de l’Occident ! C’est ce qui ressort des dernières interviews de l’ancien Président Blaise Compaoré avant sa chute, sur les médias internationaux (BBC, RFI, France 24, Jeune Afrique) et de la récente sortie de l’ancien député, Mélégué Maurice Traoré (Lire le lien : http://www.lefaso.net/spip.php?article60847 ). Avec de tels programmes d’enseignement inadaptés, comment ne pas s’attendre à la démotivation à l’école (même chez l’enseignant), et à des résultats scolaires minables?

Le 15 octobre 1987, comme si elle datait d’hier seulement 

Je me souviens du 15 octobre encore, comme si c’était ce matin. C’était un jeudi et comme d’habitude, ces jours, les classes sont fermées à l’école primaire, et j’étais en classe de CM1. Avec des amis, nous passions un moment particulier. La radio avait cessé d’émettre, – si ce n’était la musique qui retentissait longuement – ce qui à cette époque, suscitait des interrogations, dans la mesure où ces signaux constituaient des indicateurs pertinents de coups d’Etat qui faisaient légion en Afrique. Aussi, le climat politique tendu à l’époque, pouvait justifier de tels questionnements. D’ailleurs, ces flopées de coups d’Etat avaient inspiré l’artiste-musicien Alpha Blondy (jadis en vogue) dans ses prises de positions, et dans ses chansons, d’où le titre « Coups d’Etat en Afrique ! »

La mort de Thomas Sankara, jadis refusée par l’enfant, puis par l’adolescent!

Sans avoir une dent contre autrui, je n’avais pas accepté la mort de Sankara. Pour moi, il allait revenir ! Et cet espoir a été nourri incroyablement pendant longtemps, jusqu’en classe de 3ème ! Certains diraient : « mais, tu étais assez jeune » !

Cette jeunesse était une raison de plus au contraire ! Les enfants ou certains, ne connaissent pas la mort ou ne l’acceptent pas facilement ! N’est-ce pas pour cela qu’on leur raconte des diversions, à la disparition d’un proche ? A ce titre, il semble utile d’ouvrir une petite parenthèse sur une page de la vie de l’illustre révérend Martin Luther King. Déjà à l’âge de cinq ans, King a failli se suicider en se jetant du haut d’un étage, suite à un malaise (syncope) de sa Grand-mère chérie !

Plus tard, à la mort réelle de cette dernière, il va tenter à nouveau cette expérience suicidaire ! Par ces actes, le don de soi pour autrui s’affichait très tôt, sinon précocement chez King, trait majeur qui va le caractériser tout le long de son combat.

C’est dire en d’autres termes, que l’engagement civique et politique naît de sources plus éloignées qu’on ne l’imagine quelque fois et, s’affiche d’une manière ou d’une autre, le long du parcours de l’individu, qu’il soit peintre, artiste, musicien, journaliste, agent public, universitaire, etc. ! (Lecture utile au sujet de « l’ambition politique » au lien :http://www.lefaso.net/spip.php?article61677 ).

Pour fermer cette parenthèse de l’engagement, plus tard en classe de 3ème, je suis sorti définitivement de l’illusion, laissant derrière dans l’oubli, cette perspective du retour de Sankara. Voici tout le sens de cette tribune, dans les lignes suivantes, et qui vise aussi à susciter d’autres souvenirs et des témoignages via le forum.

Le 18 janvier 2014, pendant la 1ère marche gigantesque de la classe politique contre la modification de l’article 37 de la Constitution, une belle image de Thomas Sankara, brandie par un marcheur, frappa mon attention, et réveilla spontanément cette vieille illusion, ce vieux souvenir enfoui aux oubliettes et me connecta à ce passé, à cet espoir !

Je compris alors, qu’il s’agissait du retour de Thomas Sankara ou sa réhabilitation nourri du CM 1 à la classe de 3ème ! Les choses s’arrêtaient là à mon sens, ignorant que l’avenir réservait encore mieux !

Le couronnement et la consécration devait venir de cet illustre discours du nouveau Président Michel Kafando, lors de la passation de charge à la tête de l’Etat le 21 novembre. Ce discours marquait un raccordement direct du présent, à l’époque CNR et à ses valeurs et référents et parallèlement, la fermeture de la « page Blaise Compaoré », délibérément mise entre parenthèse! Rien d’étonnant pour ces mesures fortes et volontaristes du nouveau Président, eu égard au contexte. Aussi, c’est surtout parce que chacun de nous porte dans ses attentes une dose de « sankarisme » à des degrés divers, simplement parce que la philosophie politique de Sankara s’efforçait tant bien que mal, d’avoir comme supports et ressorts, les réalités quotidiennes et intrinsèques du Peuple et de la nation burkinabè !

Entre nous chers lecteurs, y a-t-il une réhabilitation et un retour de Thomas Sankara qui vaille plus que les projets annoncés dans le discours solennel du Président Kafando ? Ceux qui soutiennent que les rêves se réalisent, n’ont pas toujours tort semble-t-il !

  • L’avènement de la révolution « sankariste » : l’instruction civique au quotidien dans l’espace public

Pour un enfant à l’époque, trop de changements, sinon de bouleversements intervenaient en un temps record ! A la télé, il y avait beaucoup de « bruits », c’est-à-dire des slogans, discours « forts » et enthousiastes dans la communication directe et en communion avec le Peuple en face.

Ce qui était aisé à retenir, c’étaient les expressions du genre : « le néocolonialisme ; à bas ! » « L’impérialisme ; à bas ! » « Pouvoir ; au Peuple ! » X ou untel « dégagé » ! Telle structure ou organe « dissout ! » « La Patrie ou la mort ; nous vaincrons ! » « Merci camarades ! », etc.

Cher lecteurs, jeunes frères et sœurs qui n’ont pas connu cette époque, et même chers aînés, c’est la perception reçue d’un enfant de l’époque qui vous est livré ici! C’était émouvant !

Le drapeau de couleur « noir-blanc-rouge » que l’on connaissait de la Haute Volta disparaît et place est faite à d’autres couleurs, les actuelles couleurs nationales. Et entre temps, on apprend que le nom du pays, c’est désormais le Burkina Faso !

Avec le recul, une conscience politique était déjà vécue, et cette conscience ne venait pas de l’école ! Elle était forgée en temps réel dans le quotidien social et à travers la radio avec les multiples discours harangueurs. Un autre facteur stimulateur de cette conscience dans l’environnement familial est que mon oncle était un admirateur presque« inconditionnel » de Thomas Sankara. Aux côtés des images de football, c’était les multiples posters de Thomas Sankara (quelques fois issus de coupures de journaux) qui jonchaient les parois de sa chambre. Sa radio était toujours en marche, soit pour le football, soit pour écouter les sujets politiques. Il aimait prononcer les discours de Thomas Sankara « tous azimuts » ! Aussi bien sur son mur que dans ces discours récurrents, j’apprenais ceci que je « paraphrase »: « le jour où vous apprendrez que Blaise Compaoré prépare un coup d’Etat contre moi, inutile de me prévenir parce qu’il sera trop tard, car ce que je sais, Blaise le sait et ce qu’il sait, je le sais aussi ! »

Les autres faits marquants de cette époque étaient entre autres, le sport national les jeudis, le port de la tenue traditionnelle, l’avènement d’une musique nationale de par entre autres, les « Les petits chanteurs aux poings levés », « les Colombes de la Révolution » – d’où l’artiste Sami Rama est issue -, le « Faso bara » (travaux d’intérêt public), les actions de salubrité publique appelée « opérations mana-mana » (propreté en langue dioula), les « opérations commando » interpellant et impliquant tous, les tenues scolaires devenues obligatoires pour tous (kaki et chemise verte aux motifs fleuris), l’entretien des jardins dans les établissements scolaires, la traditionnelle montée et descente des couleurs nationales, respectivement chaque matin et soir.

Au son de la cloche à l’école primaire, on se bousculait entre camarades pour aller descendre les couleurs nationales, en entonnant l’hymne nationale dans une discipline « militaire » ! Une fois descendues, les couleurs étaient tenues avec soin sur les deux bras comme un bébé. Le Directeur de l’école à l’époque, appliquait ces consignes avec un sérieux, voire une sévérité incroyable !

Tous les ménages étaient aussi tenus de peindre leurs clôtures en blanc, de même que les pieds des arbres dans la cité. A ce niveau, il y eut toutes sortes de fantaisies sur les murs, images vivantes du « folklore », on pourrait le dire ! La chaux blanche sur les murs en banco, sur des murs délabrés, donnait un spectacle particulier avec l’impact de la pluie sur ces murs, etc. En tout cas, une certaine pression était ressentie par les familles. Aucune misère ne pouvait expliquer qu’on ne se conformât pas à cette consigne. Ce serait de la « réaction » ! Ce serait de l’indiscipline ! Ce serait une attitude contre-révolutionnaire, non tolérable ! Les CDR, présents dans chaque bout de quartier dans des sièges appelés à l’époque « Permanences », étaient présents pour veiller à la discipline. Ainsi, nos villes (mon cadre de vie) étaient devenues des « villes blanches », de par la couleur des arbres et des murs. Et aujourd’hui, il n’est pas question pour moi de dire que ce n’était pas beau ! N’est-ce pas que toute révolution a un prix, chose qui interpelle aujourd’hui chacun, jusqu’au plus haut sommet de l’Etat !

Mais à la période révolutionnaire sous le CNR (Conseil national de la Révolution), tout n’était pas forcément « beau », même pour l’enfant que je fusse, à l’image de bien d’autres, surtout friands des produits importés ! Les mets ivoiriens que l’on consommait couramment en famille et installés dans les habitudes, au regard des flux migratoires de parents en provenance de la Côte d’Ivoire, avaient subitement disparus ! Plus « d’attiéké », plus « d’alloco », ni d’avocat, ni de poisson sec ou encore maquereau (« Abidjan djiguè ») ! Il fallait désormais se contenter des mets locaux et les valoriser, selon le concept, « consommons burkinabè » !

Par ces témoignages, il est aisé de comprendre, que sous le CNR, le citoyen apprenait dans l’espace public au quotidien, des leçons de civisme d’une qualité et d’une portée inestimable pour sa conscience politique, que certains cours de Science politique ne suffisent pas toujours dans les amphithéâtres pour les inculquer !

L’image du Président Saye ZERBO de cette époque, dans sa tenue bleue reste encore vivace !  Le Président Sangoulé Lamizana lui, ne ressortait surtout que dans certains discours dans la vie sociale, surtout quand on veut interpeler et mettre à sa place un interlocuteur qui veut jouer trop à l’important ou à l’autorité, dans le style suivant : «  devrait-on comprendre de par vos agissements, que vous vous prenez pour Lamizana ? » Quant au Président Jean Baptiste, il était plus aisé pour les aînés de le connaître, tant son séjour a été bref à la tête de l’Etat, sans compter que son leadership était disputé par Thomas Sankara, alors Premier ministre.

Après tous ces faits marquants dans un temps record dans la vie d’un enfant, ce dernier pouvait-il rester indifférent à la mort brusque du leader qui incarnait la figure emblématique de cette Révolution vécue au quotidien?

Ouagadougou, le 30 novembre 2014.

Idrissa DIARRA
Géographe, politologue.
Membre-fondateur du Mouvement de la
Génération Consciente du Faso (MGC/F).
Mobile : (+226) 66 95 04 90
Courriel : [email protected]


NDLR :  Le titre est de l’auteur

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Abdou ZOURE

Abdou Zouré, journaliste à Burkina24 de 2011 à 2021. Rédacteur en chef de Burkina24 de 2014 à 2021.

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