À Khouribga, on se souvient de Idrissa Ouédraogo

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Le festival du cinéma africain de Khouribga (FCAK) est un moment privilégié de rencontre  et d’échanges entre  cinéastes africains à travers les débats d’après minuit auxquels il est difficile de se soustraire malgré les paupières lourdes, tant les débats étaient vivants. La séance de ce jeudi 21 décembre 2018 a été consacrée aux cinéastes disparus au cours de l’année, notamment le Burkinabè Idrissa Ouédraogo et le Tunisien Taieb Louhichi.

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Idrissa Ouédraogo, disparu en début d’année, était présent au festival de Khouribga. Une salle et la deuxième meilleure  récompense du festival portent  son nom. Le cinéaste l’a bien mérité, selon le président de la fondation.

« Si nous avons nommé une salle en son nom, si nous avons donné son nom à l’un des meilleurs prix du festival, si nous l’avons invité il y a 8 ou 9 ans pour présider le jury, c’est que nous le tenons en très bonne estime et Idrissa nous rendait exactement la pareille. Nous pouvons lui demander tout ce que nous voulons ici au festival de Khouribga, il n’a jamais économisé ses efforts », a laissé entendre Nour-Eddine Sail, le président de la fondation du festival.

Et ce n’est pas tout. Un hommage particulier lui a été rendu au débat de minuit. Les organisateurs ne le l’ont pas voulu formel  mais un hommage de cœur avec les mots d’amitié, d’amour, des mots de sincérité.

Les amis et professionnels présents à cette édition se rappellent donc de ceux qui ne sont plus parmi eux. C’est avec la voix nouée, souvent des phrases entrecoupées que certains témoignaient de ce qu’était l’homme et de ses œuvres.

Maguey Kassé, critique de cinéma sénégalais : « C’est quelqu’un qui était extrêmement attachant. Chaque fois qu’on voyait Idrissa, c’était le grand sourire, le grand rire, c’est comme s’il faisait le pied de nez à la vie.

La meilleure chose qu’on puisse faire pour ces gens-là ce n’est pas du formalisme mais de les garder dans nos cœurs. On dit chez nous c’est le cœur qui pleure, ce ne sont pas les larmes qu’on voit…

Ce que je retiens de lui chaque fois qu’on se rencontre à Ouagadougou et ici à Khouribga, c’était un moment… c’est quelqu’un qui a énormément d’interrogations, il s’interroge sur beaucoup de choses. Au-delà de ses créations cinématographiques, c’est quelqu’un qui était préoccupé par beaucoup de choses qu’il dévoilait par bribe en mon sens ».

Demba Cissoko Kabili, journaliste sénégalais, lui parle de sa rencontre avec lui qui remonte à 2003, des sujets qu’ils abordaient quand ils se rencontraient.

« Quand on s’intéresse au cinéma en Afrique, il y a forcément des noms dont Idrissa Ouédraogo. Quand je l’ai croisé, j’étais un peu intimidé mais on a échangé un peu. A chaque fois que je repartais pour le FESPACO ou entre deux FESPACO pour mes activités, on se rencontrait et il m’a demandé à chaque fois qu’on se voit que j’écrive un article, on l’a fait 4 ou 5 fois.

Mes deux dernières rencontres remontent à Khouribga puis à Ouaga pendant Ouaga Film Lab à un master class qu’il animait et que je modérais. Deux jours après j’ai été le filmer chez lui et il me parlait de son parcours, son cinéma, de ses projets.

La dernière question que je lui ai posée c’est de savoir s’il allait filmer « Boukay Koutou », son projet de film qu’il avait avec le même enthousiasme qu’avaient ses débuts et il me dit ce sera avec plus d’enthousiasme parce que je sais mieux filmer maintenant.  En ce moment, on le retrouvait affaibli après des années de maladie mais on avait retrouvé l’enthousiasme du cinéaste, l’homme plein d’humour qui pouvait inviter les gens à prendre des bières jusqu’à l’aube.

Il était toujours inquiété pour la présence des cinémas de  l’Afrique sur la carte. Lui en a été un exemple pour avoir  placé le cinéma africain à un niveau de visibilité jamais atteint. Mais c’était l’homme qui était resté simple, j’ai rarement vu Idrissa dans une voiture à Ouaga, il marchait, il discutait entre deux endroits parce que les gens le sollicitaient.

C’était aussi l’homme inquiet parce que peut-être blessé par des attitudes de personnes qui l’ont combattu d’une certaine façon, il en a souffert mais il s’était relevé de ça pour écrire son scénario sur son film pour le FESPACO qui arrive.

Hormis les relations professionnelles, il m’avait pris pour le grand-frère qui parle au petit-frère. C’était l’homme qui mettait l’ambiance qui mettait tout le monde à l’aise dans les discussions ».

L’atmosphère est lourde. Certains ne finiront pas leur témoignage et préfèrent arrêter de peur d’éclater en sanglots. Et Nour-Eddine Sail, modérateur pour chasser la tristesse, ironise, « ne faisons pas des saints nos amis. C’était de bons viveurs aussi. De là où ils sont, ils doivent se marrer de nous ».

« La belle vie », Idrissa l’aimait et Dimitri Sètondji, cinéaste béninois en sait quelque chose pour avoir passé deux semaines à ses côtés. Il retient de lui quelqu’un qui aimait la vie mais qui prenait son travail au sérieux.

«  Je ne l’ai pas beaucoup côtoyé, ça m’a fait mal quand j’ai essayé de le rencontrer  au FESPACO et je n’ai pas pu. Invité au Bénin en 2015 pour un master class, j’étais chargé de l’accueillir, je mettais tant préparé pour accueillir l’homme avec tous les formalismes possibles et je me rends compte qu’il était très simple, il n’était pas protocolaire. Ce qui m’a vraiment marqué c’est dans la nuit qu’il commence à vivre. La nuit il m’a dit, tu aimes la vie, je dis oui, il me dit c’est ça le cinéma.

J’avoue que ce n’était pas dans mes habitudes de rester dehors au-delà de certaines heures mais la première fois que j’ai rencontré l’homme, on est resté de 1h du matin à 6h, et il vivait. Je me disais mais c’est comme ça qu’il vit et il fait son cinéma ? Mais c’est le lendemain que j’ai compris qu’il avait tellement de profondeur, si tu lui mets une barrière il est dérangé, c’est l’homme qui te prends la main et t’explique  et qui t’explique tout.

Il me dit, est-ce que tu connais de petits coins et tout ce que moi j’avais préparé dans sa tête véhicule et tout, le monsieur s’en foutait pas mal de ça, pour lui ce n’est pas ça la vie.

Je me rappelle aussi quand on prenait la route parce qu’il devait quitter Cotonou pour un master class dans une région, à 50 km il me dit : je descends pour discuter avec les villageois, mais je vous assure, il avait fait une déclaration terrible  aux villageois, et je me disais intérieurement on dirait que ce monsieur connaissait le Bénin avant.

J’ai beaucoup appris de lui après deux semaines passées avec lui, j’ai compris qu’il aimait tellement la vie mais il prenait son travail au sérieux.

J’ai été choqué quand j’ai appris sa mort alors qu’un mois avant on discutait sur sa venue au Bénin…Quand je suis allé au consul du Burkina au Bénin pour présenter les condoléances, je le voyais encore avec sa joie, son humour sans façon parce qu’il n’aime pas trop le formalisme. Je crois qu’il m’a mis tellement à l’aise c’est un monsieur que je continue de pleurer parce que  ce sont de grands noms qui sont restés dans l’histoire du cinéma africain, qui ne nous a pas suffi ».

De Taieb Louhichi, ses pairs retiennent de lui un grand cinéaste, amoureux du Sénégal. Son amour pour le Sénégal était tellement fort que quand il est décédé, sa fille Maya avait envie de voir tout ce qui son père avait fait, suivi ses traces.

Baba Diop, professeur et critique de cinéma, l’appelle le plus Sénégalais des Runisiens. Fidèle en amitié, c’était celui qui savait filmer le désert. Il est amoureux fou du désert. Avec lui, le désert n’était pas qu’un paysage mais un personnage dans son film.

On s’est rappelé de bien d’autres acteurs du cinéma tels que Hammed Arious, homme discret travailleur dont les traces de son dynamisme parleront pour lui.

Pour tous ces moments de rencontre  et de tissage de liens entre les cinéastes,  Mansour Sora Wade, réalisateur, plaide pour que le festival continue de vivre, faisant allusion aux difficultés rencontrées qui ont repoussé sa tenue en décembre.

« A Khouribga, dit-il, on trouve de vrai public ici, on trouve des gens qui aiment le cinéma. Tout ça me donne envie de pratiquer ce métier. Ce festival doit continuer à exister parce que même avec ceux qui ne sont plus là nous continuons les dialogues, parce qu’il y a réellement des choses qui se passent ici ».

Revelyn SOME

Burkina24

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