Freeman Tapily : « L’important est dans servir autrui »

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A l’état civil, il se nomme Idrissa Sawadogo. Mais il est connu sous le pseudonyme de Freeman Tapily. Il se définit comme « citoyen du monde, citoyen africain et citoyen burkinabè ». Artiste reggae-maker burkinabè et promoteur du festival « Un vent de liberté » qui se tient dans les maisons d’arrêt et de correction du Burkina Faso, Burkina 24 est allé à la rencontre de ce ‘’bon samaritain’’, en juillet 2019. Très engagé dans le milieu carcéral, Freeman Tapily œuvre depuis plus de 10 ans pour apporter de la chaleur humaine aux personnes incarcérées.

Burkina 24 (B24) : Parlez-nous de votre discographie.

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Freeman Tapily : Jusqu’à nos jours, j’ai fait sortir trois singles. Le premier c’est Incivisme, le second c’est Zem-zem, et le troisième c’est N’na lara n’ara.

B24 : Vous êtes dans le reggae. Au Burkina Faso, cette tendance stagne ou est en progression ?

Freeman Tapily : Le reggae progresse parce que je suis un bel exemple. Avec trois singles, je tourne ma bosse un peu partout dans le monde pour des spectacles, des festivals. On ne peut pas dire que le reggae burkinabè stagne. La force du reggae, c’est son contenu. Quand on y met du sien et quand on y met un message poignant, fort, c’est toujours propre.

B24 : Festival « Un vent de liberté », depuis quand cet événement existe-t-il ?

Freeman Tapily : Le festival est né en 2010. La première édition a eu lieu à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Cette année, nous allons fêter le 10e anniversaire et il va se tenir dans 10 prisons de novembre à décembre 2019.

B24 : Qu’apportez-vous aux détenus via cet événement ?

Freeman Tapily : On apporte la chaleur humaine de l’extérieur aux incarcérés pour qu’ils comprennent qu’ils ne sont pas oubliés, pour qu’ils ressortent étant nouveaux pour se réinsérer dans la société. Et on dit aussi à l’opinion nationale que les portes des maisons d’arrêt ne doivent pas être fermées au monde extérieur.

Il faut qu’on vienne les aider pour qu’ils (les prisonniers, ndlr) ne sortent pas aigris, avec trop de révolte. Qu’ils comprennent qu’ils ont commis, peut-être, des erreurs, mais ce n’est pas la fin du monde. Et que nous sommes dehors, nous sommes susceptibles de commettre ces mêmes erreurs et nous retrouver là-bas. Donc, il faut tout faire pour garder ce côté humain entre nos frères, qu’on puisse se pardonner, parce que la vie de l’homme est faite d’erreurs et de corrections.

B24 : Depuis 2010, quelles leçons avez-vous tirées à travers ce festival ?

Freeman Tapily : Depuis la première édition, nous pouvons dire que nous sommes satisfaits. En 2010, lorsque nous venons dans une maison d’arrêt et de correction, ce n’était pas envisageable d’aller faire un festival. Et notre objectif d’abord, c’était de montrer aux gens qu’on peut venir dans les maisons d’arrêt et de correction et porter les problèmes qui y sont à la connaissance du monde.

Aujourd’hui, il y a beaucoup d’acteurs qui viennent parce qu’ils ont compris qu’on peut y aller, quelle procédure il faut suivre pour y être, quels sont les problèmes qu’on rencontre dans une maison d’arrêt et de correction, pour donner des solutions.

Quand, le 4 août dernier (2018), Freeman Tapily a fait un concert pour collecter des serviettes hygiéniques, où le droit d’entrée c’était deux paquets de serviette hygiénique, c’était seulement pour choquer. C’était un prétexte pour dire aux gens qu’il y a des femmes qui sont emprisonnées et qui ont besoin de serviettes hygiéniques. C’était le message et le message est passé. Beaucoup de personnes vont aujourd’hui dans les maisons d’arrêt pour donner des serviettes hygiéniques. Il y a des gens qui ne savaient pas qu’il y avait des bébés en prison. Aujourd’hui, ils savent et vont donner du lait. C’est ça aussi le festival « Un vent de liberté ».

« Malgré tout ce qu’on peut faire, la prison reste la prison »

B24 : Qu’est ce qui amené Freeman Tapily à s’intéresser au domaine carcéral ? Avez-vous déjà été emprisonné ?

Freeman Tapily : Non non ! Moi non. Seulement, tout ce qui touche mon prochain me touche. C’est ma mère qui m’a appris ça. Elle m’a dit, tu vois le soleil qui brille, il ne brille pas pour lui-même. Le vent ne souffle pas pour lui-même. Quand il y a le vent, c’est pour quelqu’un d’autre, c’est pour nous. Le soleil, c’est pour nous. En fait, l’important est dans servir autrui. Donc, quand tu veux vivre et être heureux, il faut servir l’autre.

B24 : Et qu’en est-il des soutiens pour votre festival ?

Freeman Tapily : Les partenaires, ils viennent de façon spontanée quand on les contacte pour avoir du riz, des sardines, du pain. Les autorités aussi. Elles ont lancé le mot d’ordre ‘’Humanisez les maisons d’arrêt et de correction’’, donc elles sont obligées d’être avec nous. Le ministère de la justice, le ministère de la culture, ils sont avec nous. Chacun donne ce qu’il peut pour nous aider.

Il y a aussi le MBDHP (Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples, ndlr) qui est toujours à nos côtés depuis la première édition, l’Ambassade de France et il y a beaucoup de particuliers. Il y a des médecins, des juristes et il y a beaucoup de volontaires qui tournent autour du festival.

B24 : D’une manière générale, vous avez visité beaucoup de maisons d’arrêt et de correction, quelles sont les conditions carcérales ?

Freeman Tapily : C’est difficile. Quand on compare nos maisons d’arrêt et de correction au Burkina Faso avec d’autres, c’est difficile, mais il y a de quoi se dire ‘’nous avons fait du boulot’’. Avant, à la MACO (Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou, ndlr), c’était de la pâte de maïs. On ne sait pas si c’est de la bouillie ou si c’est du tô. On mangeait ça. Les détenus n’avaient pas droit à la télé. Mais aujourd’hui, le détenu, son droit est respecté. Pour la fête du 8-Mars, nous étions là-bas avec les femmes, la fête de la musique, il y a beaucoup d’activités. Il y a des cellules culturelles, ils font du sport.

Malgré tout ce qu’on peut faire, la prison reste la prison. Le côté dur pour que l’on n’ait pas l’envie d’y aller, il faut que ça demeure. Et ça, on n’y peut rien.

B24 : Il y a l’aspect sensibilisation pour éviter la prison et il y a l’aspect aide à la réinsertion. A quel niveau intervenez-vous le plus ?

Freeman Tapily : La sensibilisation, directement, on ne le fait pas. Mais il y a des structures qui nous interpellent pour animer des conférences où on essaye de sensibiliser. Mais ce que nous faisons aujourd’hui, nous sommes dans l’étape de la réinsertion et combattre le récidivisme.

Par exemple, pour la réinsertion, nous avons identifié avec l’aide du BBDA (Bureau burkinabè des droits d’auteurs, ndlr), des artistes. On a déplacé le studio à la prison de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso pour enregistrer ces artistes, faire des clips à l’intérieur. Nous avons pu produire deux détenus pour qu’ils puissent se prendre en charge, parce qu’ils ont le talent, et ne plus tomber dans les erreurs pour revenir en prison.  

Pendant « Un vent de liberté », nous venons avec des conseillers qui échangent avec les prisonniers pour rééquilibrer leurs pensées afin qu’ils ne se laissent pas abattre. Mais je pense que pour empêcher les gens d’aller en prison, il faut la bonne éducation. Surtout le bon exemple. Le bon exemple de ceux qui nous gouvernent.

Sinon par exemple, quand tu vois un politicien qui est célèbre, et qui ment, il ment et il est célèbre. Il ment et il est applaudi. Les parents doivent donner le bon exemple. A la maison, le père est là, il fume partout, il boit la liqueur devant les enfants et après il se plaint que son enfant est alcoolique. Ça ne doit pas le surprendre. La maman est là, avec des partenaires multiples et après elle se plaint du comportement de sa fille. Il faut donner le bon exemple.

Vidéo – Politique au Burkina : Le coup de gueule de Freeman Tapily

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B24 : Depuis 10 ans, quelle a été votre plus grande fierté ?

Freeman Tapily : J’étais allé une fois à un festival à Abidjan, quelqu’un m’a accosté dans la rue. Il m’a fait savoir qu’il était à la MACO et il m’explique ce qu’il fait maintenant. Parfois, je rencontre des gens qui baissent la vitre (de leur véhicule, ndlr) et me remettent leur carte de visite. Ça, c’est bon. Il y a des gens qui nous présentent des activités qu’ils font. Il y a les artistes qui chantent, Rolby à Ouaga, Johnny à Bobo, c’est beau.

Il y a des femmes que nous avons aidées. Nous leur avons appris à fabriquer des serviettes hygiéniques lavables. Dehors, elles ont fait une association où elles apprennent ça aux jeunes filles pour éviter que pour avoir 700f CFA pour payer des serviettes hygiéniques, qu’une fille parte se donner à un mec. Ça, ça nous réconforte et c’est beau.

Interview réalisée par Ignace Ismaël NABOLE

Burkina 24

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Ignace Ismaël NABOLE

Journaliste reporter d'images (JRI).

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