Tribune- « Pour une négociation politique tous azimuts au Burkina Faso »

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Dans cette analyse, Jacques Batiéno, professeur de philosophie, prône « la négociation politique », notamment entre le CDP et le MPP.

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Affirmer qu’il règne une tension politique dans notre pays qui est à l’image de celle qui oppose le Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) et le Congrès pour la Démocratie et Progrès (CDP) n’est guère énoncer une découverte. Les frères d’hier sont, en effet, dans un tel rapport de confrontation fratricide que la question se pose de savoir quel réel avantage la démocratie burkinabè en tire.

Notre démocratie a-t-elle encore besoin de s’embarrasser de problèmes de personnes ? Car ce qui est en jeu, dans cette tension, ce sont bien plus des querelles personnelles que des contradictions idéologiques ou politiques. Or, il faut que les uns et les autres prennent conscience de la nécessité de dépasser cette situation, si l’on souhaite un espace politique apaisé offrant la sérénité nécessaire, non seulement à l’exercice normal de la politique, mais aussi et surtout pour un vivre-ensemble plus en cohérence avec les aspirations démocratiques qui sont les nôtres. C’est la cause que je voudrais plaider ici, quitte à être traité de naïf, de rêveur ou de quelque autre qualificatif du même type.

La diplomatie, dans son essence, dans la mesure où elle doit assurer le contact entre deux ou plusieurs interlocuteurs (en l’occurrence des États), ne peut recourir à la force. Son moyen de prédilection est le dialogue, ce qui passe inévitablement par la négociation. Mais, est-il encore besoin de le rappeler, la diplomatie n’est pas l’apanage des relations internationales.

A quoi bon, en effet, être un excellent diplomate dans ses relations avec les autres États si, dans ses relations nationales internes, avec les différents interlocuteurs du cru, on est en échec ? Assurément donc, il faut aussi faire usage de la diplomatie à l’interne, dans ses rapports avec les autres partis politiques par exemple. Pour cela, il faut tabler sur la négociation dont je veux me faire ici le chantre.

Contrairement à l’opinion commune, entrer en négociation avec quiconque, même son pire ennemi, n’est pas signe de faiblesse. Au contraire, c’est la preuve, s’il en est, de sa force intérieure et de son audace. Négocier, ce n’est pas dire à l’autre qu’il a tort et que nous avons raison ; c’est plutôt l’art de conduire l’autre à la conclusion qu’il a bien raison d’accepter ce que nous lui proposons, parce qu’il fait le constat que nous faisons, de notre côté, un geste d’ouverture dans lequel il tire quelque avantage précieux.

Ainsi, l’objectif de la négociation est d’aboutir à un accord où chacune des parties trouve son compte avec une plus ou moins grande satisfaction, car il y a toujours un ‘‘grand gagnant’’ et un ‘‘petit gagnant’’. L’essentiel est que chacun prenne conscience de l’intérêt et de l’avancée que lui confère l’accord par rapport à la situation qui précède celui-ci. Il s’agit donc de la recherche d’une équité, qui n’est pas ici synonyme d’égalité. Pour cela, il faut que l’on prenne le temps de se parler et de s’écouter.

Au vu de ce qui vient d’être énoncé, il n’est pas difficile de comprendre qu’il serait souhaitable et grand temps que nos politiques, de part et d’autre, entrent en négociation, qu’ils se rapprochent afin de trouver un ou des accords, voire faire des alliances pour permettre à notre démocratie de trouver ou de retrouver sa sérénité. Il suffit pour cela de faire preuve de volonté politique.

Quand on connait leur histoire politique récente, qui aurait pu imaginer une alliance entre ces trois hommes politiques que l’on considère comme étant les têtes du pouvoir actuel ? De fait, la principale clé de la réussite en politique, c’est l’union. François Mitterrand gagne la présidentielle de 1981 grâce à l’union de la gauche. Si Alassane Ouattara peut gagner deux présidentielles, c’est grâce au Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP). Le CDP qui, à une époque l’avait bien compris, car ce parti est né de l’union ou de l’alliance entre plusieurs partis politiques, a fini par oublier cette condition sine qua non de la réussite en politique.

En politique en effet, il faut non seulement chercher à élargir son champ électoral au-delà de son propre parti politique, mais il faut toujours et dans le même temps trouver les moyens de négocier au sein de son parti afin d’éviter toute frustration qui pourrait conduire à une scission ou une désunion, source d’affaiblissement politique faisant le lit de la défaite politique. C’est une maxime que le CDP a peut-être fini par comprendre à ses dépends, après avoir commis l’erreur, d’abord de ne pas avoir entendu Salif Diallo en 2009 (à qui l’histoire a fini par donner raison) ; ensuite en détrônant de la direction du parti, sans raison politique objective, Roch et Simon en 2012.

Une erreur stratégique fatale, alors même que le parti défendait une position sur l’article 37 qui était source de clivage et de défiance dans le pays, et qui n’avait l’adhésion ni des hommes et des femmes bien pensants, ni du peuple et encore moins de la communauté internationale. Ce n’est pas au plus fort de la guerre qu’il faut écarter les meilleurs généraux de son armée.

Il faut juste espérer que chaque acteur (le CDP d’une part, et Roch, Salif et Simon d’autre part), au sortir de ces manigances, ait pris la mesure des choses et ait appris aussi bien de ses propres erreurs que de celles des autres. En tout état de cause, ironie du sort, ces différentes erreurs politiques du CDP ont engendré le meilleur exemple de réussite de ces dernières décennies, après le CDP lui-même, d’une union politique. Une belle leçon de politique que l’on pourrait qualifier comme étant de bonne guerre, Une belle revanche prise dans les urnes.

Mais la tâche de l’homme politique ne doit pas s’arrêter à la victoire, car il faut ensuite assurer la gouvernance qui comprend aussi la paix politique. La victoire politique ne doit pas être source d’arbitraire dans l’action politique, et la revanche prise dans les urnes ne doit pas se transformer en revanche dans les actes. Le fait est que la situation politique actuelle est malsaine, et le débat politique tourne en bataille de chiffonniers. Les récentes déclarations du MPP et de la Coalition pour la Démocratie et la Réconciliation nationale (CODER) en sont une belle illustration.

 La création de la CODER a sa légitimité politique. Quoi de plus normal pour un groupement de partis politiques que de se coaliser pour des raisons politiques ! La majorité présidentielle n’est-elle pas constituée d’un regroupement de plusieurs partis politiques ? La CODER ne pouvait pas non plus rester insensible à la sortie du MPP dont les accusations étaient assez graves.

En espérant qu’on en reste là dans ce jeu de ping-pong politique, il faut avouer que cet épisode nous a ramenés quelques décennies en arrière, à l’époque des luttes révolutionnaires. Cela rabaisse le niveau du débat politique tout en portant préjudice à notre démocratie. Si l’époque révolutionnaire est bel et bien révolue, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le regrette d’ailleurs, il faut reconnaître qu’aujourd’hui il est nécessaire de faire la politique autrement.

Qu’est-ce donc et en quoi cela consiste-t-il ? Il s’agit de rompre avec l’esprit de vengeance, avec la haine de l’autre, avec le règne de l’arbitraire, car dans le cas inverse, on n’œuvre que pour soi-même. Faire de la politique autrement, c’est œuvrer véritablement pour le peuple en se mettant à son service et non en l’instrumentalisant. Faire de la politique autrement, c’est aussi œuvrer à une justice qui fasse son travail dans l’application impartiale de la loi et dans le strict respect de la régularité des procédures de justice. C’est un principe essentiel de tout système juridique démocratique.

Dans cette perspective, la négociation reste la voie privilégiée. Exhorter la majorité et l’opposition à se retrouver autour de la table afin de réfléchir sur les voies et moyens d’une réconciliation du pays avec lui-même n’est donc pas une idée insoutenable. Dès lors, inévitablement, la question de la justice, qui constitue la source ou la cause de tout cet embrouillamini politique, va se poser.

La position idéale à tenir alors serait que tous ceux qui sont liés à une affaire quelconque (crime de sang, crime économique, etc.), tous sans exception, qu’ils soient actuellement au pouvoir, proches du pouvoir ou pas, fassent l’objet d’une information judiciaire. Si la justice les juge responsables, qu’ils soient alors condamnés selon la loi. Mais cela n’est qu’une position idéale, car ce qui est possible dans l’idée ne l’est pas toujours exactement dans la réalité de la vie pratique.

Il serait profondément surréaliste de penser que des éléments du pouvoir ou proches de celui-ci et qui ne sont pas en disgrâce, susceptibles de faire l’objet d’une information judiciaire, acceptent ou facilitent un tel projet (certains esprits dénoncent alors une justice à deux vitesses). A moins qu’une décision politique audacieuse du Président du Faso, la raison d’État, ouvre la voie à cette perspective.

Je suis convaincu que la solution, pour sortir de cette impasse, doit être politique, elle doit être issue d’une décision politique. Non pas seulement de ceux qui sont au pouvoir, mais une décision politique concertée issue de l’ensemble de la classe politique burkinabè à part égale dans la représentativité.

Cette décision, qui sera la conséquence d’une large négociation politique, devra être rendue publique dans une cérémonie solennelle (ainsi le peuple sera pris à témoin), et devra trouver une mise en application immédiate et sans réserve ni condition. Mais, comme dans toute négociation, il y a aussi des forces ou parties prenantes périphériques, celles qui ne sont pas autour de la table et qui n’ont pas moins d’influence. Ces forces doivent être, d’une manière ou d’une autre, impliquées dans ces tractations.

Je pense ici aux organisations de la société civile et à l’ancien Président Blaise Compaoré. Pour la première partie, cela ne constitue pas une difficulté majeure, car elles sont déjà parties prenantes dans le dialogue national. En revanche, pour le cas du Président Compaoré, c’est bien une autre affaire. Pourtant, qu’on le veuille ou non, son ombre et son cas planeront sur toute négociation politique du type de celle que je propose. C’est pourquoi je me permettrai d’exhorter à des pourparlers entre le Président Roch et le Président Compaoré. Le premier doit accepter de s’y engager, et le second doit être dans des dispositions favorables à cela.

Le Burkina Faso est aujourd’hui victime de son passé, un passé plus ou moins lointain et un passé immédiat. Ce passé est lourd puisqu’il est jonché de morts, et c’est tout le problème. Les morts doivent être honorés, et ils méritent que justice leur soit rendue. Mais les morts ne doivent pas être instrumentalisés et ils ne doivent pas nous empêcher d’avancer. Ce n’est pas un argument juridique, mais moral. Aussi, serai-je tenté de dire que la décision politique que je préconise doit trouver ses fondements dans un cadre moral. Je reste persuadé que c’est une erreur de confier le sort du Burkina Faso au seul droit qui semble dépassé par les événements. Il faut se resituer dans un cadre moral qui doit accompagner l’armature juridique fournie par nos institutions, car notre pays, dans son cheminement, est parvenu à un certain degré de sens moral.

C’est ce cadre moral qui doit servir de référence dans cette nécessité de trouver un compromis juste et équitable, sans vengeance ni haine, entre nos visions aujourd’hui opposées. Certes, cette histoire est aussi celles des fautes morales commises par certains d’entre nous. Mais est-ce une raison pour nous empêcher d’agir de façon morale (face à des gens qui ne l’ont pas fait en leur temps) pour le bien commun et pour prendre un nouveau départ ? Thomas D’Aquin considérait la morale comme l’expression d’un droit divin supérieur que nous nous devons, dans certaines circonstances, de suivre. N’oublions jamais cet impératif qui est chargé de sagesse.

Je terminerai par un aveu. Je me suis souvent surpris à rêver d’une négociation, qui aboutirait à une alliance, entre le MPP et le CDP. Une recomposition de la famille en somme avec la conséquence que cela entrainerait de la reconstitution d’une grande force politique, une réconciliation de la famille qui pourrait prédestiner une réconciliation nationale. Mais cela n’est qu’un rêve de philosophe, en espérant qu’il soit encore permis de rêver.

Paris le 27 octobre 2016

Jacques Batiéno, professeur de philosophie, Paris (France)

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