Eric Ismaël Kinda : « Le Balai citoyen n’a jamais vendu une lutte »

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Enseignant de philosophie, militant du Balai citoyen et récemment désigné porte-parole du mouvement aux côtés de Smockey, Eric Ismaël Kinda s’est prêté aux questions de Burkina 24, le mardi 20 août 2019. Ancien chargé à la mobilisation et à la gestion des clubs cibals (structures de base du Balai citoyen, ndlr) du Balai citoyen, les questions ont porté sur la vie du mouvement et l’actualité nationale.

Burkina 24 (B24) – Le Balai citoyen a tenu son Assemblée générale. Quelles sont les grandes décisions qui ont découlé de cette rencontre ?

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Eric Kinda : La première grande décision consistait au renouvellement de la Coordination nationale (organe dirigeant du Balai citoyen), puisque ce renouvellement est prévu dans nos textes. C’est ainsi que j’ai été porté au poste de porte-parole du mouvement et il y a d’autres camarades qui ont fait leur entrée dans la Coordination nationale du Balai citoyen. La deuxième grande décision qui a été prise, c’est de tendre vers l’implantation progressive et définitive du mouvement sur toute l’étendue du territoire.

Avec les moyens de bord, nous avons tenté d’implanter le mouvement partout au Burkina Faso, mais il y a encore du travail à faire. Il faut travailler à ce que le mouvement s’enracine dans les quatre coins du Burkina Faso et renforcer nos structures qui existent déjà à savoir les clubs cibal, les coordinations communales et régionales et en ce qui concerne l’étranger, les ambassades cibales.

B24 : Toutes ces structures auront quel objectif principalement ?

Eric Kinda : L’objectif principal est de travailler à préserver les acquis du Balai citoyen et travailler davantage à ce que le mouvement s’implante dans les quatre coins du Burkina Faso.

B24 : Des têtes et non des moindres (Sam’s K Le Jah, Me Guy Hervé Kam) ont quitté la coordination nationale. Ont-ils été poussés vers la sortie ?

Eric Kinda : Non ! Pas du tout. Ils n’ont pas été poussés vers la sortie. Ce changement au niveau de la tête du Balai citoyen est prévu par nos textes. A notre sein, il y a des camarades qui se sont donnés, qui ont fait leurs preuves sur le terrain et le moment était venu de confier des responsabilités à ces camarades. Nous avons entendu toute sorte de rumeurs concernant ce changement au niveau de la coordination nationale du Balai citoyen et vous faites bien de venir à la source.

Ces camarades qui ont quitté leur poste ne quittent pas le mouvement. Ils restent dans le mouvement et ils occupent d’autres postes. Tout cela a été fait conformément à nos textes. Si vous prenez le cas de Me Guy Hervé Kam, son cabinet gère pas mal de dossiers judiciaires assez sensibles. Ça fait lourd. Il doit gérer son cabinet et il doit gérer son poste de porte-parole du Balai citoyen, ce n’est pas simple.

B24 : Vous avez parlé de rumeurs, il se susurre que les deux (Sams’k Le Jah et Me Guy Hervé Kam) projettent rejoindre le Mouvement patriotique pour le salut (MPS) d’Isaac Zida. Confirmez-vous ?

Eric Kinda : Je ne confirme pas. Ce n’est pas exact (Rires). Ce sont des rumeurs. Les camarades sont toujours avec nous et je n’ai pas à ma connaissance que les camarades ont pour projet de rejoindre le MPS. A ma connaissance, non. Mais de toutes les façons, si tel était même le cas, je pense que c’est leur plein droit.

Il y a eu des camarades qui m’ont souvent appelé pour dire qu’ils veulent aller militer dans tel parti politique, qu’ils voudraient avoir des conseils avec moi. Je leur dis de rester eux-mêmes, gardez vos convictions. Nos textes n’interdisent pas à un militant du Balai citoyen d’aller militer dans un parti politique. Et tout Burkinabè qui partage nos idéaux et épouse la philosophie du mouvement, quel que soit son bord politique, peut adhérer au Balai citoyen. 

Les terroristes ne vont pas contrôler le Burkina Faso

B24 : A chaque sortie médiatique du Balai citoyen, il y a beaucoup de critiques. Des citoyens vous accusent d’avoir vendu la lutte sous la Transition. Comment gérez-vous ces moments ?

Eric Kinda : Nous sommes sereins par rapport à ces accusations, par rapport à ces critiques. C’est une question récurrente d’accuser le Balai citoyen d’avoir vendu la lutte sous la Transition. C’est vraiment quelque chose de gros qu’on met sur le Balai. Je ne sais quelle force le Balai a pour vendre une insurrection populaire. C’est la question que je me pose.

Et deuxième question, ceux qui nous accusent d’avoir vendu la lutte, ils étaient où quand le Balai vendait la lutte ? Ce ne sont pas des critiques sérieuses. Les hommes politiques qui s’étaient engagés dans la Transition ne sont pas morts. Ils peuvent dire exactement ce qui s’est passé. Le Balai citoyen n’a jamais vendu une lutte et il ne vendra jamais une lutte. Je suis catégorique et formel. Et, nous sommes dans un contexte de démocratie, chacun est libre de dire ce qu’il pense.

Au Balai citoyen, vous savez, quand nous montons au créneau, on nous insulte, on nous critique. Quand on observe un temps de réflexion par rapport à une question brûlante, on nous dit : ‘’ils ont suffisamment mangé et ne peuvent plus parler’’. Nous sommes vraiment sereins par rapport à toutes ces critiques.

B24 : A travers un communiqué, vous avez réagi à l’Affaire Charbon fin. Mais peut-on s’attendre à vous voir dans la rue pour exiger l’inculpation du ministre des mines, Oumarou Idani ?

Eric Kinda : Aucune option n’est à exclure. A l’étape actuelle de cette affaire, il faut commencer à saluer le Procureur qui a porté l’affaire pour qu’on puisse juger. Le procès a été programmé pour le mois d’octobre et nous suivons de très près l’évolution de ce dossier. En attendant que le procès voit le jour, si le gouvernement et le ministre sont conséquents, ils doivent, eux-mêmes, tirer les conséquences.

Quand le ministre des mines a fait sa sortie, c’est une sortie malheureuse qui consistait à vouloir coûte que coûte défendre une partie et la suite des événements a totalement démonté ce que le ministre a pu avancer. Quand on est premier responsable d’un département ministériel et avec des faits aussi graves comme cette affaire, le ministre doit avoir le courage et l’honnêteté de rendre le tablier. Au Balai citoyen, nous exigeons que le ministre rende le tablier et il faut aussi que le Premier ministre en tire les conséquences.

Il faut donner l’exemple. Si les populations burkinabè sont sorties en octobre 2014 pour exprimer leur ras-le-bol, c’est pour que les choses changent. On ne peut pas, après une Insurrection populaire, continuer dans une telle manière de gouverner le pays. C’est inadmissible.

B24 : Selon vous, de la manière de gouverner, rien n’a changé !

Eric Kinda : Ce n’est pas le Balai citoyen qui le dit. Il y a des organes très sérieux dans ce pays qui disent que la gouvernance est mauvaise. Qu’en matière de gouvernance, nous n’avons pas évolué dans ce pays et vous avez suivi, il n’y a pas longtemps, la sortie du Conseil économique et social (CES) qui, pratiquement, a présenté un tableau pas du tout reluisant concernant la gouvernance.

Avant même la sortie du CES, à chaque occasion, nous avons toujours dénoncé la gouvernance actuelle. Il n’y a pas de changement et si vous voulez, il y a des attitudes et des comportements qui sont en déphasage avec les aspirations profondes de la population. Ce n’est pas ce que le peuple burkinabè attendait après l’insurrection. La déception est totale et c’est une gouvernance que nous dénonçons avec toutes nos énergies.

B24 : L’actualité, ce sont aussi les attaques terroristes. Malgré les remaniements ministériels, les différentes opérations militaires, elles se poursuivent. L’UPC a demandé la démission du gouvernement Dabiré, Ablassé Ouédraogo, celle du Président. Etes-vous aussi dans cette logique de demande de démission ?

Eric Kinda : Permettez-moi d’abord de m’incliner devant la mémoire de nos vaillants soldats tombés. Paix à leurs âmes et nous souhaitons beaucoup de courage à leurs familles. Aux FDS (Forces de défense et de sécurité, ndlr) qui se battent sur le terrain pour défendre notre patrie, nous leur apportons notre soutien sans faille. Ils ont le soutien du Balai citoyen et ils méritent le soutien de l’assemble des Burkinabè.

Maintenant, par rapport aux réactions des hommes politiques dont vous venez de faire cas, ils sont dans leur rôle. Pour le Balai citoyen, par rapport au problème sécuritaire, il faut une véritable politique sécuritaire nationale. Il faut impliquer toute la population. La question de la sécurité ne doit pas être l’affaire des seuls experts. On doit impliquer les populations à la base. Thomas Sankara disait qu’un peuple conscient ne peut pas confier sa sécurité à quelques personnes, fussent-elles des expertes.

Historiquement, si vous prenez un pays comme Cuba, les Américains ont essayé de combattre durement le régime Castro. Mais si le régime de Fidèle Castro n’est pas tombé. C’est parce que du côté de la sécurité, tout le monde a été impliqué. C’est le peuple même qui défendait le régime de Fidèle Castro.

La situation actuelle pose aussi le problème de l’alternative. Est-ce que ceux qui réclament la démission du Premier ministre et du Président Kaboré sont l’alternative ? Je ne sais pas mais il faut réfléchir. Est-ce que eux-mêmes, ils sont une alternative ? Qu’est-ce qu’ils ont comme plan sécuritaire à proposer aux Burkinabè ? Nous pensons qu’il faut mettre tous les Burkinabè dans le jeu sécuritaire. Il faut mutualiser les forces.

Aussi, quand vous lisez sur les visages des Burkinabè, on veut ici et maintenant une victoire contre le terrorisme. Une victoire définitive. Il faut aussi savoir que cette victoire définitive ici et maintenant, c’est légitime, mais ça va se faire avec le temps et dans la douleur. Le terrorisme est un phénomène très complexe. Mais notre conviction est que le Burkina Faso ne va pas tomber. Les terroristes ne vont pas contrôler le Burkina Faso. Le peuple burkinabè finira par vaincre.

B24 : Vous parlez d’implication des populations. A un moment, les Koglweogo ont été amenés à aider pour les aspects sécuritaires. Mais la suite, ils ont été accusés d’exactions et d’atteintes aux droits humains. Ne craignez-vous pas d’avoir en fin de compte des groupuscules incontrôlés ?

Eric Kinda : Je ne crois pas. Il faut une implication intelligente. Il ne s’agit pas procéder à des manœuvres politiciennes qui pourraient engendrer des conflits ethniques. Ce n’est pas une puissance impérialiste qui va nous aider à sortir de cette situation. Et ce ne sont pas aussi les regroupements folkloriques qui vont aussi sortir le Burkina Faso de cette situation. Je pense au G5 Sahel.

Quand vous regardez le projet du G5 Sahel, en théorie, c’est pertinent mais dans la pratique, vous voyez que les résultats se font beaucoup attendre. Et nous sommes d’ailleurs étonnés qu’un pays comme l’Algérie qui a une très longue expérience dans la lutte contre le terrorisme ne fasse pas partie du G5 Sahel. Ça donne à réfléchir.

B24 : L’Etat détient la force légale, pensez-vous que le gouvernement a montré ses limites à assurer la sécurité pour les Burkinabè ?

Eric Kinda : Les faits que nous observons au quotidien par rapport aux attaques laissent croire que l’Etat est incapable et ça, ce n’est pas nous qui le disons pour dénigrer ou diminuer quelqu’un. Ce sont les faits. Les faits parlent d’eux-mêmes. Depuis longtemps on parle de politique sécuritaire nationale, on ne sait pas ce qu’il en est aujourd’hui. Des populations abandonnent leurs villages, nous sommes en saison de pluies. Elles ne peuvent pas cultiver, d’autres sont des éleveurs. Un Etat qui joue son rôle ne peut pas accepter cela. Qu’est-ce que l’Etat fait pour que ceux qui ont abandonné leur zone y retournent pour profiter de la saison des pluies et s’adonner à l’agriculture ? 

La solution que nous avons trouvée et qui nous parait simpliste est de regrouper les déplacés dans des sites et apporter des vivres au quotidien. Ce que ces gens veulent, ce n’est pas uniquement des vivres au quotidien, mais c’est de retrouver leur domicile pour vivre en paix et mener leurs activités comme ils le faisaient avant les attaques terroristes. Sur ce point, nous disons que l’Etat est défaillant et cette défaillance de l’Etat est liée en grande partie à ces hommes qui le dirigent.

C’est facile de dire que Blaise Compaoré est parti en laissant une armée totalement démunie. Ils y ont contribué. C’est plus facile d’accuser l’autre. Et nous avons l’impression que les gens se sont préparés pour conquérir le pouvoir, mais ils ne sont pas venus au pouvoir avec un plan de gouvernance. Nous ne disons pas que le pouvoir actuel est capable de régler tous les problèmes d’un coup de baguette magique. Mais ce sont les signaux forts même qui sont invisibles et c’est décourageant.

B24 : D’aucuns estiment que la présence du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) aurait aidé à résoudre le problème sécuritaire. Avec du recul, regrettez-vous avoir exigé sa dissolution ?

Dissolution du RSP : Le Balai citoyen « ne regrette absolument pas »

Burkina 24

B24 : Nous sommes à la fin de notre interview. Avez-vous un point particulier à aborder ?

Eric Kinda : Au Burkina, on est tous unanime que ça ne va pas, toute tendance confondue. Si on est tous d’accord que ça ne va pas, la question de l’alternative se pose. On a une classe politique vieille. Le problème aussi, c’est qu’on dit que ça ne va pas, mais en même temps, on n’essaye pas d’encourager de nouveaux leaderships. Cette théorie qui consiste à mettre tous les acteurs, sociétés civiles et hommes politiques, dans le même sac et dire que tout le monde est mauvais, finalement, le sauveur du Burkina, il viendra d’où ? Il ne tombera pas du ciel. Nul ne va venir d’ailleurs sauver le Burkina. Quand vous avez des patriotes qui osent lever le doigt, des hommes de conviction qui osent dénoncer, élever la voix, il faut les accompagner.

B24 : Vous pensez à qui par exemple ?

Eric Kinda : Je n’ai pas un nom en particulier. Les patriotes se recrutent partout. Dieu seul sait, les anonymes patriotes qui sont dans ce pays. C’est un appel à ces patriotes de se réveiller pour qu’ensemble, nous puissions tirer le Burkina Faso vers le haut.

Mais aussi, ce que je voudrais souligner pour terminer, il faut saluer cette presse d’investigation qui, dans le cadre de la veille citoyenne abat un travail remarquable. Vous savez que ce qui concerne le charbon fin, c’est la presse d’investigation qui a levé le lièvre. Nous avons besoin d’une presse d’investigation, une presse citoyenne, une presse républicaine et pas une presse corrompue remplie de journalistes qui préfèrent la courte échelle, partisans de l’épreuve de force et du coup d’Etat. Nous voulons des journalistes patriotes.

Interview réalisée par Ignace Ismaël NABOLE

Burkina 24

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Ignace Ismaël NABOLE

Journaliste reporter d'images (JRI).

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3 commentaires

  1. Rectificatif, Ahmed, les politiciens n’ont pas été écartés, ils ont fui leurs responsabilités.Tu étais ou pour ne pas le savoir?

  2. Je m’inscris en faux contre ce qu’il dit. Le balai a vendu la lutte du peuple à Zida. Qui a négocié avec l’armée ? Les politiciens ont été écartés pendant le deal. Zephyrin était où ? Roch était où ? Ablassé Ouédraogo était où. Faut que le Balai nous disent ça ?

  3. C’est votre histoire du RSP qui m’énerve. Kinda a bien parlé. Ils sont là. Dans notre armee. Ils prennent salaire. Mais s’ils sont patriotes et veulent sauver les Burkinabè, qu’ils aident à dire qui attaque nos familles. Ceux qui regrettent le RSP, ce sont des nostalgiques. D’ailleurs pourquoi poser même la question ? Vous croyez que le RSP de Blaise peut revenir ? Avançons ensemble et évitons de ruminer le passé.

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