Arnaud Maré : « Nous avons une unité d’élite très compétente, opérationnelle »

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Le juriste, consultant et analyste politique Arnaud Maré lie la préférence des jeunes à militer dans une Organisation de la société civile (OSC) plutôt qu’un parti politique aux pratiques « mafieuses », qui y ont souvent cours. Les « contre-exemples » avec des parcours parsemés d’interrogations et d’obscurité contribuent davantage à l’éloignement de la jeunesse du milieu politique parce que ne souhaitant pas être « déroutée », « choquée », « déchue » ou « traumatisée ». Arnaud Maré préconise de tout « simplement » résoudre la question de l’opérationnalité de l’Unité Spéciale d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (USIGN) et d’une façon générale de nos forces de défenses et de sécurité, parce que c’est une question de souveraineté nationale, donc « non » au déploiement du GIGN française= en sol burkinabè. Il a accordé une interview à Burkina24 dont voici l’intégralité.

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Burkina24 (B24) : Finalement, le candidat du collectif Natama a perdu l’élection présidentielle. Comment le vivez-vous ?

Arnaud Maré (A.M): Nous ne vivons pas cela particulièrement dans la mesure où à une élection, on sort toujours avec un gagnant et un ou plusieurs perdants. Cela relève de l’ordre normal des choses. Nous nous honorons d’avoir impacté, imprimé notre marque à cette campagne. Nous sommes émus de l’attention et de l’intérêt que nos concitoyens ont porté au projet de société que nous leur proposions.

(B24): Il est reproché au gouvernement Thiéba de trop s’attarder sur des faits de moindre importance plutôt que de s’attaquer aux questions cruciales de la sécurité et de l’emploi. Quel est votre à vous ?

(A.M): Il est évident qu’il y a des questions d’importance mineure pour la nation et qui ne répondent pas toujours aux aspirations de nos concitoyens. Il est bon que le gouvernement aille assez rapidement à ce qui urge et à ce qui est essentiel.

C’est sur la base d’un programme de gouvernance qu’ils ont été élus. Il ne faut pas du tout perdre de vue la mise en exécution de ce programme, car c’est véritablement ce que les concitoyens attendent. Nous n’allons pas occulter le fait que les principaux leaders du gouvernement ont vendu la carte de l’expérience durant la campagne électorale qui a pu valoir qu’ils soient élus.

Il y a de ces erreurs et maladresses qui pourraient être difficilement excusables. Nous ne comprenons pas comment ces maladresses ont pu ou peuvent arriver. Du point de vue de l’expérience, du point du programme du gouvernement, il me semble opportun de se mettre rapidement à la tâche.

(B24): Vous avez fait allusion à ce qui urge. Qu’est-ce qui urge selon vous ?

(A.M): Ce qui urge, ce sont les questions d’ordre social. Véritablement, nous sommes dans une situation de déficit déclaré. Nous sommes dans un contexte national difficile du point de vue des secteurs sociaux de base. Nous sommes dans un contexte national où certaines contre-valeurs ont été promues et ont fortement contribué à dégrader, abîmer le tissu social, à éroder la cohésion nationale.

Cet ensemble d’éléments constitue des urgences majeures, qu’il faut se garder de résoudre en improvisant ou en ne faisant pas certaines analyses conséquentes, cohérentes de gouvernance. C’est une question de vision et qui s’inscrit dans le long terme.

(B24): Parlant de mesures sociales, que pensez-vous de celle prise par le gouvernement et qui vise à recruter 4200 étudiants pour résorber le déficit d’enseignants pour le compte du post-primaire ?

(A.M): Le pouvoir en place respecte un engagement pris lors de la campagne électorale. C’est encourageant. Nous osons espérer que l’ensemble des engagements seront également respectés. La mesure dans la forme fait voir une certaine volonté de combattre le chômage et donc de promouvoir l’emploi.


VIDEO – Arnaud Maré sur le GIGN

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Cependant, dans le fond, la mesure est critiquable. Je fais observer tout d’abord que les normes de l’UEMOA fixent des ratios en termes de masse salariale comparée aux recettes propres. Nous sommes au-dessus de ce seuil de déjà 2,7 points. Recruter autant de personnes, c’est augmenter la masse salariale.

Inversement, on ne voit pas de perspectives de mobilisation de recettes annoncées, surtout que nous sommes dans une situation de déficit.

Deuxièmement, il s’agit de résorber un déficit en personnel au niveau de l’enseignement. Or les contrats sont prévus pour durer trois ans. Rien ne nous permet de dire à ce stade qu’au bout de trois ans, le déficit aura été résorbé.

« Avec 100 000 FCFA, il est absolument difficile de pouvoir se nourrir, se loger, se vêtir, se soigner et s’épanouir »

Du point de vue du traitement, j’avoue que le montant annoncé ne parait pas correspondre à la définition de l’emploi décent. Avec 100 000 FCFA, il est absolument difficile de pouvoir se nourrir, se loger, se vêtir, se soigner et s’épanouir.

Arnaud Maré: " Avec 100 000 FCFA, il est absolument difficile de pouvoir se nourrir, se loger, se vêtir, se soigner et s’épanouir"
Arnaud Maré:  » Avec 100 000 FCFA, il est absolument difficile de pouvoir se nourrir, se loger, se vêtir, se soigner et s’épanouir »

De cette façon, qu’adviendra-t-il si dans un établissement au cours de la même année scolaire, quatre, cinq enseignants recrutés sur cette mesure venaient à avoir des offres bien meilleures ailleurs et qu’ils désertaient les classes ?

(B24): Que pensez-vous des comités d’auto-défense que sont les Koglwéogo ?

(A.M): Les Koglwéogo ont existé depuis déjà de longues années. On n’en entendait presque pas parler. Ils ne nous inquiétaient pas, parce qu’ils étaient enracinés dans les cultures locales. Il y avait suffisamment de transparence, de sérieux autour de ces groupes.

Malheureusement, le gouvernement à travers le ministre de la sécurité a prôné l’existence de ces groupes d’auto-défense en promettant de les encadrer. Cela a eu pour conséquence directe la multiplication de ces groupes d’auto-défense totalement désincarnés de nos réalités culturelles, parce que cela ne s’explique pas que des membres quittent une localité pour aller installer un comité dans une autre localité avec laquelle ils n’ont pratiquement pas d’attache.

L’expérience a montré que dans le monde où des comités d’auto-défense ont été créés de cette façon, cela a été une poudrière. La mafia sicilienne en Italie, à l’origine était constituée de fermiers constitués en groupes d’auto-défense pour protéger leurs animaux. Le même exemple vaut pour la mafia mexicaine. C’est pareil avec le Rwanda. Aujourd’hui encore, on en est à parler des anti-balaka en Centrafrique.

Ce sont des groupes qui peuvent avoir une utilité certes dans le court-terme, mais dans le long terme, il y aura des dérapages. Il y a déjà la défiance de l’autorité. Il y a suffisamment d’atteintes graves aux institutions de la République.

(B24): Que pensez-vous donc de la manière dont les autorités actuelles sont en train de gérer la question ?

(A.M): Il y a un silence de l’autorité, une sorte de passivité ou de laxisme que nous avons du mal à comprendre. Il y a même de l’immobilisme, du louvoiement. L’autorité manque à ce stade de fermeté, de clarté vis-à-vis de la marche à suivre avec les groupes d’auto-défense.

Et plus cela traîne, plus cela aggravera les dérives et les bavures. Et lorsqu’on voudra user de la carte de la rigueur, de la fermeté, je crains qu’il ne soit un peu trop tard, puisque de toute façon, des préjudices irréparables auront été produits.

(B24): On constate de moins en moins de réactions en provenance de la société civile depuis la fin de la transition. Quelle lecture en faites-vous?

(A.M): Il faut reconnaître et saluer le courage de certaines organisations de la société civile qui ont donné une position suffisamment claire, même si on ne la partage pas toujours. Malheureusement, de nombreuses associations de la société civile sont encore silencieuses, passives, observatrices, spectatrices.

Il est bon qu’elles sortent de leur réserve, qu’elles donnent clairement leur lecture de la question afin qu’ensemble nous puissions contribuer à aider l’autorité, en l’éclairant au besoin sur la conduite que nous estimons être bonne à prendre vis-à-vis de ces groupes d’auto-défense.

(B24): A ceux qui ont, peuvent ou prétendent avoir des propositions de solutions aux problèmes des populations, vous leur reprochez d’avoir de la préférence de se constituer société civile que de s’engager en politique. Qui en particulier et que leur reprochez-vous exactement ?

(A.M): Le constat s’impose. On n’a pas besoin de citer des noms. Le ratio population-organisation de la société civile indique qu’il y a plus d’OSC pour X nombre de citoyens que de médecins pour le même nombre de citoyens.

Véritablement, la politique au Burkina Faso n’encourage pas. Elle déçoit en raison des pratiques mafieuses regrettables qui y ont cours. Elle a perdu beaucoup de sa noblesse. Elle n’est plus vue comme un sacerdoce. Elle est plutôt vue comme un milieu de haute délinquance, de haute criminalité.

Arnaud Maré, juriste consultant et analyste politique. "La politique a beaucoup de sa noblesse"
Arnaud Maré, juriste consultant et analyste politique. « La politique a beaucoup de sa noblesse »

C’est une sorte de criminalité hautement préjudiciable que l’on ne cerne pas toujours. Cependant, il y a de bonnes raisons de s’engager politiquement. Il y a de bons exemples, des acteurs politiques, des pratiques qui encouragent, mais beaucoup reste à faire.

C’est pourquoi, il nous faut rapidement corriger la question des valeurs dans ce pays. Il faut absolument arrêter de faire en sorte que les contre-valeurs deviennent les valeurs, que l’anormal devient la norme, que les contre-exemples nous soient présentés à nous jeunes comme étant des modèles de réussite, comme des référence alors que le parcours est teinté d’interrogations et d’obscurité.

Il faut corriger cela. C’est de cette façon que l’on pourra susciter des vocations pour l’engagement politique des jeunes, des femmes, de beaucoup de citoyens, qui ont du mérite, mais qui ont une très grande sensibilité à certaines valeurs et qui de cette façon s’éloigne du milieu politique parce que ne souhaitant pas être déroutés, choqués, déchus, traumatisés.

(B24): La France envoie une douzaine de gendarmes du GIGN au Burkina avec pour arguments prévenir et intervenir en cas d’attaques terroristes. Quelle est votre appréciation de ce déploiement ?

(A.M): La communication de l’autorité ne nous permet pas d’en dire beaucoup. On nous parle de collaboration, de formation. On ne sait véritablement pas qu’est que ce détachement du GIGN vient faire au Burkina Faso.

Je note que la présence du GIGN peut avoir pour effet redoutable de positionner ou de pousser notre pays davantage dans la visière des groupes terroristes. Cela est certain. Je fais observer que nous avons une unité d’élite très compétente, opérationnelle, l’Unité Spéciale d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (USIGN ndlr), qui est exactement formée pour faire face au terrorisme.

Nous savons plus ou moins ce pour quoi cette unité n’arrive pas à déployer tout son potentiel. Il faut tout simplement résoudre la question de opérationnalité de l’unité et d’une façon générale de nos forces de défenses et de sécurité, parce que c’est une question de souveraineté nationale. La collaboration, OUI, la substitution ici, NON.

(B24): Pour terminer, dites-nous, quels sont les derniers développements entre Jean Baptiste Natama et Souleymane Ouédraogo dit Basic Soul après le préjudice subi lors du putsch manqué ?

Je ne pense pas qu’il y ait eu des développements. L’ambassadeur Natama avait adressé publiquement un message dans lequel il condamnait fermement cet acte et dans le même temps, il disait accorder le pardon à tous ceux et celles par la faute de qui, ces incidents malheureux et très regrettables sont arrivés. Il n’y a plus eu d’autres développements, à ma connaissance.

« Remettons-nous immédiatement au travail »

Certes, cela continue à alimenter les réseaux sociaux, mais pas plus. C’est l’occasion pour moi d’attirer notre commune attention en tant que jeunes sur certaines dérives langagières, sur cette façon de faire en sorte que les réseaux sociaux sont devenus des gouvernants de ce pays. Le pays semble être gouverné par les réseaux sociaux. C’est hautement dangereux.

Au passage, c’est l’occasion d’attirer notre commune attention sur les grands défis qui nous attendent. Nous n’allons pas passer notre vie à nous glorifier indéfiniment. Insurrection, insurgés, résistants. Ce n’est pas ce qui bâtit une nation. Notre peuple n’est pas le premier à s’insurger dans le monde. Nous n’allons pas rester là, refuser d’interroger l’avenir et avancer.

Il urge de se remettre au travail pour reconstruire ce pays. On ne reconstruit pas un pays en étant plus ou moins prisonnier d’une certaine fierté. Remettons-nous immédiatement au travail.

Interview réalisée par Oui Koueta
Burkina24

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Oui Koueta

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