Elie Kamano : « Tiken et Alpha sont panafricanistes dans les mots, pas dans les actes »

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Elie Kamano est un artiste auteur et compositeur guinéen. Il n’est pas très connu au Burkina, mais sa musique est bien aimée des Burkinabè. Son titre «ma prophétie» a rythmé les différentes marches de l’opposition contre le pouvoir de Blaise Compaoré. Mais l’artiste est physiquement méconnu de la population burkinabè. Il a alors entrepris de faire des concerts dans trois villes, le 13 février à Ouagadougou, le 20 février à Bobo-Dioulasso et le 28 à Koudougou. Dans une interview accordée à Burkina24, l’artiste parle de ses démêlées avec la justice et le président guinéen, critique la politique de gestion de la maladie Ebola qui sévit en Guinée, sans omettre de dire ce qu’il pense des deux grands reggaemen africains, Tiken et Alpha. Il n’a pas sa langue dans sa poche quand il s’agit de dire les choses. Lisez !

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Ecoutez Elie Kamano

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Burkina24 (B24) : Pourquoi avoir choisi le Burkina pour des concerts ?

Elie Kamano (E.K) : Je pense que le moment est venu de célébrer cette liberté d’expression après l’insurrection au Burkina.

Les Burkinabè savent que Elie Kamano est un artiste aussi engagé et qui a contribué dans les pensées philosophiquement, artistiquement au changement opéré aujourd’hui au Burkina Faso. Je viens me faire connaître par le peuple burkinabè.

B24 : Est-ce à dire que vous n’avez pas cette liberté d’expression chez vous ?

E.K : Je suis sous contrôle judiciaire en Guinée. En principe, je ne devrais pas voyager. Ils m’ont confisqué mon passeport et tout, mais  c’est du bluff ! Moi je leur ai dit « si vous voulez, allez en procès contre moi, allons-y, mais je ne peux pas accepter d’être sous contrôle judiciaire ».

 Ils m’ont dit de me présenter chaque lundi et vendredi au tribunal. Je ne l’ai pas fait, ils m’ont appelé.  « Pourquoi tu ne viens pas au tribunal ?». Je leur ai dit que je ne viendrais pas. Puisque j’ai reconnu les faits, allons-y en procès.

Mais après, ils m’ont rendu mon passeport et voilà, c’est un dossier classé. J’ai toujours eu des problèmes avec les dirigeants de mon pays parce que mon combat, c’est d’amener la jeunesse guinéenne au même niveau de compréhension de la démocratie, du changement, de la révolution que les autres peuples.

 D’ailleurs, dans mon album qui va venir, il y a un morceau où je dis : « le vent qui a soufflé en Tunisie est passé par l’Egypte, il est passé aussi par la Lybie, il s’est invité au Sénégal, il a déposé sa valise au Burkina. Mais dans son collimateur, il a la Guinée qui est dans son viseur, le Gabon » et ainsi de suite.

J’ai toujours des problèmes avec la justice. Le président essaie de m’humilier parfois en me mettant dans les pickup des policiers non couvert. Ils me font tourner en ville pour que les gens me voient, sans savoir qu’ils me grandissent.

Les gens me voient et disent «Elie Kamano est arrêté encore ! » et tout le monde se regroupe et vienne me regarder (rire). La seule chose qu’ils ne peuvent pas faire, c’est de me tuer quoi ! Ah ben oui !

B24 : Vous êtes peu connu à Ouaga. Comment pensez –vous rentabiliser vos concerts ?

E.K : J’ai fait des scènes à Ouaga. J’ai fait la première partie de Tiken  Djah quand il est venu pour son « un concert, une école ». J’ai participé aussi au festival de la liberté d’expression organisé par Diallo (Abdoulaye du centre de presse Norbert Zongo, NDLR). Et c’est ce jour que j’ai réalisé que ma musique est écoutée au Burkina.

B24 : En Guinée, vos critiques acerbes vous attirent des ennuis. Mais sur quoi portent ces critiques ?

E.K : Vous savez dans un pays comme la Guinée où la population est à 70% analphabète, où la politique a aujourd’hui poussé les gens à se rétracter derrière le leader de leur ethnie, où l’ethno-stratégie a eu raison du peuple, où la méfiance entre le peuple même est devenue une triste réalité; je crois qu’il est impossible pour un artiste comme moi, aussi conscient, patriote de rester bouche-bée devant cette situation.

Mon pays n’a traversé que des moments difficiles depuis son indépendance. Je ne peux pas comprendre que nous soyons le château d’eau de l’Afrique occidentale, comme certains le disent, et que nous ne soyons pas capables de transformer notre sous-sol au bénéfice des enfants de la Guinée.

« Je lève le doigt pour dire haut ce que le peuple pense tout bas »

Les dirigeants qui arrivent aujourd’hui continuent sur les mêmes pratiques. Ils créent autour d’eux un petit cercle et ce cercle n’est composé que des membres de leurs familles et de leurs amis. Devant cette situation, les Guinéens divisés se taisent et personne ne lève le petit doigt.

 C’est dans cet état de fait que je lève le doigt pour dire haut ce que le peuple pense tout bas. Et quand je me bats, j’ai toujours des problèmes avec les hommes politiques. Ils n’aimeraient pas être dérangés dans leur forfaiture, dans leur dérive, dans leur mensonge.

Ils n’aimeraient pas être dénoncés et moi, c’est ce que j’arrive à faire tout seul et contre tout régime. Je crois que ça été la raison fondamentale de mes démêlées avec la justice et le président de la république.

B24 : Vous avez même traité le président entre-temps d’être en réalité un burkinabè, un Koné et non un Condé … 

E.K: Ce n’est pas moi qui ai dit cela. Ça été dit avant les élections. Puisqu’en ce moment, il n’était pas président, les gens ne prêtaient pas attention.

Et quand on est président on prend plus les critiques en compte. C’est le cas de Alpha. Quand il était dans l’opposition, il y a des gens qui le disaient, on a écrit sur internet. Un de ses compagnons, qui était son ministre de la culture l’a dit, il a même affirmé qu’il a le passeport burkinabè de Alpha Condé.

Il n’y a pas de mal à ce qu’Alpha soit d’origine burkinabè. Si Barack Obama a été indexé comme étant un Africain d’origine, si Alassane Ouattara a été indexé comme un burkinabè d’origine, cela ne les a pas déroutés du chemin vers le progrès.

Cela n’a pas de sens que ce soit un prétexte pour lui de me mettre en prison. S’il le fait, il va me donner raison et à ceux qui l’ont dit avant moi.

 Je dis :« le Burkina est un pays intègre« . Si j’avais dit qu’il était français ou américain, il allait être très content (rires).

B24 : Vous critiquez aussi la gestion de la maladie Ebola dans votre pays. Pourquoi?

E.K : Je pense que le gouvernement a mal géré cette maladie dans notre pays. Je ne peux pas comprendre qu’un pays aussi grand comme le Mali, plus grand que la Guinée, puisse canaliser, maîtriser la maladie.

C’est devenu aujourd’hui un business, un bon marché où les chefs d’Etat donnent beaucoup d’argent pour nous soutenir mais entre guillemets, cet argent-là est empoché par le président et ses amis.

Quand Ebola a déclenché en Guinée, si on avait accepté suivre mes conseils, on n’allait pas en à arriver là aujourd’hui. J’avais demandé à ce que la première ville infectée, qui est d’ailleurs ma ville natale, soit mise en quarantaine mais tel n’a pas été le cas.

On n’a pas écouté mes conseils et, aujourd’hui malheureusement,  Ebola a pris de l’ampleur en Guinée, et il ne compte pas s’arrêter.

Moi, je ne peux pas comprendre qu’un président arrive et ne tienne pas compte de l’opinion des peuples ou des leaders d’opinion, ceux- là mêmes qui sont auprès du peuple et qui remontent les informations par rapport à leur situation.

B24 : Vous êtes leader d’un mouvement « sauvons la Guinée» à l’image de Y’en a marre et du  Balai citoyen. La jeunesse se reconnait –elle dans le mouvement?

E.K: Mais oui! C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles on veut me bâillonner en Guinée! Je suis un combattant, un sankariste.  Malheureusement, je suis seul en Guinée. S’il y en avait deux ou trois comme moi, je pense qu’on aurait pu changer les choses.

 Nous avons les mêmes dictateurs en face de nous. Mais notre objectif à nous n’est pas de chasser Alpha Condé du pouvoir mais de faire en sorte que le hold up électoral soit évité. S’il ne gagne pas les élections et qu’il les vole, il va  conduire le pays dans un bain de sang et c’est ce que nous voulons éviter.

B24 : Que pensez-vous des artistes reggaemen comme Tiken Djah, Alpha Blondy ?

E.K : Vous voulez vraiment que je parle d’eux ?

B24 : Oui !

E .K : J’ai une vision un peu différente de ce que les Africains pensent de Tiken et Alpha. Personnellement, je n’ai rien contre eux. Mais je pense qu’en tant que panafricaniste, on ne peut pas passer 27 ans, 30 ans à lutter contre un dictateur, à lui dire de quitter le pouvoir pendant que nous-mêmes on est des dictateurs.

Je ne peux pas comprendre cela parce qu’aujourd’hui, avec cette mondialisation, même culturelle, nous voyons que l’Afrique ne compte que deux grands reggaemen. Je pense que ça c’est grave. Pourquoi ?

Nous sommes tous des mortels. On a vu Luck Dube qui s’est fait assassiner. Plein d’artistes aujourd’hui qui essaient de grandir mais qui n’ont pas de moyens, qui n’ont pas de voie.

Pour que la relève soit assurée, pour qu’il y ait la continuité dans le combat commencé par nos aînés, il faudrait bien que les aînés donnent la voie, qu’ils nous montrent le chemin, qu’ils nous épaulent.

Mais si tel n’est pas le cas, je pense qu’on a un sérieux problème. Culturellement, l’Afrique est en train de mourir.

Nous ne pourrons pas après Alpha, Tiken Djah indexer un reggaeman de leur niveau. Ce n’est pas possible. Aujourd’hui, ils ont tous des carnets d’adresses. Il suffit juste d’un appel pour  rehausser le niveau du reggae africain parce qu’ils connaissent tous les jeunes reggaemen qui se battent.

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S’ils ne font rien pour ces jeunes, c’est parce qu’ils sont égoïstes, parce qu’ils sont panafricanistes dans les mots mais dans les actes, ce n’est pas la réalité. Les faits et les paroles ne sont pas pareils.

Ce qu’ils disent quand ils sont en France, au Brésil, aux Etats-Unis dans les concerts, ce qu’ils veulent pour l’Afrique, pour la jeunesse africaine, ce n’est pas ce qu’ils font dans les actes. C’est ce qui est dommage !

Tu es artiste, aide les artistes à devenir comme toi. Mais pour le moment, rien n’est fait pour qu’il y ait d’autres Alpha Blondy, d’autres Tiken Djah. Mais quand tu vas parler à l’Africain, il va te dire « Wouei quoi , moi j’ai galéré pour être là où je suis » . C’est ça la pensée négative de l’africain.

Il oublie que derrière toute la galère, la souffrance qu’il a vécue il y avait une main invisible qui était là pour l’aider, le chemin par lequel passeront d’autres pour représenter l’Afrique.

B24 : Mais vous nous avez dit plus haut que vous étiez à Ouaga avec Tiken dans le cadre de son concert. N’est-ce  pas une manière de vous épauler ?

E.K : Ça c’est épauler ? C’est ça que vous appelez épauler !

B24 : C’est une question que je vous pose ?

E.K : Si être grand artiste ne se tenait qu’à jouer seulement sur des scènes à côté de nous ici, ah là, on serait aujourd’hui des Michael Jackson. Parce que j’ai tellement joué en Afrique ! J’ai fait une tournée africaine de 20 pays!

Mais qu’est-ce qui leur coûtent aujourd’hui de faire en sorte qu’il y est une visibilité sur nous au niveau international ? C’est très simple de vendre un artiste en Europe. On a vu des artistes qui par un coup de fil ont aidé d’autres artistes.

Quand on dit artiste international, ce n’est pas un artiste qui tourne en Afrique seulement hein !  Tu n’as rien à gagner dedans. C’est quand tu vas commencer des vrais concerts en Europe, à vendre tes albums en Europe que tu vas commencer à percevoir réellement quelque chose.

C’est comme le football. Tous les footballeurs africains rêvent d’aller jouer en Europe. Mais moi je pense que le jour où les choses changeront, le jour où le pouvoir changera de main, c’est eux qui auront honte.

Pourquoi je dis ça? Quand tu n’as pas participé à la construction d’une étoile, il est très difficile que tu profites de la beauté de cette étoile.

Propos recueillis par Reveline SOME

Burkina24

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