Sylvestre Amoussou, réalisateur : «J’ai décidé de parler positivement de l’Afrique »

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Sylvestre Amoussou est un réalisateur franco-béninois basé en France depuis une trentaine d’années. Il a commencé sa carrière dans le théâtre, puis le cinéma. Cependant, les propositions de rôles pour des acteurs africains sont fort limitées. Cela l’incite à devenir réalisateur de cinéma, ce qui lui permet d’exprimer des idées qui lui tiennent à cœur. C’est ainsi qu’il réalise entre autres « Africa Paradis – Et si l’immigration changeait de camp » et « L’ORAGE AFRICAIN un continent sous influence » qui est sélectionné dans la compétition officielle pour le FESPACO 2017 au Burkina Faso  du 25 février au 04 mars 2017. Interview.

Burkina24 (B24): Parlez-nous du début de votre histoire d’amour avec le cinéma.

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Sylvestre Amoussou (S.A.) : Je suis né en 1964 au Bénin de parents béninois. Après des études d’administration économique et sociale, ne trouvant pas de travail, ne cernant pas le système de pensée des Français, j’ai décidé de m’inscrire au théâtre pour m’ouvrir, rencontrer et comprendre cette nouvelle culture.

Dès mon début au théâtre j’ai signé des contrats en tant que comédien puis les rôles au cinéma se sont enchaînés.

Les rôles que j’incarnais sans aucune exception transmettaient une image négative de l’homme noir et par conséquent, de l’Afrique.

Aussi, animé du besoin de rétablir une certaine vérité, j’ai décidé de passer derrière la caméra pour construire un cinéma moderne, loin des clichés ou encore du misérabilisme habituel. Sans le savoir, j’allais engager un combat extrêmement difficile. Uniquement parce que j’avais décidé de parler positivement de l’Afrique, de mon continent.

Je voulais permettre aux Africains à travers mes films de rêver comme tout autre peuple d’une autre Afrique, rêver d’une Afrique forte, responsable, unie, libérée de toute emprise extérieure.

Il faut que les mentalités changent, que les Africains prennent leur destin en mains en n’acceptant plus d’être des assistés, qu’ils aillent vers la démocratie. La réalité africaine n’en est pas encore là, mais c’est le chemin qu’il faut sans cesse indiquer pour que chacun de nous ait envie de s’y engager.

J’ai donc décidé d’utiliser les mêmes armes que l’occident,  «  l’image ».

Ainsi, après plusieurs courts métrages, en 2002 je me lance dans la réalisation de mon 1er long-métrage 35mm « AFRICA PARADIS – Et si l’Immigration changeait de camp ». Dans ce film, je pars du postulat que l’Afrique est riche, puissante, a réussi son unification, l’Europe elle, est décadente. Donc l’immigration change de camp : ce sont les Blancs, les Européens, qui vont au consulat des Etats-Unis d’Afrique pour se voir refuser leur visa. Dès lors,  ils décident de partir clandestinement.

Ce film reçut un véritable succès d’estime non seulement en France, mais également en Afrique, aux Etats-Unis, au Japon, au Mexique, au Venezuela…

Dans mon second long-métrage  « UN PAS EN AVANT – Les Dessous de corruption »,  j’aborde le détournement de l’aide humanitaire en haut de l’échelle sociale et notamment par les politiques aussi bien européens qu’africains.

Etant tout à la fois réalisateur et comédien, j’ai obtenu pour ce film le prix de la meilleure interprétation masculine au FESPACO 2011.

Aujourd’hui, mon dernier film « L’ORAGE AFRICAIN un continent sous influence »  qui est mon film le plus abouti vient d’être sélectionné en compétition officielle au FESPACO 2017.

B24: Justement. Parlez-nous en davantage.

S.A. : « Que se passerait-il si un Etat africain défiait l’occident ? ». Le président de la République d’un pays imaginaire en Afrique, qui souffre de voir les richesses naturelles de son pays uniquement exploitées par des entreprises occidentales, décide de nationaliser tous les moyens de productions installés sur son territoire par des étrangers : puits de pétrole, mines d’or, de diamants, coltan.

La bande annonce

Burkina24

Evidemment, les occidentaux apprécient peu. Un combat féroce s’engage alors, où tous les coups sont permis. Surtout ceux qui sont interdits. Qui va gagner ?

B24:  Quel est l’objectif visé en touchant un sujet aussi politique que sensible ?

S.A. : Ce film propose une lecture moderne du néocolonialisme et de l’impérialisme ainsi que des nouvelles forces en présence qui permettent une nouvelle distribution des cartes, une autre possibilité de gouverner. A travers « L’ORAGE AFRICAIN un continent sous influence » je dépeins tout le mal que les politiques occidentaux déploient pour garder l’Afrique dans leur giron, pour la contrôler même si les enfants d’Afrique doivent mourir.

Le film aborde les problématiques majeures de gouvernance à travers la dépossession de notre monnaie avec le FCFA, notre manque d’industrialisation et de transformation des matières premières qui créeraient de nouveaux emplois et qui ajouteraient de la plus-value directement destinée à la caisse de nos Etats. La protection de nos entreprises ainsi que de nos terres. La protection de nos paysans en gardant nos droits  de douanes, notamment vis-à-vis des continents extérieurs

A travers ce film, je veux amener les peuples africains et occidentaux à comprendre le système de destruction depuis des années du continent africain qui se décide dans les coulisses du pouvoir entre politiques africains et colonisateurs, à l’insu des citoyens et par conséquent de la dépossession du pouvoir de décision et de réflexion des peuples. Dépossession qui a également lieu par l’intermédiaire du jeu de la désinformation des médias.

B24: Parlez-nous des conditions de tournage de ce long-métrage.

S.A. : Comme je vous l’ai expliqué, je ne savais pas qu’en voulant filmer une autre image de l’Afrique j’allais déclencher une bataille féroce. Et je pèse mes mots.

Pour mon premier film j’avais réussi à obtenir quelques fonds du système habituel du financement des films africains (ce système ne connaissait pas encore mon cinéma engagé).

Pour « L’ORAGE AFRICAIN un continent sous influence », l’ensemble de ces institutions décidèrent de me « couper les vivres » en espérant ainsi que je cesserai mon cinéma.

C’était mal me connaitre. Je me suis donc encore battu plus intensément. J’ai réussi à collecter des fonds auprès de panafricanistes convaincus et amoureux de mon cinéma. Désireux de voir ce cinéma- là sur les écrans. Un cinéma qui redonne fierté et espoir au peuple africain. Et qui explique aux Européens le système dévastateur de leurs  politiques. J’ai également eu la chance de travailler avec des gens incroyables qui m’ont soutenu et m’ont offert tout leur talent.

Il est largement temps que les Africains financent eux-mêmes leurs images. Je me plais à dire « celui qui paie l’addition est celui qui décide du menu ».

B24: Quel est votre regard sur l’état actuel du cinéma africain ?

S.A. : C’est un désert total. Je ne parle pas pour ces réalisateurs qui se battent jusqu’à la mort parfois.

Mais pour nos politiques qui ne comprennent absolument pas l’importance de posséder et transmettre son image. L’importance de protéger sa culture et par conséquent son cinéma.

Quand je vois que les politiques laissent certains « destructeurs » de l’Afrique installer allègrement leurs salles de cinéma sans aucun cadre, aucune contrepartie, aucune protection de notre cinéma… Jusqu’ici, aucun système mis en place par nos  gouvernements ne nous aidait dans le financement de nos films.

Mais pire, bientôt, même si nous réussissons l’exploit de tourner un film nous ne pourrons même plus le distribuer dans nos salles. Et là encore, notre image sera détenue par l’étranger. L’Afrique doit posséder le triptyque Production – distribution- Exploitation. Sans oublier bien évidement les entreprises techniques ainsi que la formation des techniciens et comédiens.

Mais il faut également mettre en place un système de contrôle, notamment pour la remontée des recettes, des droits d’auteur, du piratage. Quel que soit les pays, là où le système existe, le contrôle existe et par conséquent génère de l’argent et permet au cinéma d’exister.

B24:  Du  haut  de  vos  nombreuses  années  d’expérience  en tant  que réalisateur, quelles sont selon vous les qualités d’un excellent réalisateur ?

S.A. : L’opiniâtreté –  Etre un bon chef d’orchestre – Etre sincère et généreux – Aimer ses comédiens tout simplement.

B24: Le FESPACO est à sa 25 édition. Que représente pour vous le fait de participer à ce festival ?

S.A. : Le FESPACO est pour moi le plus grand festival du cinéma africain, une grande fête du cinéma africain.

Un moment de partage, de rencontre avec son public, un lieu incontournable du cinéma où tout réalisateur africain doit être. Je suis très fier et ému de présenter mon film au FESPACO.

B24: Selon vous, quelles sont les chances de votre long-métrage pour le sacre de l’Etalon du Yennega ?

S.A. : Mes deux premiers films malgré l’engouement des spectateurs et leur soutien total n’ont pas reçu l’Etalon de Yennenga. Mais vous savez,  la parole ne reste jamais secrète…

J’espère vraiment que le nouveau départ est là et que le sacre de l’Etalon du Yennenga se fera en total indépendance de pensée. Si tel est le cas, alors je dirai que mon film a toutes les qualités pour obtenir l’Etalon de Yennenga.

Je profite de cette question pour remercier le Burkina, digne patrie de Sankara et Hommes intègres, car sans cette intégrité, cette indépendance, je ne suis pas sûr que je pourrai vous présenter « L’ORAGE AFRICAIN un continent sous influence ». Alors merci au festival de permettre cette indépendance du cinéma, de permettre au cinéma africain de briller pour quelques jours, de permettre à l’œuvre créée de rencontrer son public.

Mais je ne vous cache pas que je serai très fier, très honoré de soulever l’Etalon de Yennenga avec un tel film.

Merci à la rédaction de Burkina24 ! 

Interview réalisée par Kouamé L.-Ph. Arnaud KOUAKOU

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