Nouvelles nominations au Conseil constitutionnel : une lecture différente de celle de la Société burkinabè de droit constitutionnel (SBDC)

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 Dans l’écrit qui suit, trois citoyens apportent leur lecture de la sortie du Pr Abdoulaye Soma de la Société burkinabè de droit constitutionnel sur les récentes nominations opérées par le Président du Faso au Constitutionnel.

Lors de sa dernière sortie, la SBDC a entendu s’indigner face, entre autres, mais principalement, à la nomination de nouveaux membres au Conseil constitutionnel. Les responsables de la « Société savante » au soutien de leurs positions invoquent un ensemble d’arguments relatifs à la constitutionnalité du décret du Président Kafando:

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  • L’usurpation par le Président du Faso, du pouvoir de nomination du Président du CNT
  • Le problème de la délibération en Conseil des ministres
  • Le non-respect des critères de nomination des membres de la haute institution

La prise de position de la SBDC a donné lieu à de vives discussions et de passionnés débats aussi bien sur les sites d’information que sur les réseaux sociaux. Au-delà du caractère intéressant, voire ludique de ces discussions, notre objectif est d’apporter un point de vue juridique différent de celui de nos illustres constitutionnalistes. Le propos s’articulera autour des trois points susmentionnés.

  1. Sur l’usurpation de pouvoir

Il a été défendu par la SBDC que le décret N° 2015-291 Pres/Trans/PM portant nomination de nouveaux membres du Conseil est inconstitutionnel en ce que le Président du Faso aurait usurpé (au moins pour la nomination de Mr Bouraima CISSE) le « pouvoir constitutionnel autonome » de nomination du Président du CNT. Cela s’expliquerait par le fait que l’acte de nomination contient non seulement les personnes (Mme Haridiata DAKOURE/SERE et Mr Anatole TIENDREBEOGO) relevant du pouvoir de nomination du Président lui-même, mais aussi, Mr Cissé dont la nomination relevait du pouvoir du Président du CNT. En conséquence la SBDC se « réserve le droit d’engager toute démarche ayant pour finalité la neutralisation juridique dudit décret ». Par ailleurs, elle invite « tout acteur de la société civile à engager une action en justice pour obtenir l’annulation dudit décret ».

Ces arguments sont-ils véritablement suffisants pour invalider le décret présidentiel ? Il ressort de la procédure suivie que s’agissant de la nomination de Mr Cissé, celle-ci a dans un premier temps fait l’objet d’une décision du Président du CNT (Décision N°045 CNT/Pres du 10 février 2015 portant désignation d’un membre du Conseil constitutionnel par le Président du CNT).

Il apparait donc que le Président du Faso dans son décret n’a fait que reprendre in extenso la décision du Président du CNT tout en usant de son pouvoir de nomination des deux autres membres. Si d’un point de vue purement formel, la décision du Président du CNT se suffisait à elle-même, la reprise de son contenu dans le décret en cause ne saurait aucunement être interprétée comme une usurpation de pouvoir dont se serait rendu coupable le Président Kafando.

D’une part, le Président n’empiète en aucune manière sur le pouvoir de nomination du Président du CNT puisqu’il ne remet pas en cause la décision initiale de ce dernier. On peut même supposer que le décret du Président du Faso est le fruit d’une étroite collaboration avec le Président du CNT. Cela est confirmé par l’attitude ultérieure de ce dernier qui jusque-là n’a formulé aucune contestation.

D’autre part, le décret n’a aucune incidence préjudiciable aux droits des personnes nommées. Dans une perspective de formalisme excessif – comme celle que semble adopter la SBDC – la nomination de Mr Cissé devrait rester séparée de celle des deux autres. Cependant, le fait de joindre le nom de Mr Cissé au décret présidentiel est tout au plus un vice de forme qui ne saurait outre mesure entacher la légalité ou la constitutionnalité dudit décret. Il s’agit là, d’une formalité non substantielle.

La distinction entre formalité substantielle et non substantielle est suffisamment ancrée dans la jurisprudence. En effet, le juge administratif tout comme le juge constitutionnel considèrent que le manquement à une formalité non substantielle ne saurait être un motif d’illégalité ou d’inconstitutionnalité de l’acte en cause. En droit comparé et à titre illustratif, il peut être noté que dans sa récente Décision 2014-709 du 15 janvier 2015 sur la Loi relative à la délimitation des régions, le Conseil constitutionnel français après avoir reconnu une violation du droit d’amendement des sénateurs consacré par l’article 45 de la Constitution française, refuse en définitive d’attacher des conséquences juridiques à ladite violation.

  1. Sur la délibération en Conseil des ministres

La SBDC soutient qu’aux termes de la Constitution, les nominations des membres du Conseil constitutionnel ne sauraient faire l’objet d’une délibération en Conseil des ministres, la mesure violerait la Loi fondamentale, en ce que le pouvoir de nomination des membres du Conseil constitutionnel par le Président du Faso est un « pouvoir propre ». Selon ses responsables, cela entrainerait un supplément d’inconstitutionnalité au décret en cause.

Il convient de noter que l’article 153 de la Constitution confère aux autorités de nomination des membres du Conseil un pouvoir discrétionnaire dans le choix des personnes à nommer. Que l’on ne s’y trompe pas, il y a bien une différence entre pouvoir discrétionnaire et pouvoir arbitraire. Il faut admettre avec la SBDC que de telles nominations n’exigent pas une délibération en Conseil des ministres.

Toutefois, le fait de délibérer en conseil des ministres pose-t-il un problème au plan juridique ? Il faut répondre à cette question par la négative. En effet, ni la constitution ni la loi organique sur le Conseil constitutionnel n’imposent au Président du Faso une procédure particulière de nomination, impliquant par exemple une interdiction de délibération en conseil de ministres avant de prendre l’acte de nomination. Aucune défense itérative de consulter n’est faite aux autorités de nomination et le Président est bien libre de consulter qui il veut y compris ses ministres. En l’espèce, la délibération en Conseil des ministres apporte même plus de légitimité à l’acte qu’elle ne lui enlève sa légalité, sa constitutionnalité.

  1. Le non-respect des critères de nomination des membres de la haute institution

Il ressort de la position de la SBDC que « les personnes nommées ne remplissent pas les critères techniques nécessaires pour constituer une juridiction constitutionnelle apte à garantir un meilleur encadrement constitutionnel de notre démocratie ». De même, il est prétendu que les personnes nommées sont des retraités et que leur nomination serait en contradiction avec certaines décisions des autorités de la transition visant à rappeler des ambassadeurs ayant atteint l’âge de la retraite.

Concernant la question de leurs compétences techniques, ni la Constitution encore moins la loi organique n’exige que les membres du Conseil constitutionnel soient des spécialistes du droit constitutionnel. Mieux, la Loi fondamentale, aussi bien dans son texte que dans son esprit admet même qu’il y ait un important nombre de non-juristes siégeant au Conseil. De fait, une lecture attentive de l’article 153 de la Constitution montre que mis à part le cas des magistrats proposés par le ministre de la justice, les autres autorités de nomination n’ont l’obligation de choisir qu’un seul juriste sur les trois que chacun d’eux peut nommer. Il en résulte qu’il n’est pas exclu que le Conseil comporte presqu’autant de juristes que de non-juristes en son sein. La lettre et l’esprit de notre Constitution ne consacrent aucun monopole des juristes encore moins des « constitutionnalistes » ( il faudra d’ailleurs penser à définir ce terme en nous expliquant comment on en délimite les attributaires) à être membres du Conseil.

S’agissant de l’âge des personnes nommées, il est reproché aux autorités de nomination d’avoir porté leur choix sur des retraités. Cet argument, non plus, ne saurait convaincre. Primo, sur le plan de la technique argumentative, elle part d’une analogie plus que discutable entre la situation de certains ambassadeurs rappelés (entre autres, mais pas exclusivement pour avoir atteint la limite d’âge) et celle des personnes nommées au Conseil constitutionnel. La comparaison est audacieuse parce qu’il s’agit là de deux catégories de fonctions totalement distinctes au point ou aucune assimilation sérieuse ne pourrait être faite entre le type de mission qui leur est confié. Secundo, et plus fondamentalement, aucun critère d’âge n’est imposé aux autorités de nomination aux termes de la Constitution ainsi que de la loi organique sur le Conseil constitutionnel. Autant la barbe n’est signe de sagesse, autant elle n’est preuve d’incompétence. On pourrait même estimer que pour une mission aussi importante que celle assignée au juge constitutionnel, une certaine expérience et sagesse (dont l’indice se trouve souvent, même si pas toujours, dans l’âge) soit de mise.

En guise de conclusion, il apparait que les arguments avancés par la SBDC résistent très peu à l’analyse. D’ autres commentaires s’imposent :

D’abord, il convient de faire remarquer que le plus sérieux problème de légalité ou de constitutionnalité posé par le décret est passé inaperçu ou en tout cas sous silence dans le « réquisitoire » dressé par la SBDC. En effet, s’il y a un problème de légalité du décret, il se pose plutôt quant au mandat attribué par celui-ci au membre nommé en remplacement du défunt juge Salifou Nébié. Suivant l’article 15 al.1 de la loi organique sur le Conseil constitutionnel, « [ l]e membre du Conseil constitutionnel, désigné en remplacement de celui dont les fonctions ont pris fin avant leur terme normal, achève le mandat de celui qu’il remplace ». L’al. 2 du même article précise qu’à l’expiration de ce mandat, le nouveau membre peut être reconduit pour son propre mandat. Or, aux termes du décret de nomination, le remplaçant du juge Nébié a été nommé pour un mandat unique de neuf ans. Il y a là une violation de l’article 15 suscité. Cette irrégularité majeure pose la question du rôle des conseillers juridiques au sein de nos institutions, car une simple lecture de la loi organique aurait permis de nous épargner cette violation élémentaire.

Ensuite, au sujet de l’attaquabilité du décret présidentiel, deux scénarios peuvent être envisagés : une procédure devant le Conseil constitutionnel et une autre devant les juridictions administratives (le Conseil d’Etat). La première question qui va alors se poser sous un angle procédural est celle de l’intérêt pour agir dans le chef d’un éventuel requérant (organisation de la société civile comme le suggère la SBDC). Eu égard à la façon restrictive dont cette notion est interprétée notamment devant le juge administratif et le Conseil constitutionnel, on voit mal comment une requête provenant d’une organisation de la société civile ou d’un individu quelconque pourrait prospérer sur ce point. Mais si par pure hypothèse et par impossible, on considère qu’une telle requête était recevable, son sort ne sera nullement meilleur :

  • Devant le Conseil constitutionnel : la requête serait inapte à prospérer pour au moins deux raisons. Primo, le Conseil constitutionnel n’est pas compétent pour vérifier la conformité des décrets à la Constitution. En dehors des lois et des accords internationaux, les seuls actes dont il peut vérifier la conformité à la Constitution sont les ordonnances et les règlements du parlement. Secundo, il ne peut être saisi par les individus (sauf dans l’exercice de ses compétences électorales), mais seulement par certains organes politiques.
  • Devant le Conseil d’Etat : de prime abord, cette institution pourrait vérifier la conformité du décret présidentiel à la Constitution. Il faudra toutefois démontrer qu’il n’existe pas un écran législatif entre ledit décret et la Constitution. Or, l’existence de la loi organique sur le Conseil constitutionnel pourrait constituer un tel écran. Mais plus fondamentalement, le Conseil d’Etat ne pourra examiner la constitutionnalité du décret que si l’on admet que celui-ci constitue un acte administratif susceptible de subir un tel contrôle. Or, il s’agit là d’un acte de gouvernement. En effet, ces actes sont ceux pris par le gouvernement dans la conduite des relations internationales du Burkina Faso, et dans les rapports entre les pouvoirs publics. Le décret litigieux entre dans les fonctions constitutionnelles du Président du Faso et non dans ses fonctions administratives. Il s’agit en effet d’une question qui concerne les rapports entre le Président du Faso et le Président du CNT ou encore les rapports entre le Président du Faso et le Conseil constitutionnel, tous les trois étant des pouvoirs publics. A titre illustratif, dans un arrêt du 9 avril 1999 (Mme Ba), le Conseil d’Etat français a considéré que les nominations de membres du Conseil constitutionnel par le Président de la République font partie de la catégorie des actes de gouvernement bénéficiant d’une immunité juridictionnelle devant le juge administratif. L’acte de gouvernement est une limite à la compétence des juridictions administratives. Une action visant à attaquer ce décret en justice ne peut donc porter fruit.

Enfin, au vu de tout ce qui précède, on ne peut résister à la tentation de se demander comment et pourquoi le Président de la SBDC, « Conseiller spécial » du Premier ministre, se retrouve en tête de la contestation de mesures pris largement en associant le gouvernement qu’il est censé dans une certaine mesure conseiller. N’aurait-il pas dû simplement alerter le Premier ministre quant aux possibles manquements dans le processus de nomination des nouveaux membres du Conseil constitutionnel?

En tout état de cause, cette contribution n’a pas pour objet de soutenir de quelque matière que ce soit les autorités de la transition. Certains de ses signataires sont plutôt critiques à l’égard du processus en cours. Il s’agit plutôt d’apporter une opinion juridique dans un débat d’intérêt majeur.

Dr Sanwé Médard Kiénou, Enseignant-chercheur à l’Université Polytechnique de Bobo-Dioulasso

Sâ Benjamin Traoré, Doctorant en droit, Chercheur à l’Université de Neuchâtel

Antoine P. Kaboré, Doctorant en droit à l’Université de Genève

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2 commentaires

  1. Voil? un debat interessant. On attend le contre-argumentaire de la SBDC. Monsieur les constitutionnalistes du Burkina prouvez que votre sortie netai pa hasardeuse et que vos arguments tiennent la route car de vos deux arguments, ceux de ces monsiuers qui vou contredisent sont plus convaiquant, il y va de notre securit? juridique. Il va desoi que cette securit? procede de la presence aux cot?s de nos dirigeants de juristes alertes et surs de toutes demarches entreprises par eux. Dieu benisse ceu qi se soucient du bien etre ds burkinabe et qui metten leur inetellect a contribution a la realisation de cet objectif noble.

  2. Mon cher promotionnaire SA et ses amis, merci pour votre bel ?crit. on a pas besoin d??tre agr?g? pour savoir raisonner, encore que certains n?y parviennent m?me pas. Je valide enti?rement votre intervention qui prend en compte tous les param?tres n?cessaires ? une bonne analyse juridique. Je salue votre attachement au besoin de faire savoir et non de se faire voir comme on l?observe malheureusement pour certains. Vous donnerez du fil ? retordre ? de soi-disant agr?g?s, plus en qu?te de c?l?brit? rapide que de v?rit?, et qui livrent leur pens?e dans la pr?cipitation et la l?g?ret?. Un vrai scientifique doit savoir raison garder. Pour un rien, on ne monte pas comme ?a sur ses grands chevaux! Belle analyse et bonne claque ! Courage ? vous. Bonne suite ? toi SA.

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