Résistance à l’oppression coloniale : Qu’en retenir concernant la Boucle du Mouhoun ?

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Dans cette tribune, Hippolyte Domboué replonge dans une partie de l’Histoire du Burkina Faso, notamment dans le compartiment de la résistance contre l’avancée coloniale.

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Par devoir de mémoire, il importe de revisiter la résistance opposée – notamment entre le dernier quart du 19è siècle et la première moitié du 20è siècle – par les populations de la Boucle du Mouhoun à la domination coloniale. Et ce, en examinant comment ces populations organisées en sociétés dites acéphales, ont livré la guerre aux militaires français qui réprimaient, détruisaient les récoltes et brûlaient les villages ; comment elles ont travaillé à échapper aux administrateurs qui recensaient, prélevaient les impôts, recrutaient pour le travail forcé ; et comment elles ont affiché une opposition farouche aux missionnaires (Pères blancs) venus pour les acculturer en les forçant à la reconversion religieuse.

En rappel, les premières colonnes militaires ont sillonné la Haute-Volta à partir de 1887. Cela a eu cours jusqu’à la veille de la deuxième guerre mondiale. Durant toute cette période, les peuples de la Boucle du Mouhoun (région s’étendant approximativement de Bobo-Dioulasso au Sud jusqu’à Lanfièra au Nord, de Sikasso à l’Ouest jusqu’à Boromo à l’Est) ont adopté une certaine homogénéité de comportement dans la contestation et la résistance à cet envahissement guerrier.

Si cette invasion guerrière a facilement arraché la soumission des chefs de villages, elle fera face à une résistance passive et/ou violente opposée par les populations. Ces dernières ont donc refusé d’être victimes de la lâcheté de leurs chefs en affrontant des opérations militaires dites de « pacification ».

Dès 1896, la résistance violente prit la forme d’une guerre de harcèlement des colonnes, obligeant les militaires français à lancer régulièrement des opérations de répression contre des villages qui abritaient les populations qualifiées de « révoltés ». Dans cette dynamique, une fois les récoltes détruites, le bétail décimé, le village incendié, les villageois devaient payer de lourdes amendes. Ces actes de terreur suscitaient l’émergence de nouvelles entités de résistance activement violente dans la région.

En 1897, en dépit de la campagne conjointement menée par Voulet et Chanoine, et de l’intervention de Destenave qui croyait la résistance du « pays san (Samo) définitivement brisé », l’agitation persiste dans cette partie située au Nord-Est de la Boucle du Mouhoun.

Y étaient en effet fréquents, les attaques du courrier, le pillage des convois et plus généralement le refus de se plier aux exigences de l’administration. Face à cette situation, le capitaine Bouvet opta du 19 février au 12 mars 1900 pour une nouvelle méthode ayant consisté en l’occupation militaire des points d’eau jusqu’à ce que les populations assoiffées, se rendent.

Les regroupements dans les villages dits fortifiés

C’est également en 1897 – mais peu après l’invasion du pays San – que le commandant Valet entreprit la « pacification du pays bobo ». Et là, les massacres et les destructions menées contre les Sana (pluriel de San) a vite inspiré les Bobo dans le sens d’une meilleure organisation.

En effet, ceux-ci regroupaient les combattants dans de gros villages fortifiés. C’est ainsi qu’à Mansala en avril 1897, ils réussirent à repousser par deux fois l’assaut des troupes françaises qui, au troisième assaut, parviennent à s’emparer du village qu’elles détruisent. S’en est suivi un nouveau regroupement de résistants à Ouarkoye qui finit aussi par subir la foudre du commandant Caudrelier.

De son côté, la puissance colonisatrice entreprit de faire sillonner désormais les contrées « rebelles », particulièrement celles de la Boucle du Mouhoun, par des colonnes militaires investies de missions que précise Emile Dussaulx (cité par Bernard SOUYRIS dans son ouvrage Résistances à la Colonisation dans la région de la Boucle du Mouhoun) en ces termes : « soumettre les villages récalcitrants qui sont nombreux, achever la soumission de contrées non encore parcourues, les intimider par le passage d’une troupe armée d’assez fort effectif ».

Dans la foulée, le colon entrepris d’obtenir la soumission des populations qui habitaient dans les localités ainsi conquises. Cette deuxième phase de l’invasion coloniale fit confiée à des administrateurs qui trouveront en face, une forte résistance durant particulièrement les premières années de la première guerre mondiale.

Une résistance affichée à travers notamment le non-paiement de l’impôt, le refus des porteurs et prestataires de rendre les services attendus d’eux, l’absence de volontaires pour guider les colonnes, le rejet de l’autorité des chefs imposés par l’administration.

« Nous voulons la guerre […] nous n’acceptons plus l’autorité du Blanc »

Sous sa forme particulièrement violente, la résistance est partie d’une insurrection qui a éclaté à Bouna, en pays Marka. Tout est parti lorsque le 17 novembre 1915, les habitants de ce village (proche de Safané) refusent de fournir des « tirailleurs » pour le soutien à la France engagée dans la première guerre mondiale, et appellent les villages environnants à prendre les armes. Deux jours plus tard (19 novembre), 5 villages de Bouna, Kongoba, Doumakele, Solasso, Moussakongo, répondent activement à l’appel de Bouna. Le lieutenant Maguet est envoyé pour briser la révolte.

Face à la tension des populations, le chef de canton de Safané, venu de Bouna pour appeler à l’apaisement, est accueilli, selon l’ethnologue Bernard SOUYRIS, « par des coups de feu, une pluie de flèches, et un discours vigoureux : « Nous voulons la guerre […], nous ne donnerons pas nos enfants comme tirailleurs, nous n’acceptons plus l’autorité du Blanc »».

Mises en déroute des colonnes militaires

Le lieutenant Maguet décide aussitôt de prendre d’assaut la ville en début d’après-midi de ce 19 novembre 1915. Mais s’étant retrouvé sous le feu violent des assaillants alors qu’il n’a pas assez de munitions, il bat en retraite.

Le lendemain, 20 novembre, presque tous les villages marka des cantons de Tounou, Datomo, Oury, Bagassi, Pompoi, entrent en guerre aux côtés de Bouna. Ayant, lui-aussi, reçu des renforts venus de Dédougou et de Boromo, le lieutenant Maguet tente un nouvel assaut sur Bouna.

« Vers 15 heures, rapporte M. SOUYRIS, la moitié du village brûle […] mais, de tous côtés on annonce au lieutenant des rassemblements importants qui se dirigent vers le village de Bouna et pour tenter de l’encercler. » C’est ainsi qu’une seconde fois, et ce après un combat de six heures, il bat en retraite et se réfugie à Safané.

La révolte gagne rapidement les environs de Dédougou, Mundano, Passakongo, Massala. Des émissaires sont envoyés dans tous les cantons de la Boucle du Mouhoun pour appeler à la mobilisation qui se produit et croît très vite. La dynamique aboutit, à la date du 23 novembre, au ralliement des Bwaba de Ouarkoye, Wakara, Kéra, Bondokuy et Poundou. Et selon les carnets de route de l’administrateur Maubert (cité par Bernard SOUYRIS), les forces mobilisées se déplacent très rapidement : « Dans le triangle de Warkoy, Boromo, Bondokuy, au moins 20 000 rebelles pouvaient rejoindre en un jour un point que nous attaquions.»

Le piège de Sara

La suite se joua dans un enchainement d’affrontements meurtriers d’une gravité extrême entre le 26 novembre et 1er décembre 1915 à Bondokuy où selon Maubert, « Plusieurs milliers de rebelles, de 7 à 8 000 au moins, marchent en colonnes serrées sur nous.

Plusieurs feux de salve, à 600, 500, 400 m, font d’énormes vides dans leurs rangs mais n’arrêtent pas leur élan, qui ne parvient à être brisé qu’à 200 mètres du front de tir. La lutte presque au corps à corps dure jusqu’à 15 heures, quand les assaillants sont repoussés jusqu’à Danfa, laissant 137 morts, dont deux chefs marka influents. ».

Mais le 1er décembre, les militaires français ont dû fuir Bondokuy pour ensuite se voir arrêtés à SARA par 5 à 600 « rebelles »(véritable piège ainsi tendu), parmi lesquels des archers de Wakuy, qui, jusque-là, avaient combattu avec les Français.

Décrivant cet épisode dans une lettre datée du 2 février 1916 au gouverneur général à Dakar, l’administrateur Maubert dira : « Pour passer, il me fallut forcer une double ligne d’ennemis, car l’encerclement était complet, et soutenir à Sara un combat peut-être unique dans l’histoire du Soudan. Pendant une trentaine de kilomètres, j’eus en effet à repousser avec une trentaine de gardes les assauts furieux de plusieurs milliers de fanatiques, et ce avec un nombre limité de cartouches, tout en devant assurer la protection d’un convoi de plus 500 personnes.»

Ce qui, selon Bernard SOUYRIS, a été très impressionnant dans ce contexte, c’est la capacité des peuples de la région de la Boucle du Mouhoun, et au-delà, à se rassembler en quelques jours, par dizaines de milliers, pour combattre les Français ; à se déplacer en quelques heures pour rejoindre des objectifs tactiques communs ; à respecter des choix stratégiques qui impliquaient des guerriers, mais aussi des femmes, des enfants et des vieillards. Des chefs de guerre comme Siaka de Datamo, Yissou de Bono, Domba et Tonou, Bémé et Yahondé de Banou, parcouraient la Boucle du Mouhoun pour organiser la mobilisation générale.

Fossés cachés, flèches empoisonnées dissimulées,…

En termes de tactiques guerrières, ces peuples refusaient le combat en terrain découvert tout en attirant l’armée coloniale dans des villages fortifiés imprenables sans l’usage du canon induisant nécessairement d’énormes pertes en cartouches. Mais à partir du mois d’avril 1915, s’étant rendus compte que la tactique utilisée jusque-là était inefficace, car les réserves en minutions de l’armée adverse se révélaient inépuisables, les résistants ont changé de tactique.

La nouvelle (tactique) a été en réalité, une sorte de guérilla mise en œuvre en barricadant les pistes, en creusant  des fossés recouverts de tiges de mil, en dissimulant des flèches empoisonnées dans le sol, en pillant le courrier, en détruisant les lignes téléphoniques pour ensuite se réfugier en brousse. En dépit de leur ingéniosité dans les stratégies de résistances, le rapport de force tourna en leur défaveur.

Saccages et pillages de missions catholiques

Au fur et à mesure que les colonnes militaires plongèrent les populations dans la terreur et que l’administration s’activait pour leur soumission multiforme, l’implantation des missionnaires s’opérait. Ces derniers cherchant à évangéliser et en même temps à « civiliser » les Africains, en travaillant à dévaloriser – voire interdire – leurs pratiques et rituels traditionnels. En effet, pendant que l’administration affaiblissait l’organisation sociale et politique des villages de la Boucle du Mouhoun, les missionnaires, eux, s’attaquaient aux croyances endogènes.

C’est ainsi que les missions de Bondokuy et de Toma ont été ouvertes en 1913. Entre mars 1913 et août 1914, plusieurs Pères se succèdent à sa tête. Sans doute parce qu’en plus des difficultés internes, ceux-ci étaient confrontés à l’hostilité conjuguée du chef de canton et des Bobo-Oulé de la localité.

Avec l’éclatement de la première guerre mondiale éclate, le père responsable de la mission, appelé lui-même sous les drapeaux, en 1915, laisse la garde de la mission à un homme de confiance, Jean-Pierre Zerbo. La révolte populaire qui a resurgi à partir du 26 novembre, a abouti aux saccages et aux pillages de la mission, son gardien ayant vite fait de trouver refuge à Dédougou.

Un peu plus tôt, et face à des attaques perpétrées respectivement les 6 et 26 mai 1915, mais repoussées, la mission a été transformée au mois de juillet de la même année, en poste militaire occupé désormais par un détachement de 45 « tirailleurs ». Tout porte donc à croire qu’entre les missionnaires et les militaires, un partage des tâches dans une dynamique solidaire, a été préalablement établi pour l’atteinte de leur objectif commun, celui de soumettre militairement et administrativement les peuples de la Boucle du Mouhoun, mais aussi de les récupérer culturellement.

Solidarité combative de part et d’autre

Au regard de l’organisation collective mise en place par les peuples (de très nombreuses différentes ethnies foncièrement hostiles à une organisation centralisée avec un seul et absolument incontestable centre de décision) de la Boucle du Mouhoun dans le cadre de leur résistance à cette domination coloniale, l’on peut convenir que la puissance colonisatrice a trouvé en face une solidarité combative véritablement animée d’un état d’esprit bien au-delà du simple refus des « abus » de la colonisation.

Mais l’administration coloniale a travaillé à une disparition mémorielle en gardant confidentielle, par confinement dans des rapports militaires sans être reprise dans les publications du parti colonial ni dans la grande presse, l’image de ces combattants courageux, solidaires et ingénieux.

DOMBOUE Hippolyte

[email protected]

NDLR : Le titre est de l’auteur

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