Opinion : La loi PPP est-elle vraiment sans risques ?

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Ceci est une déclaration de Tang-Kuilga COMPAORE, un opposant burkinabè, sur la loi de l’allègement des conditions d’exécution du programme de projets à réaliser dans le cadre du partenariat public-privé.

Introduction

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Le lundi 03 juillet 2017, dans le bas-fond de Bâoghin, un acte singulier était posé. Le projet de loi, conçu par le régime MPP, sur l’allègement des conditions d’exécution du programme de projets à réaliser dans le cadre du partenariat public-privé, qui consacre la passation des marchés par la procédure du gré à gré, a été adopté en loi.

« En termes clairs, il n’y aura plus de critères objectifs clairs, prédéfinis, avec offre de soumission par tout candidat intéressé, de sélection pour attribuer l’exécution des marchés concernés », explique un citoyen dans un organe de presse de la place. De gré à gré entre qui et qui et dans quelles conditions? Telle est la question.

Lorsque l’on sait que les marchés visés concernent  des secteurs savamment ciblés car offrant des possibilités d’engager des centaines de millions (des centres hospitaliers, des CSPS, des collèges dans les 45 provinces, 13 lycées scientifiques dans les 13 régions, des cités et restaurants universitaires, 2000 forages, l’autoroute Ouaga-Bobo, le bitumage de voies, une unité de montage de tracteurs agricoles,

la construction de backbone en fibres optiques, la construction d’un pipeline entre le Ghana et le Burkina pour le transport du carburant et du gaz, etc.), on ne peut qu’être inquiet, surtout que les cas de corruptions, fraudes et malversations dans l’administration publique burkinabè, régulièrement portés à la connaissance de l’opinion publique, restent généralement sans suite, ou, mieux, leurs auteurs sont récompensés.

C’est cette inquiétude que l’Opposition politique a exprimée lors de sa conférence de presse du vendredi 30 juin 2017, à travers son analyse du forcing envisagé pour faire adopter coûte que coûte le projet de loi, analyse assortie d’une intention clairement indiquée de ne pas se rendre complice de la forfaiture en préparation. L’Opposition politique est restée constante, quittant le théâtre de l’immolation du peuple burkinabè, dont on abuse souvent à volonté.

Un analyste a, dans un média en ligne, avec beaucoup de pédagogie et en toute neutralité, montré les fortunes diverses du partenariat public-privé, à travers le monde (« Les opérations de PPP à succès existent et ont été menées sur tous les continents… A contrario, les échecs retentissants ou semi échecs sont également à foison »). Que faut-il y ajouter, sinon que le partenariat public-privé est un partenariat, c’est-à-dire une entente dans laquelle chacune des deux parties recherche et entend garantir ses intérêts ?

Et lorsque l’on nous affirme qu’un tel procédé est sans risque, étant donné que c’est l’investisseur qui met en jeu son argent (« Il s’agit, en réalité, lorsqu’un partenaire privé dispose de ressources techniques et financières dans un domaine donné, (…) pense qu’il a les capacités, il peut venir volontairement à nous pour nous dire qu’il est capable de le faire. »), il se pose une question toute simple : qui de l’argentier et du mendiant a logiquement un ascendant sur l’autre ? Si le cadre logique de chaque projet listé ne comporte aucune colonne « risques », il faut le reprendre. Car, s’il s’agissait de charité, nous applaudirions.

D’où provient cette urgence soudaine qui justifierait un énième allègement des procédures, après les millions de francs CFA dépensés dans des ateliers de formation des agents publics sur le budget programme depuis 2004,  le décret n°2017-0049/PRES/PM/MINEFID du 1er février 2017 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public, le décret n°2008-173/PRES/PM/MEF du 16 avril 2008 portant réglementation générale des marchés publics et

des délégations de service public, le principe de l’élaboration des plans de passation des marchés à n-1 et la sélection des prestataires à six mois avant le début de l’année d’exécution afin de respecter les procédures des marchés publics (adopté par le dernier gouvernement TIAO), les recommandations de la deuxième édition du forum des acteurs des marchés publics qui s’est tenue à Ouagadougou les 18 et 19 septembre 2014, le rapport relatif à de « nouvelles propositions de mécanismes d’allègement des procédures de passation des marchés publics et des délégations de service public au Burkina Faso dans le cadre de la mise en œuvre du Programme présidentiel pour l’année 2016 » adopté le 16 mars 2016 en  Conseil des Ministres,

la loi relative au traitement des comptes dormants dans les livres des organismes financiers du Burkina Faso du 03 mai 2016,  la feuille de route portant « amélioration des procédures de passation des marchés publics et des délégations de service public au Burkina Faso » du 25 mai 2016, le décret portant application de la loi n°020-2016/AN du 22 juillet 2016 relative à l’allègement des conditions d’exécution des projets et programmes et activités de développement du 03 août 2016, la loi portant réglementation générale de la commande publique au Burkina Faso du 02 décembre 2016, le décret 2017-0049/PRES/PM/MINEFID portant procédures de passation, d’exécution et de règlements des marchés publics et des délégations de services publics ?

Quel bilan a été fait de tous ces dispositifs censés garantir la bonne gouvernance économique ? Que fait-on des recommandations d’organismes supranationaux dans le sens d’une gouvernance économique vertueuse (directive n°04/2005/CM/UEMOA portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de services publics dans la zone UEMOA, analyse d’impact des réglementations recommandée par l’OCDE) ? D’où surgit cette soudaine urgence, s’il est vrai qu’il s’agit de « la traduction concrète du programme du président dans les faits », programme qui a été adopté par le peuple en novembre 2015 ?

Quid des mesures fortes prises lors du conseil des Ministres du 02 mars 2016 dans le sens de l’exécution de ce programme présidentiel ? « La demande sociale très forte » date-t-elle de maintenant ? Les projets identifiés ne relèvent d’aucune urgence, mais du devoir quotidien de l’Etat. Il est demandé des mesures d’exception pour six mois. Six mois pour réaliser les 38 projets ou pour passer des contrats mafieux avec des prête-noms, des amis, des parents, des militants ?

Ou serait-ce alors avec des opérateurs de pays influents qui auraient conditionné la concrétisation de leurs promesses de financement du PNDES à cette modalité, qui écarterait bien de concurrents sérieux ? Cette hypothèse a été confirmée, lors de l’émission télévisuelle « Controverse » du jeudi 06 juillet dernier, lorsqu’un des porteurs de la nouvelle loi a expliqué l’invite faite à l’IDE à travers le PPP par la faiblesse financière des opérateurs Burkinabè. Dans tous les cas, il aurait mieux valu « aller se promener ou jouer au football », plutôt que de se livrer une telle vente aux enchères de notre pays. Le Peuple est invité à contrôler. Que doit-il contrôler ?

Les signatures des contrats ou l’exécution des travaux ? De qui prétend-on se moquer ? Prétexter, en 2017, « la lourdeur des procédures » pour se livrer à la légalisation de procédures ésotériques de passation de marchés est non seulement un pied du nez aux braves techniciens nationaux (qui savent ce que leur demandent les PTF) et aux auteurs de  la loi n°20-2013/AN du 23 mai 2013 portant régime juridique du PPP au Burkina Faso, mais encore de la poudre de perlimpinpin, proposée par des gens qui seraient arrivés au pouvoir en fin 2015 comme « la solution »  aux  préoccupations des braves populations laborieuses du Burkina, sans doute patientes mais pas dupes.

La loi en question

-De l’exposé des motifs

La légèreté de l’exposé des motifs est déconcertante : aucune analyse n’est faite sur le « constat de la faiblesse du  taux de contractualisation des PPP » (cela est-il imputable à un manque d’intérêt de l’Etat ou du privé pour le PPP, à un obstacle particulier ?) Par ailleurs, l’investissement devrait relever d’une programmation normale pour un Etat responsable et non d’une quelconque urgence. Le partenariat Public-Privé n’est pas une nouveauté (même si le régime actuel semble le découvrir), il se noue et se met en œuvre dans des conditions normales de contractualisation. L’objectif du projet de loi est de permettre d’agir, pour deux catégories d’acteurs : le gouvernement  et le privé. Question aux juristes : quelle est la finalité d’une loi ? Enfin il convient de vérifier l’harmonie entre cette loi et la loi 20-2013/AN du 23 mai 2013.

-Du contenu de la loi

Intéressons-nous rien qu’à l’article 4 de la loi : c’est le boulevard pour le népotisme et la corruption que l’Opposition a dénoncé. A propos des 38 projets décidés par le gouvernement, le commentaire global que l’on peut en faire, est que des secteurs vitaux, qui devraient être au cœur de l’intervention de l’Etat (santé, éducation, énergie, eau et assainissement), sont proposés à des opérateurs économiques, dont on sait que le moteur de l’action est la recherche du profit. La détresse des populations sera sans bornes, d’autant que, vraisemblablement, l’opérateur retenu rentabilisera d’abord sa réalisation avant de la passer à l’Etat.

Des implications de la loi

Cette loi sera un canif Suisse pour le gouvernement. Elle sera une aubaine pour les amis du régime en place pour se remplir les poches, avec bien entendu, une dîme à payer à l’autorité qui a attribué le marché. Au passage, les entrepreneurs non connectés  au régime se verront sanctionnés par le refus de leur accorder le moindre lot de marché. Elle permettra au gouvernement, en mal de légitimité et d’efficacité, d’ouvrir de nombreux chantiers, dans un désordre total, mais cela donnera aux populations l’illusion que quelque chose est enfin fait. Cette loi, parce qu’elle est une provocation à l’endroit de l’Opposition (qui ne peut qu’y réagir), permet de diaboliser cette Opposition comme étant réfractaire au bonheur du Peuple.

Si le coup de poker est réussi, il y a fort à parier que le régime en place aura régulièrement recours au gré-à-gré comme modalité de passation des marchés publics. Mais ce canif a tout de même des revers. Cette loi est un désaveu de la compétence des Burkinabè, notamment des techniciens et entrepreneurs, qui seraient incapables  de mettre en œuvre des règles normales dans l’exécution des marchés publics. Dans le même sens, à s’interroger sur les limites des agents de l’Etat, on est en droit de se demander si le problème n’est pas plutôt leur mauvais emploi, à travers par exemple leur grande mobilité consécutive aux changements des responsables des départements, induisant une valse des collaborateurs, comme on peut le constater.

Conclusion

Les errements du régime actuel, animé par les anciens hommes forts du régime de Blaise Compaoré, qu’ils qualifient maintenant de diable, coûteront chers au Burkina et aux Burkinabè. Passons sous silence le fait que de prétendus socio-démocrates enfoncent chaque jour davantage notre pays dans l’endettement, car une dette demeure telle, qu’elle soit extérieure ou intérieure. Les revers du régime actuel s’accumulent et semblent créer en son sein la panique. Quelques exemples : sur les dossiers judiciaires, l’on prétend juger les complices de la répression de l’insurrection d’octobre, par les bons soins d’une Haute cour de justice dont on n’a pas pris soin de vérifier si son couperet n’est pas coincé, sans dire ce qu’il adviendra des auteurs.

Sur le même dossier, il est étonnant que l’on s’intéresse aux conséquences de l’insurrection et non à ses causes ! La précipitation avec laquelle l’on prétend juger les « responsables » des conséquences de l’insurrection ne peut qu’être suspecte lorsque l’on considère tous ces dossiers  de crimes de sang et de crimes économiques qui défraient la chronique depuis des décennies dans notre pays et dont on dit qu’ils avancent. Comme on a pu le constater, la machine judiciaire du MPP et de ses alliés vient d’être désavouée par le groupe de travail des Nations Unies sur les détentions arbitraires. Il ne serait pas étonnant qu’ils connaissent  d’autres désillusions, dans leur désir de punition aveugle.

Sur la question de la sécurité du territoire et des citoyens, pour justifier son incapacité, le régime en place passe son temps à accuser son prédécesseur. De la même façon que ce prédécesseur a pu faire face à la menace terroriste, de sorte que le sang d’aucun Burkinabè n’a été versé, nous voulons voir le régime actuel y faire face, car il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau, inventé après leur accession au pouvoir. Sur le front social, les nombreux mouvements de protestations des syndicats en disent long sur les performances de ce régime, en termes de capacité de négociation et de réponses aux justes revendications des travailleurs. Sur un autre plan, l’on peut constater ce qu’est devenue la notion d’organisation de la société civile sous ce régime. C’est tout simplement dégoûtant ! L’arrogance dont fait montre ce régime est symptomatique et nous rappelle douloureusement un passé récent.

L’urgence exhibée comme alibi pour légaliser la promotion du népotisme s’explique uniquement par un calcul froid : il reste au régime en place deux ans et demi dans leur quinquennat  (puisque 2020 est une année électorale). Pas grand-chose n’a changé depuis l’insurrection d’octobre. Au contraire, bien d’indices indiquent une aggravation des tares reprochées au précédent régime. Il faut alors faire d’une pierre plusieurs coups : engager un faisceau de chantiers et en profiter pour se faire une réserve en numéraire  dans l’optique de l’achat des voix aux prochaines élections, provoquer l’Opposition et lui imputer ensuite l’échec de la mise en œuvre « d’un programme d’urgence salutaire ».

Ce qui s’est passé le lundi 03 juillet 2017 est le summum du cynisme. Dans le même temps et le même mouvement que l’on se donnait le droit légal de piller les ressources  (quémandées ou empruntées) du pays afin de préparer 2020, l’on présentait ceux qui s’y opposaient comme des apatrides. Machiavel n’aurait pas pu en faire autant !

De toute évidence, cette loi ne porte pas sur le PPP, mais sur le programme présidentiel qui a tardé à se mettre en mouvement, alors que le compte-à-rebours a commencé pour le premier quinquennat du régime. Mais tout peuple mérite son roi, ses sages et ses érudits. Vers l’an 49 av. J.C., César, de retour d’une campagne militaire, arriva au Rubicon. Violant la loi du sénat qui siégeait à Rome après quelques hésitations, il traversa la rivière avec ses troupes armées. Pompée prit alors la fuite, laissant le champ libre à l’audacieux. Le Rubicon aura-t-il été franchi, avec le vote de cette loi ? Alea jacta est !

L’Opposition politique, comme toujours, de façon responsable, a joué son rôle. Elle a attiré l’attention du Peuple sur ce qui se préparait. Elle a adressé ses interrogations et inquiétudes à qui de droit. Elle s’est désolidarisée de la manœuvre sordide. La polémique provoquée par l’Opposition politique a déjà porté du fruit : le gouvernement a été obligé de communiquer et de fournir des informations supplémentaires (même si les contorsions de certains missionnaires du pouvoir en place pour faire avaler la quinine font sourire) et l’opinion publique est prise à témoin. Quoi qu’il en soit, l’Opposition politique sera présente à l’heure du bilan.

Tang-Kuilga COMPAORE

Un opposant politique burkinabè

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