Tribune │ Eco : L’Afrique embarquée dans une nouvelle entourloupe

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Ceci est une tribune de Yisso Bationo sur la monnaie unique de la CEDEAO, l’Eco.

L’affaire avait fini par s’apparenter à une arlésienne.  Annoncée chaque fois en grandes pompes, elle était aussitôt renvoyée aux calendres grecques.  Après 03 décennies de tergiversations,  les dirigeants africains  se sont finalement résolus à doter la  Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) d’une monnaie unique en 2020 ; dénommée Eco. Dans la « croisade » contre le FCFA actuel, le Président du Faso Roch Kaboré a joué un rôle particulièrement déterminant auprès de ses paires. Au moment où beaucoup louvoyaient,  il a affirmé courageusement qu’il fallait rompre les amarres avec la monnaie coloniale qu’est le FCFA. Si le changement du nom de la monnaie est acté,  il reste toutefois d’immenses défis à relever pour une véritable souveraineté monétaire.

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«Je ne peux pas affirmer que cela sera fait d’ici 2020. Mais c’est un débat sur lequel il faut garder l’œil ouvert pour le faire à moyen terme. C’est un gros défi lancé aux présidents de réfléchir pour qu’ensemble nous puissions avoir une monnaie qui permettra de réaffirmer notre indépendance, d’avoir une politique monétaire propre à nous et non pas attelée à une autre monnaie telle que l’euro.» Ainsi s’exprimait le Président du Faso le  en mars 2017  en marge de la clôture du cinquième Forum international Afrique Développement à Casablanca (Maroc).

Le 29 juin 2019, à Abuja au Nigéria, les Présidents ont décidé  de la mise en circulation des premiers billets d’ECO dès 2020. Dans l’esprit du Président du Faso, la nouvelle monnaie devrait être le point de départ d’une relation décomplexifiée entre l’Afrique, la France et les autres pays du monde.

Elle devrait de facto entraîner la fin de cette monnaie née pendant la période coloniale et toujours placée sous la tutelle du ministère français des finances, avec l’obligation pour les pays africains de déposer la moitié de leurs réserves de change auprès du trésor français et la présence de responsables français dans les instances de leurs banques centrales. Son homologue ivoirien Alassane Ouattara n’entend manifestement pas les choses de cette façon lui qui ne veut pas de « rupture brutale avec la France et le trésor français ».

Au terme de la 21ème Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), le Président ivoirien a tenu à clarifier sa position. « En 2020, soutient-il,  l’ECO, la nouvelle monnaie adoptée par la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), remplacera le Franc CFA, mais il n’y aura pas de changement immédiat de parité avec l’euro ». Aujourd’hui le taux de change de l’Euro par rapport au franc CFA est de 655,957 FCFA. Selon Alassane Ouattara, le passage à l’ECO devrait, pour les dix prochaines années au moins, s’inscrire dans cette même dynamique… Se basant sur les critères de convergence,  l’option envisagée est de commencer avec les 08 pays de l’UEMOA en 2020. Dans ce scénario, le Nigéria et le Ghana sont exclus d’office.  

Comme on peut le constater, il y a donc déjà de l’eau dans le gaz. Tout change pour que rien ne change. Malgré le passage à l’Eco,  les réserves de la BCEAO resteront domiciliées au trésor français. Ceux qui pensaient que l’annonce de la nouvelle monnaie unique de la CEDEAO mettrait fin au FCFA, sont invités à déchanter. Paris est en passe de réussir son pari, une énième fois : partir tout en restant. Tout se passe exactement selon la volonté d’Emmanuel Macron qui était favorable à un « changement de nom » du FCFA.  Aujourd’hui, les défis auxquels les pays africains sont confrontés avec le FCFA ne se résument pas à une simple question de changement de dénomination.

La monnaie a des conséquences économiques, commerciales, stratégiques, culturelles et même militaires. On comprend dès lors pourquoi le Nigéria exige depuis 2017  des pays de l’UEMOA le plan de divorce avec le Trésor français.

Mettre fin à la servitude volontaire

 Le Franc CFA est une monnaie qui pose problème. Héritage colonial et post-colonial, sa compatibilité avec le processus d’émergence des 15 économies africaines qui l’utilisent, est une vraie question économique. Sa persistance, presque 80 ans après sa création le 26 décembre 1945, renvoie à la question sensible de la souveraineté politique des Etats africains. Les mouvements sociaux qu’il déclenche depuis quelques années posent à n’en point douter, la question de la demande d’émancipation des jeunes.

Sur la question de la souveraineté politique, il paraît étrange que les banques centrales indépendantes de leurs Etats respectifs au sein de la zone Franc que sont la BCEAO (Afrique de l’ouest) et BEAC (Afrique centrale) ne tentent pas de nouer une coopération directe avec leur consœur de Frankfort, la Banque centrale Européenne (BCE), toute aussi indépendante et surtout émettrice de l’Euro, auquel le Franc CFA est rattaché. Au contraire, les banques centrales de la zone Franc passent par le Trésor public français -donc le ministère des Finances d’un Etat membre de la zone Euro- pour obtenir la garantie de la parité fixe entre le Franc CFA et l’Euro, en contrepartie du dépôt auprès du Trésor public français, d’au moins 50 % des réserves de change de la zone Franc.

Par ailleurs, la fabrication des billets et pièces CFA reste, plus d’un demi-siècle après les indépendances, le monopole de la France et des usines de la Banque de France. Au-delà de la simple relation de sous-traitance technique revendiquée régulièrement par les banquiers centraux de la zone Franc, il est difficile de ne pas lire dans l’inertie de cet arrangement contractuel, une sous-traitance de la souveraineté monétaire des Etats de la zone Franc.

Il faut mettre fin à cette servitude volontaire. En la matière, responsables politiques africains, intellectuels, organisations de la société civile africaine sont fortement interpellés. La mobilisation doit être générale. Les contours de l’Eco tels qu’envisagés n’incitent guère à l’optimisme.

En 1983 déjà, dans une interview accordée à Mongo Beti pour le compte de la revue « Peuples noirs, Peuples africains », le leader révolutionnaire burkinabè Thomas Sankara donnait sa position sur le F CFA qu’il jugeait au service de la domination française. « Que la monnaie soit convertible ou inconvertible n’a jamais été la préoccupation du paysan africain. Il a été plongé à son corps défendant dans un système économique contre lequel il est impuissant. Il faut, je pense, l’organiser pour qu’il se protège contre les méfaits d’un tel système.

C’est là que se situe le problème, dans la mesure où la monnaie n’est pas isolée de tout système économique. Dans ce cadre, je dirai que le franc CFA, lié au système monétaire français est une arme de la domination française. L’économie française et, partant, la bourgeoisie capitaliste marchande française bâtit sa fortune sur le dos de nos peuples par le biais de cette liaison, de ce monopole monétaire. C’est pourquoi le Burkina se bat pour mettre fin à cette situation à travers la lutte de notre peuple pour l’édification d’une économie autosuffisante, indépendante. Cela durera combien de temps encore, je ne puis le dire… ».

Du FCFA à l’Eco ? Il n’ y a pas meilleure entourloupe !

Jérémie Yisso BATIONO

Enseignant chercheur

Ouagadougou

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Un commentaire

  1. Aucun président concerné, depuis la fin de ce sommet, n’a évoqué la question de cette monnaie dans son pays. Beaucoup attendent de savoir quelles sont les orientations voulues sur cette nouvelle monnaie. Nous saurons dans les mois à venir si nous avons à la tête de certains états des présidents ou des « gestionnaires de projets » mis à la tête de nos états de façon habile pour défendre purement et simplement les intérêts français au détriment de ceux de leurs peuples.
    Let’s wait and see.

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