Tunisie : Le racisme sous l’œil d’une journaliste tunisienne

publicite

Le racisme s’exprime partout, sous plusieurs formes. Dans ce témoignage, Zouhour Harbaoui, journaliste tunisienne, raconte comment il se manifeste en Tunisie contre les Noirs. Un article publié sur son profil Facebook que nous reprenons pour vous.

Je m’appelle Zouhour Harbaoui. Je suis née en France et j’y ai vécu 26 ans. J’ai été journaliste à Tunis-Hebdo pendant 18 ans. J’ai vécu un an (2004-2005) à Dakar au Sénégal où j’ai travaillé pour la première chaîne de télé privée, la RTS2S (actuelle 2STV) pour laquelle j’ai conçu, réalisé et présenté une émission culturelle, «Culturama». J’ai vécu quelques mois au Bénin où j’étais mariée à un Béninois. Je me suis rendue dans divers pays d’Afrique subsaharienne, outre le Sénégal et le Bénin : la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Cameroun, le Tchad, l’Afrique du Sud et le Mali.

La suite après cette publicité

On m’a demandé aujourd’hui d’apporter mon témoignage sur la discrimination raciale chez nous. Mais avant de commencer je souhaiterais lire un petit extrait du livre du Sénégalais Léopold Sédar Senghor, «Les fondements de l’unité africaine» (1963) : «Ce qui nous lie est au-delà de l’histoire – il est enraciné dans la préhis­toire. Il tient à la géographie, à l’ethnie et, partant, à la culture. Il est antérieur au Christianisme. Il est antérieur à l’Islam : il est antérieur à toute colonisation. C’est cette communauté culturelle que j’appelle africanité. Je la définirai, comme «l’ensemble des valeurs africaines de civilisation», qu’elle apparaisse sous son aspect arabo-berbère ou sous son aspect négro-africain, l’africanité présente, toujours, les mêmes caractères de passion dans les sentiments, de vigueur dans l’expression. Je reconnais un tapis africain de celui de tout autre continent. Ce n’est pas par hasard si telle mosaïque du musée du Bardo res­semble à tel pagne malien».

En France, j’ai été victime de racisme et je comprends donc ce que cela signifie être victime de racisme ou de «discrimination raciale». Quand je suis arrivée ici, j’ai découvert la «discrimination régionale». Je suis du gouvernorat de Siliana par mon père et du gouvernorat de Sidi Bouzid par ma mère. Puis, j’ai «(re)découvert» le racisme envers les Noirs africains subsahariens et des noms comme «Guirda» (singe) ou «Guira-Guira». En arrivant ici, quand je me promenais avec des amis étudiants africains subsahariens, je croisais le regard méprisant des gens, j’entendais leurs insultes, etc.

J’ai, également, découvert la «discrimination raciale» envers les Noirs tunisiens. Je n’arrivais pas à comprendre qu’un peuple comme celui des Tunisiens, victime de racisme sous d’autres cieux, soit raciste.

En 1998, j’ai assisté à une scène qui m’a choquée. Je couvrais la cérémonie de clôture des Journées cinématographiques de Carthage. C’est «Faraw, une mère des sables» du réalisateur malien Abdoulaye Ascofaré qui obtint le Tanit de bronze. Le prix a été remis par l’actrice syrienne Raghda. Mais au moment où Ascofaré a pris son Tanit et a voulu donner à Raghda le traditionnel baiser, celle-ci l’a repoussé avec un air de dégoût. La salle a commencé à rire et personne n’a élevé sa voix pour protester contre cette attitude raciste. Je commençais dans le journalisme et je n’ai pas réagi. Ce que je regrette jusqu’à présent.

C’est sûrement tout cet ensemble qui m’a poussée inconsciemment à écrire sur les cultures africaines dès que l’occasion se présentait : Journées théâtrales de Carthage, Journées cinématographiques de Carthage, différentes journées culturelles des étudiants africains subsahariens en Tunisie, etc. Evidemment et pour dire vrai cela m’a créé certains problèmes. On m’a demandé d’arrêter d’écrire sur les «Africains». J’ai remarqué que personne n’écrivait sur les Africains subsahariens, sur leurs cultures, ou s’il y avait des articles, ils étaient superficiels. Certains m’appellent la spécialiste de l’Afrique. En fait, je ne suis spécialiste de rien du tout. J’ai juste pris un créneau de libre qui m’a permis de découvrir et de faire découvrir des cultures et des personnes considérées comme de la lie de par leur couleur de peau.

J’ai tenu bon. J’ai continué d’écrire jusqu’à ce que cela devienne une «normalité» ou presque. Même après la révolution, les choses n’étaient pas évidentes. Une «pseudo-journaliste» m’a adressé un mail d’insultes (que j’ai gardé en souvenir) où l’on peut lire : «Bosse bien et boucle ta page culturelle, dont tous les papiers parlent de nègres». Un autre «pseudo-journaliste», originaire de Médenine, m’a dit une fois : «Je lis tous tes articles sauf ceux qui parlent des Noirs». Je lui ai répondu à travers à un article dans le numéro du 4 novembre 2013 en p 4 de Tunis-Hebdo : «Avertissement ! Warning ! Achtung ! Si vous êtes comme ce «collègue» qui lit tous mes articles sauf ceux que j’écris «sur les Noirs», vous pouvez vous arrêter là. Si vous êtes de nature curieuse, si vous êtes intéressés, ou si vous n’êtes pas du tout complexés, vous pouvez continuer. Car cet article, en deux parties, concerne un «Noir» et mon prochain article, Inch’Allah, concernera un autre «Noir». Et je continuerais à écrire sur les «Noirs» tant qu’ils le méritent. Chacun est libre. Tant qu’on n’essaye pas de connaître l’autre, car trop imbu de soi, on n’arrivera jamais à le comprendre».

J’ai également écrit côté «social». J’avais une chronique qui s’appelait «Du tac au tac», j’ai écrit sur les Africains subsahariens, leurs problèmes. J’ai reçu des courriers d’insultes, où l’on me traitait de prostituée des Noirs, et autres jolis mots de cette sorte. Mais j’ai continué. Quand je ne pouvais pas écrire pour une raison ou autre dans les colonnes de Tunis-Hebdo, j’envoyais mes articles gratuitement à un site qui s’appelle le grioo.com, comme «Etudiants d’Afrique noire en Tunisie : ‘guira guira’» (en date du 10/08/2007).

Les derniers articles en date que j’ai écrits pour Tunis-Hebdo sur les Africains subsahariens au niveau du social concernaient la situation des bonnes sénégalaises en Tunisie, en octobre 2014, et le diplomate sénégalais qui a été agressé, début juillet 2015, par des policiers à l’aéroport de Tunis-Carthage. Affaire que j’ai essayé de suivre lors d’une interview que j’ai faite à Touhami Abdouli, à l’époque Secrétaire d’Etat chargé des affaires arabes et africaines ; interview dans laquelle j’ai également parlé du racisme chez nous.

J’ai déclaré à Abdouli «Avant de proposer un tourisme au marché africain subsa­harien ne faudrait-il pas trouver une stratégie pour que la plupart des Tunisiens soient moins racistes et plus accueillants envers leurs frères de couleur ?», en insistant sur le fait qu’il ne fallait pas se leurrer, les Africains subsahariens sont très mal considérés chez nous : étudiants malmenés, agressés par la police, insultes fusant aux passages de visiteurs venus de pays d’Afrique subsaharienne, etc. Ses réponses ont été très diplomatiques comme «(…) Les actes d’agression vis-à-vis de nos frères africains résidant en Tunisie sont inadmissibles et considérés comme des actes isolés qu’on ne peut tolérer. La Tunisie restera éternellement une terre de tolérance et de fraternité. Les Tuni­siens sont connus par leur civisme et par un degré relevé d’instruction».

Terre de tolérance, j’en doute fort. Béno Sanvee, un artiste togolais à qui les Journées théâtrales de Carthage ont rendu hommage cette année, a été agressé verbalement par une personne qui s’occupait des départs des invités des JTC. Cette personne lui a dit : «Monsieur, vous êtes la misère !». J’ai adressé, en date du 30 novembre dernier, un courrier au ministre actuel des Affaires culturelles pour porter, entre autres, l’incident à sa connaissance…

Avant de passer à mon témoignage sur les «Noirs tunisiens», je voudrais donner ceux de l’auteure sénégalaise Mariama Ndoye, et du réalisateur burkinabè Boubakar Diallo. La première, dans son livre «D’abidjan à Tunis» (Frat Mat éditions/Abis éditions) écrit, en page19, parlant du temps où elle habitait notre capitale : «Les arrivants africains qui travaillent dans la nouvelle banque [La BAD] et leurs familles, ces énergumènes que nous sommes, qui remplissent leurs chariots au supermarché de manière indécente, vont chercher leurs enfants à l’école en BMW, sont les locataires potentiels», et en page 72 : «Un matin, un jeune homme m’aborde avec désinvolture devant l’école maternelle (…) Je me demande un moment si c’est l’amour de la mécanique qui le fait parler ou le fait de voir une femme noire au volant d’une grosse cylindrée qui le dérange».

Le second, dans l’épisode 6 de la série «La sacoche», produite par «Les films du dromadaire», fait dire à un personnage féminin : «Moi, je suis burkinabè d’origine africaine. Moi, je suis burkinabè née au Gabon, à Libreville. Ma mère vient du Mali et mon père est ivoirien originaire du Congo. Moi, j’ai fait mes études à Tunis. Et je rêve de vivre au Sénégal», intégrant ainsi notre pays dans l’ensemble africain.

J’ai commencé à écrire, dans Tunis-Hebdo, sur les Noirs tunisiens suite au cas de Sarra. C’était le 1er octobre 2001. Sarra est de mère noire tunisienne et de père ivoirien. Cette jeune fille n’a plus supporté les remarques et les réflexions racistes de ces camarades de classe et d’une de ses professeurs, raillant son nom de famille. Sarra a fait une tentative de suicide en se jetant d’un des étages de son lycée rue de Russie. Elle est handicapée à vie.

En 2010, et plus précisément le 15 février, j’ai écrit une chronique dans laquelle je parlais de divers faits de société, dont un concernant un Noir tunisien vivant dans notre Sud. J’avais intitulé ce passage «Black is black».

J’avais écrit : «Avec ce paragraphe (…) je crois que je vais en entendre certains hurler et que je vais être insultée ! Mais tant pis, je préfère être insultée et dire la vérité que de me taire et de jouer les hypocrites ! Il y en a déjà trop chez nous ! Alors, ceux qui se prétendent descendants de la race aryenne, qui ont les idées d’Hitler sans le savoir, ne lisez pas ce qui suit ! Nous sommes racistes ! Mais racistes grave de chez grave ! Et le pire dans tout ça, c’est que, en plus d’être racistes avec certains étrangers, nous sommes racistes entre nous ! Pourtant, il me semble que nous sommes tous tunisiens ! (…) J’ai entendu une histoire qui se serait déroulée dans le Sud de notre pays, il n’y a pas si longtemps que ça. Certaines personnes voulaient proposer un homme de peau noir originaire de la région pour la représenter à la chambre des députés (…). Il y a eu une levée de bouclier de la part de plusieurs «personnalités» de la zone qui se seraient écriées : «Un Noir pour nous représenter ! ? Jamais !». Du coup à renfort de récriminations, on a retiré le nom de cette personne noire…».

En 2011, dans le numéro de Tunis-Hebdo du 2 mai, sous le titre de «Absence bien présente : quand l’affiche s’en fiche», je mettais à l’index une affiche de l’Initiative Citoyenne et l’absence des Noirs tunisiens et écrivais : «Alors que partout, à travers le monde, les concepteurs d’affiche jouent sur la diversité culturelle ou autre, celui qui a réfléchi à celle de l’Initiative Citoyenne ne s’est pas encombré de principe et a oublié (?) que la Tunisie a également comme citoyens des Noirs, qui, faut-il le rappeler ?, sont tunisiens sur plusieurs générations. Et ils ont été présents lors de la construction de l’Histoire de notre pays à tous ! Alors pourquoi cette absence bien présente sur cette affiche ?».

Toujours en 2011, dans le numéro suivant, à savoir du 9 mai, je faisais une interview de Sami Gasrini, premier présentateur de couleur à la Télé nationale.

Le 18 novembre 2013, j’ai écrit un article sur deux Tunisiens qui ont été victimes d’un acte raciste parce qu’ils étaient noirs

Le 16 mars 2015, j’ai fait un article sur Yassine Trabelsi, sportif tunisien noir. Normalement, je ne devais pas écrire ce papier puisqu’il concernait un sportif mais comme mon «collègue» a refusé d’écrire sur lui, j’ai pris la décision de le faire et d’ailleurs je l’ai expliqué dans une sorte d’intro en disant : «(…) aujourd’hui, c’est au tour d’un autre sportif de passer dans cette page puisqu’on lui a refusé le droit de cité en pages sport pour cause (non officiel) de couleur de peau, malgré le fait qu’il soit multi-champion de taekwondo.».

J’ai également écrit sur d’autres supports comme «Star Magazine» sur le racisme dont a souffert Yasser Letifi, un jeune arbitre noir tunisien, et sur le site webdo.tn, «Un ministre tunisien noir ? Yes we can ? No, we don’t want», «Un ministre tunisien noir ? Oui, nous pouvons ? Non, nous ne voulons pas»…

J’espère que cette journée nationale contre la discrimination raciale ne sera pas récupérée politiquement car depuis 18 ans rien n’a été fait. Merci.

❤️ Invitation

Nous tenons à vous exprimer notre gratitude pour l'intérêt que vous portez à notre média. Vous pouvez désormais suivre notre chaîne WhatsApp en cliquant sur : Burkina 24 Suivre la chaine


Restez connectés pour toutes les dernières informations !

publicite


publicite

B24 Opinion

Les articles signés B24 Opinion sont soumis par nos lecteurs et/ou des libres penseurs et n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page
×