Le regard de Monica : « La politique dans le corps des femmes » – deuxième partie

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Le Regard de Monica est une chronique de Burkina24 qui est animée chaque jeudi par Monica Rinaldi, une Italienne vivant au Burkina.monica-rinaldi Cette chronique traite de sujets liés aux femmes, à la consommation locale et aux faits de société.


Le Burkina Faso est un Pays à forte croissance de la population – estimée à 3.17% par an. Cela signifie que chaque année, notre nombre augmente de plus de 550.000 unités.

Ce fait est dû à une natalité très élevée : selon le recensement 2010, chaque femme donnerait vie à 6.1 enfants, ce qui est certes inférieur aux 6.5 du recensement précédent, mais qui reste élevé. Le souci est situé notamment au niveau des problèmes de santé maternelle et infantile pouvant résulter de grossesses trop rapprochées ou en trop jeune âge.


Lire aussi la première partie

Le regard de Monica : « La politique dans le corps des femmes » (première partie)

Burkina24


Le gouvernement et ses partenaires, mais aussi plusieurs associations, promeuvent la diffusion de la planification familiale visant l’espacement (et la réduction) des naissances, notamment à travers la diffusion de méthodes contraceptives modernes. Les réactions des populations – et notamment des femmes – restent mitigées, si l’on considère que le taux de couverture de ces méthodes peine à dépasser 15%…

Au contraire, l’Italie est l’un des Pays avec la plus basse natalité du monde (1.2 enfants par femme) et le deuxième ayant la population la plus âgée au monde, après le Japon. Cela engendre des coûts très élevés en termes de protection sociale, notamment de soins au troisième âge dans un Pays où la santé est gratuite pour cette catégorie – et à coût fortement subventionné pour l’ensemble de la population. Récemment, une campagne très contestée lancée par le Ministère italien de la Santé encourage les femmes à faire un plus grand nombre d’enfants, et plus tôt.

Les activistes et bonne partie de l’opinion publique italienne s’est révoltée à une campagne définie « honteuse », « fasciste » et « non respectueuse de la femme et de sa condition ».

Retour sur les réactions de l’opinion publique, et notamment des femmes, dans les deux Pays, face à deux campagnes opposées mais en quelque sorte « jumelées » : quand la politique veut influencer les choix de maternité des femmes.

« Je prends mes pilules en cachette. Cela fait que souvent je ne peux pas car mon mari est à côté, alors ça ne marche pas. J’ai eu mon dernier (enfant, ndlr) comme ça » (A.M., femme, 34 ans)

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« Les méthodes contraceptives rendent stériles. Voilà pourquoi nous avons de plus en plus de difficultés à faire des enfants » (Dame anonyme sur ses 40 ans)

« Une femme qui prend la contraception, on ne peut pas savoir si elle est fidèle ou pas » (Homme sur ses 40 ans)

« Quand je me suis mariée, je disais que j’allais faire deux ou trois enfants pour mon mari, puis repartir à l’école. Mais je n’ai pas pu. C’est contraignant d’avoir des enfants » (Dame de 35 ans environ)

« Moi-même j’ai accouché 11 enfants. Les temps ont changé peut-être, mais une femme, ce sont ses enfants. Je ne veux pas que mes belles-filles prennent la planification familiale (sic) pour ne pas faire d’enfants » (Vieille dame sur ses 70 ans).

Visiblement, les méthodes contraceptives ne semblent pas avoir vie facile au Burkina Faso. Les femmes les redoutent, tantôt à cause des rumeurs sur leurs effets secondaires, tantôt (et notamment chez les femmes les moins instruites) parce qu’elles craignent la réaction de leurs maris et leurs belles-familles. Les agents de santé, de leur part, ont des difficultés à faire passer les messages : « Quand une femme vient en consultation post-natale, nous lui proposons une méthode contraceptive, mais très peu adhèrent » nous dit une sage-femme. « Certes, quelques femmes ressentent des effets secondaires, mais c’est une minorité et souvent il suffit de changer de méthode. Mais dès que ça commence, elles abandonnent » ajoute-t-elle.

Pourtant, selon plusieurs voix en faveur de la planification familiale, il en va de la santé de la femme et de son enfant, en plus de leur épanouissement. Quiconque de nos lecteurs ait des enfants ne peut pas le nier : s’occuper d’un enfant est un travail à temps plein et toute maman qui travaille sait quelles acrobaties souvent elles doivent faire pour pouvoir joindre leurs rôles de mères, épouses et travailleuses.

Plus les enfants sont nombreux, plus il est difficile de se dédier à une activité rémunératrice, soit-elle dans le secteur formel ou informel : ainsi, souvent l’équation qui associe une femme au foyer à un plus grande nombre d’enfants et – à l’opposé – une femme en carrière à un nombre plus réduit, est vérifiée.

Pour les travailleuses du secteur formel, une grossesse ne pose pas particulièrement de problèmes : elles profitent d’un congé de maternité, durant lequel elles perçoivent leur salaire, et retrouvent leur poste après cette période. Tel n’est pas le cas pour plusieurs employées du secteur non formel, qui risquent tout simplement le licenciement. Mais dans le secteur formel aussi, la situation est moins brillante que cela ne le paraisse : en réalité, les employeurs hésitent à recruter des jeunes femmes de crainte qu’elles ne tombent enceintes dans un court délai.

Cette donne se retrouve un peu partout. En Italie, l’une des réactions les plus fréquentes des femmes concerne justement ce point : « Je n’ai pas besoin d’un ‘fertility day’, donnez-moi plutôt un salaire équivalent à celui de mes collègues hommes et une loi qui interdise aux employeurs de me demander mes intentions de maternité lors de l’entretien de recrutement » écrit une jeune femme.

La précarité des conditions de travail des jeunes est évoquée comme l’une des causes principales de la réticence des jeunes femmes italiennes à faire des enfants : « La grossesse dure beaucoup plus que mon contrat » dit une, « Un enfant est à temps indéterminé, mon travail non » renchérit l’autre.

En effet, l’âge moyen pour le premier enfant dans ce Pays est de 32 ans : trop tard selon le Ministère de la Santé mais aussi selon les gynécologues, qui rappellent que toute grossesse au-delà des 35 ans est considérée à risque.

Les réactions mettent en cause aussi l’ensemble des politiques sociales et des conditions économiques des jeunes familles : « Maintenant que la Lorenzin (Beatrice Lorenzin, Ministre italienne de la Santé, ndlr) nous a suggéré de faire des enfants, le Ministre des Finances nous dira comment les entretenir ? ». En effet, entretenir un enfant coûte cher, et cela sous tous les cieux : l’alimentation, la crèche, les couches, la scolarisation, l’habillement…

Des études ont montré que contrairement à la perception généralisée, le coût d’entretien d’un enfant augmente avec l’avancer de son âge. Ainsi, les familles reprochent au gouvernement de ne pas assez faire pour encourager la maternité, à part des campagnes aux slogans dérangeants (voire chronique du 08 septembre).

Au Burkina Faso, plusieurs initiatives sont prises pour aider les ménages à garantir l’accès aux services de base pour les enfants, notamment la santé et l’éducation. La politique de gratuité des soins maternels et infantiles, les cantines scolaires en zone rurale, l’abolition des frais de scolarité pour les filles, visent surtout à faire face à des problèmes très urgents que notre société connaît : la haute mortalité pour des maladies facilement soignables, la déscolarisation des filles ou l’abandon des écoles. Parallèlement, la planification familiale est encouragée comme solution préventive (moins d’enfants, moins de coûts, plus de temps pour conduire des activités productives) mais, comme dit plus haut, elle peine à être acceptée.

Certains perçoivent qu’il serait possible et souhaitable de faire plus, non pas pour réduire la natalité  mais plutôt pour faire de telle sorte à ce que chaque enfant ait la possibilité de grandir en bonne santé, de s’instruire et de mettre ainsi à disposition ses connaissances pour le développement du Pays ; mais pour cela faire, des énormes investissements sont nécessaires, sur la longue période.

D’autres par contre constatent que l’augmentation de la population annule toute croissance (les taux de croissance économique et celui de la population étant très proches…), et prônent ainsi la diffusion de la planification familiale afin de ressentir une amélioration des conditions de vie.

Qu’on demande aux femmes de faire moins d’enfants pour mieux s’en occuper ou d’en faire plus pour inverser la tendance au vieillissement de la population, qu’on leur demande de reculer ou d’avancer l’âge de leur première grossesse, ce qui est certain est que les avis d’une part et d’autre, dans les deux Pays, sont le plus souvent émis par des décideurs, ou des économistes, ou des planificateurs ; néanmoins, rarement ces campagnes donnent le résultat voulu, pour valables que puissent en être les motivations.

Le choix de maternité est une considération personnelle et privée de la femme et – à un degré variable selon les cultures – de son époux ou compagnon : afin d’influencer ce choix, il est impératif de trouver les messages appropriés, ou alors les réactions seront telles quelles nous les avons vues.

Limiter les campagnes à des slogans risque de créer des gros malentendus, voir un refus catégorique : par contre expliquer le bien fondé, évidemment avec un langage adapté à chaque cible, en prenant tout le temps nécessaire pour faire passer son message : c’est ainsi qu’il sera possible d’atteindre le changement souhaite – bien évidemment avec toutes les mesures d’accompagnement nécessaires à encourager ce choix. Le prix pour ne pas le faire suffisamment ou suffisamment bien, sera l’échec…

Monica RINALDI

Chroniqueuse pour Burkina24

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