Avant-projet de Constitution : L’exemple-type d’un mauvais contrat social géniteur d’ « apatrides » !

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Ousmane Djiguemdé, dans cette tribune, met sur la table du débat, l’avant-projet de Constitution du Burkina Faso.

Ceci est l’exception qui confirme la règle ! J’ai définitivement décidé de déposer ma plume, pas parce que j’ai peur qu’elle me dépose avant, mais pour continuer le combat sur un terrain plus discret. Néanmoins, comme le débat sur la nouvelle constitution, à laquelle j’ai appelé à voter « non », s’intensifie, je me dois d’apporter quelques éléments de précision. Tout l’avant-projet n’est pas mauvais, mais l’essentiel n’est pas conforme à notre niveau de développement et d’espoir démocratiques !

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Tout est à inventer dans ce pays pauvre et aride

S’il y a un propos, au Burkina Faso, qui traduit fondamentalement l’engagement de tout un peuple dans la perception de son désir de changement et de leadership engagé et responsable, c’est bien ce slogan de Thomas SANKARA « Oser inventer l’avenir ». Quand on aspire à diriger ce peuple, comme le disait SANKARA, « on ne s’engage pas à lutter aux côtés des masses populaires pour devenir chef d’État. On lutte, puis la nécessité de s’organiser fait qu’il faut quelqu’un à un poste donné » (Jean-Philippe RAPP, 1986). Tout le contraire des autres ! Dans ce pays pauvre et aride, tout est à inventer et tout est audace depuis 1983.

Pour un peuple que la nature n’a pas particulièrement gâté, les efforts pour garantir aux citoyens de meilleures conditions de vie sont parfois herculéens, à tel point qu’il est difficile de comprendre l’empressement du nombre croissant d’hommes politiques à vouloir le gouverner, si ce n’est pour des motivations inavouées, puisque, comme l’affirmait SANKARA, « on ne décide pas de devenir Chef d’État, on décide d’en finir avec telle ou telle autre forme de brimade, de vexation, tel type d’exploitation, de domination. C’est tout » (Jean-Philippe RAPP, 1986).

Contre ces motivations inavouées, le constituant burkinabè de 1991 a pris des précautions, en imposant un système de redevabilité qui oblige le Chef de l’Administration publique, le Premier Ministre, à engager la responsabilité de son gouvernement devant l’Assemblée nationale, par une Déclaration de politique générale (DPG) soumise à un vote de confiance ou de censure (articles 116 et 117, Constitution), et à rendre compte de sa mise en œuvre annuellement, à travers un Discours sur la situation de la Nation (article 109, Constitution) qui n’est pas soumis à un vote.

La constitution de 1991 taillée sur mesure pour un homme

Malheureusement, ce système actuel de redevabilité qui détermine l’architecture de la gouvernance politique et administrative du pays, contredit dans son principe, l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789, source de plusieurs dispositions nationales et communautaires en matière de redevabilité des gouvernants et de l’administration, qui dit que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration », donc le Chef de l’État y compris.

Il le contredit parce qu’il met à l’abri un Chef d’État, placé au-dessus de cette obligation de redevabilité sur le projet de société qui l’a pourtant porté au pouvoir. Paradoxalement, c’est lui qui fixe les grandes orientations de la politique de l’État (article 36, Constitution). Il s’agit-là d’une mauvaise imputation de la responsabilité politique, à partir du moment où la même constitution laisse la possibilité d’une autre majorité que celle présidentielle, à la tête de l’Administration publique, et qui peut être porteuse d’une autre vision stratégique pour l’État.

Ceci est d’autant plus problématique que cette attitude du constituant de 1991, dont faisait partie Me Halidou OUEDRAOGO, a entretenu une fuite de responsabilité politique du Chef de l’État d’alors et occasionné des défauts d’imputabilité politique et administrative des actes et attitudes de l’administration et de ces agents, depuis 1991, qui ont éloigné le pays de la saine gouvernance, par manque de clarté de l’imputation de l’action administrative.

Difficile de mettre en œuvre le contrôle citoyen de l’action publique

Avec l’émergence des organisations de société civile et l’importance de leur pression dans le sens de la redevabilité des acteurs politiques et administratifs, cette fuite de responsabilité devient comme un passe droit qui ne favorise pas la mise en œuvre du Contrôle Citoyen de l’Action publique (CCAP), nouveau paradigme de la redevabilité. De la base au sommet, le relâchement de cette exigence de redevabilité, consacrée par la constitution de 1991, impacte négativement la production des outils d’évaluation, la disponibilité de l’information administrative y relative, et surtout le respect des normes et processus liés à la reddition de comptes des acteurs.

Par ailleurs, en soustrayant le Discours sur la situation de la Nation (DSN) du chef de l’administration publique du vote (article 109, Constitution), le système actuel de redevabilité entérine la fuite de responsabilité politique consacrée par une Constitution taillée sur mesure, selon le CGD, et lève du coup la responsabilité de l’Administration et de ses agents dans la mise en œuvre des politiques publiques, puisque celle-ci n’engendre ni conséquence politique, ni action administrative et/ou pénale récursives.

D’autre part, l’habitus politique dans les États modernes a fini par intégrer le projet de société comme élément déterminant dans l’attribution du mandat électif à l’échelle nationale ou locale. Au Burkina Faso, cette habitude est née avec le retour à l’ordre constitutionnel normal en 1991 et est fermement liée aux dispositions précitées sur le système de redevabilité. Mais, avec les réélections successives de Blaise Compaoré, le faible niveau de conscience politique et d’alphabétisation, très peu de gens faisaient vraiment attention au contenu des projets de société des candidats aux élections présidentielles ou communales.

De 2015 à 2017, avec la combinaison entre éveil des populations et besoins pressants des citoyens, même si tous les projets de société n’ont pas été passés au peigne fin, jamais projet de société d’un candidat victorieux n’a connu autant de critiques. Mieux, l’attelage du projet de société du Président Roch Marc Christian Kaboré avec la DPG du Premier ministre THIEBA a été compris par les populations, qui ont aussi suivi la formulation de son référentiel de mise en œuvre : le Plan national de développement économique et social (PNDES).

Difficile de formuler des référentiels pertinents de politiques publiques

Si dans les démocraties évoluées, comme aux USA, dès les premiers jours de prise de fonction, le Président élu peut commencer à mettre en œuvre son projet de société, déjà disponible sous forme de plan, au Burkina Faso, le projet de société du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), parti du Président, ne connaît pas encore d’exécution parce que son plan, le PNDES, après être passé par une phase de formulation laborieuse, tarde à donner naissance aux politiques sectorielles indispensables à sa mise en œuvre.

Il nous est arrivé à plusieurs reprise d’alerte l’opinion sur le danger de l’architecture actuelle de la gouvernance politique et administrative, telle qu’adossée à ce système de redevabilité. Malheureusement, l’avant-projet de nouvelle constitution reprend à son compte des dispositions qui remettent en cause des acquis démocratiques nés de l’insurrection populaire où les citoyens et le peuple ont exigé plus de responsabilité des gestionnaires et des agents publics. Ces dispositions sont essentiellement les articles 56, 66, 71, 78, 79, 87, 113, 115, 116, 118, 119, 125.

En les reconduisant, le constituant de 2017 ne promeut pas la saine gouvernance et restreint la dynamique de l’accroissement de l’imputabilité de l’action administrative et de la redevabilité du gestionnaire et des agents publics, dans laquelle nous nous étions lancés avec l’insurrection.

Ce n’est pas étonnant que des défenseurs de la majorité présidentielle, comme le sieur Omar Yugo, se croient obligés de traiter ceux qui, en luttant pour leur bien-être, entravent leurs ambitions d’apatrides ! En parlant ainsi, Yugo ignore que toutes les difficultés de ce référentiel prennent sources dans la Constitution de 1991. En reconduisant ces dispositions, le constituant de 2017 engage simplement l’État sur la voie de la médiocrité des projets de société présentés par les partis politiques.

En effet, en plus d’avoir une faible capacité programmatique, qui ne leur permet pas de produire un bon projet de société, en témoigne ce que le MPP et les autres nous ont concocté en 2015, le système constitutionnel et règlementaire de la redevabilité et de l’imputabilité ne leur permet pas d’avoir accès à l’information administrative juste, afin de produire un bon projet de société, même si par ailleurs ils en avaient quelque capacité.

C’est tout cela qui explique que le PNDES a connu un démarrage laborieux et que jusque-là, aucune politique publique sectorielle n’a été définie pour sa mise en œuvre. Inutile de vous apprendre que le président Roch n’atteindra jamais ses objectifs en fin 2020 ! Ce n’est pas seulement dû au fait que, comme le dit Salifou Diallo, l’argent du PNDES n’est pas encore dans les banques et que ce ne sont que des intentions de financement. C’est ici que la realpolitik rattrape la démagogie par ses bijoux de famille !

Donc, si vous laissez passer cet avant-projet de Constitution alors vous créerez plus d’apatrides dans le futur pour les autres gouvernants qui viendront, puisqu’elle va continuer à fabriquer des projets de société difficiles à mettre en œuvre, à cause du fait que leur prise en charge par l’Administration publique et ses agents sera extrêmement difficile.

Que Dieu bénisse le Burkina Faso et éclaire ses enfants !

Ousmane DJIGUEMDE

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2 commentaires

  1. Bravo Mr , quoi de plus normal, que l’assemblée nationale, qui est l’émanation du peuple sanctionne l’action gouvernementale de façon solennelle.

    Car si la déclaration de politique générale du premier ministre est soumise à un vote de confiance ou de censure devant l’assemblé nationale, la logique voudrait que sa déclaration annuelle sur l’état de la nation le soit aussi!

    J’ajouterai même que cela nous éviterait les mensonges grossiers dont la presse à souvent fait écho suites aux multiples parodies de discours sur l’état de la nation depuis 1991.

    Car imaginez un seul instant, qu’un premier ministre soit débouté par l’AN lors de son allocution sur l’état de la nation… l’exécutif sera obligé de faire mieux la prochaine fois, ou du moins de se justifier, de s’expliquer sur les manquements, et surtout comment il compte redresser la barre au prochain discour du (peut être nouveau) PM…

  2. Analyse pertinente, je pense qu’à partir du moment où il s’agit d’un avant projet de constitution, il serait bien séant de saisir les responsables de cet avant projet de vos critiques afin qu’elles soient prises en compte. Car autrement, on va tout droit dans le mur et l’impunité va devenir constitutionnelle !

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