Tribune de l’Abbé Valéry Kiswendsida Sakougri : « Dieu et le coronavirus »

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Ceci est une tribune de l’Abbé Valéry Kiswendsida Sakougri, Vicaire de la Paroisse de Pabré, sur le rapport entre Dieu et le coronavirus.

Depuis l’apparition du Covid-19, beaucoup de personnes se posent des questions, d’une part, sur l’origine et les causes de ce mal, et d’autre part, sur le silence de Dieu face à cette pandémie ravageuse : le coronavirus serait-il une invention de l’homme ? Une punition de Dieu ? Une révolte de la nature contre l’homme ? Dieu est-il impuissant face au Covid-19 ? Toutes ces interrogations sont légitimes et méritent que nous nous y penchions pour mener une petite réflexion à la lumière de la foi.

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I-Qui est à l’origine du Covid-19 : Dieu ou l’homme ?

Nous devrions affirmer, sans ambages, que Dieu n’est pas l’auteur du mal. La souffrance, la maladie, les calamités et catastrophes, bref les maux dans la nature manifestent les limites propres et inhérentes des créatures (cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique : CEC n° 385) et peuvent aussi être liées aux conséquences de l’exercice de la liberté humaine. Une telle affirmation peut être parfois difficile à accepter selon notre conception de Dieu et notre expérience de la vie.

Pourtant, c’est une vérité de la foi chrétienne : Dieu n’a pas créé le mal et ne veut pas le mal. Cette vérité de foi est à comprendre à partir du mystère de l’amour de Dieu : fondamentalement, « Dieu est Amour » (1 Jn 4, 16) et il a créé l’homme par amour. Or, une des caractéristiques essentielles de l’amour, c’est le respect de la liberté de l’être aimé, à commencer par le respect de son choix d’accepter ou de refuser l’amour qui s’offre à lui. Ainsi l’amour de Dieu pour l’homme se manifeste hautement dans son infini respect de la liberté humaine.

Prenant donc en compte ces éléments (l’amour de Dieu, son respect de la liberté de l’homme, la possibilité pour l’homme d’accepter ou de refuser cet amour), il serait difficile pour l’homme de rejeter sur Dieu toute responsabilité de l’existence ou de la diffusion du mal et des malheurs qui surviennent dans le monde.

Dans cette dynamique, croire que Dieu serait à l’origine du Covid-19, reviendrait à se faire (projeter) une représentation d’un Dieu-Dictateur ou d’un Dieu-Méchant qui châtie les hommes et manipule ses créatures comme des marionnettes en leur imposant un destin décidé à l’avance. Une telle croyance qui relèverait du déterminisme ne serait pas conforme à la doctrine catholique ! Le chrétien, en cette période de pandémie, devrait donc se défaire de telles conceptions pour grandir dans sa foi en un Dieu d’amour qui respecte la liberté humaine et qui ne veut pas le malheur des hommes. Oui, Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais il veut qu’il se convertisse et qu’il vive. (Cf. Ez 18, 23) Mais en poursuivant notre réflexion, nous pourrions nous demander : « Si Dieu n’est pas l’auteur du Covid-19, faut-il penser que tout de même, il permet ce mal d’exister ? ».

II -Pourquoi Dieu laisse surgir et se développer le covid-19 ?

Dans les débats sur les causes du coronavirus, un certain langage laisse transparaître que Dieu n’a pas voulu le mal mais l’aurait permis. Dieu aurait donné, exceptionnellement un « laissez-passer » au coronavirus qui ne cesse de se propager dans le monde. Si une telle position marque déjà une avancée par rapport à celle de la culpabilisation de Dieu, elle comporte aussi des faiblesses voire s’avère incohérente dans une perspective chrétienne.

Car Dieu, dans son grand amour, ne peut rester insensible au mal, au sort de l’humanité en péril, et encore moins s’en réjouir : il souffre de l’apparition de tout mal dans le monde ; lui comme Jésus son fils, se tient du côté et aux côtés de ceux qui souffrent. En effet, comme le note le théologien orthodoxe Olivier Clément, « Dieu n’a pas créé le mal,…il qu’il ne l’a pas permis »[1].

Le développement du Covid-19 dans le monde ne serait donc pas la conséquence d’une permission divine directe ou indirecte. Dieu, en laissant l’homme jouir de sa liberté, ne lui a pas donné par ricochet la permission de susciter, commettre ou multiplier le mal dans le monde. En effet, qui peut donner une permission ? C’est seulement celui à qui revient par responsabilité la capacité de donner une réponse positive ou négative à une demande, de s’opposer ou d’empêcher la réalisation d’une requête ou d’un projet. En d’autres termes, « une permission ne serait pas une permission si celui qui la donne n’était pas en mesure d’en interdire la teneur à volonté »[2].

Or en méditant sur la relation entre l’amour de Dieu et le respect qu’il a de la liberté de l’homme, notre Dieu, qui est par nature Amour, ne semble plus avoir qu’un choix entre le respect et l’interdiction de la liberté de l’homme : Dieu ne peut pas aimer l’homme tout en le privant de sa liberté. Dieu ne sait qu’aimer et respecter la liberté de l’homme. Dieu est fidèle à son amour et ne peut pas se renier, c’est-à-dire renier sa nature d’amour. Le mauvais usage de la liberté humaine ou le développement du mal dans le monde tel que le Covid-19 ne peut donc pas faire l’objet d’une permission divine. Le Covid-19 serait-il alors un œuvre du Diable ?

III- Le covid-19 est-il une œuvre de Satan ?

L’expansion rapide du covid-19 dans le monde a marqué un tournant décisif dans la pensée et dans l’action de l’homme. Les discussions sont de plus en plus nombreuses et les positions, diverses. Dans les médias et dans les réseaux sociaux, chacun donne sa lecture de la situation. Décidant de n’adhérer qu’aux explications scientifiques sur cette pandémie, certains rejettent toute croyance incriminant l’action du Diable qui serait à l’origine de cette pandémie     du Covid-19. D’autres, au contraire, croient fermement que le Covid-19 est purement une œuvre satanique, une manifestation des forces du Mal.

Cette dernière croyance fait naître dans le cœur de bon nombre de chrétiens, des sentiments de peur, des réflexions erronées, voire des hérésies.  Covid-19 est-il réellement l’œuvre du Démon ? Voilà toute la problématique de notre réflexion de ce jour qui nous permettra de cerner la vraie nature du Diable et ses différentes manifestations dans la vie de l’homme.

1-La nature du Diable

 De prime abord, il est important d’affirmer que le Diable existe. Cependant, il ne faut pas le voir à l’œuvre partout. On ne peut pas par exemple accuser le diable d’être responsable de la pauvreté d’une société ou d’un homme, d’être le responsable des mauvaises notes d’un élève ou du chômage d’un jeune.

La Bible affirme l’existence du diable. A 37 reprises, dans le Nouveau Testament, il est question du diable (diabolos) dont le nom signifie précisément : diviseur, accusateur, trompeur, calomniateur.

A 36 reprises, il est appelé Satan qui veut dire l’adversaire, l’ennemi (celui qui ne veut pas le bien).

Il est aussi présenté parfois sous le vocable tentateur, celui qui incite et pousse l’homme vers le mal.

Mais il faut souligner que ces différentes dénominations désignent une même réalité qui est un esprit. Cela implique qu’il n’a ni forme corporelle puisqu’il est immatériel   et il ne vit pas dans les mêmes conditions spatio-temporelles que l’homme. Il vit dans le monde invisible et il est doué d’une volonté foncièrement mauvaise, opposée au bien.  C’est pourquoi Saint Paul affirme dans sa lettre aux Ephésiens (Ep 6, 12) : « Car ce n’est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes. 

2- Son action

  Selon les circonstances et les personnes qu’il veut perturber, le diable pose essentiellement quatre actions bien subtiles : la tentation, les vexations, l’obsession et la possession.

a- La tentation

On parle de tentation lorsque l’esprit mauvais essaie par tous les moyens de corrompre la volonté de l’homme pour la détourner du bien. C’est ce qui se passe chaque fois que l’homme est tenté de commettre le péché.

b-Les vexations

Il est question de vexations diaboliques lorsque le diable produit des phénomènes « étranges et bizarres » dans le but de troubler les âmes. Généralement il s’agit d’une forme de persécution contre les personnes qui lui résistent farouchement et radicalement (Cf. le saint Curé d’Ars, Jean-Marie Vianney qui se sentait déranger au court de son sommeil).

c-L’obsession

Elle se produit lorsque l’imagination de l’homme est complètement dominée par le mal, malgré soi. A ce stade, les tentations sont si violentes ou continuelles que l’homme peut avoir l’impression de ne pas pouvoir y résister (Cf. envoutement par une femme ou par un homme, par le sexe, le pouvoir ou l’argent d’où la luxure, la cupidité, l’avarice…)

d-La possession

Elle est très rare. Elle se vérifie quand le diable investit totalement la personne : son esprit, sa volonté et son corps. La possession d’une personne par un esprit impur est dite en grec « anthrôpos en pneumati akathartô » (Mc 1, 23) ; ce qui se traduit littéralement « un homme dans un esprit impur »[3]. Un homme est donc possédé, signifie qu’il est totalement et entièrement plongé, submergé par l’esprit impur. Tout son corps et son être sont totalement mouillés et imbibés par l’esprit impur. Il ne parle, ne respire, ne mange que par l’esprit impur. Il est comparable à une éponge plongée dans de l’eau pourrie et nauséabonde qui la pénètre de fond en comble et la recouvre entièrement. C’est pourquoi le possédé ne se possède plus mais agit sous l’autorité de l’esprit impur qui est en lui. On peut être possédé par un démon ou plusieurs ou par le Diable lui-même.

Toutefois, il semble qu’à l’origine des vraies possessions, il y ait souvent un accord de la personne, d’un proche ou d’un pacte avec le diable. L’homme cherche souvent à faire le premier pas, à chercher le Diable, à lier un pacte avec lui.

 

  1. Le Diable et le Covid-19

En analysant la nature et le mode d’action du Diable, la croyance selon laquelle le Covid-19 est une œuvre diabolique, pourrait être relativisée.  Certes le Diable a une grande influence sur la vie des hommes mais il n’a pas la capacité de créer, de faire naître une chose, de faire exister une créature, de mettre à jour une nouvelle matière. Dieu seul est Créateur et est capable de faire émerger une réalité à partir du néant, du rien (création ex nihilo).

L’homme participe à sa création comme coopérateur, comme collaborateur, comme transformateur de la réalité déjà existante. Le Diable n’est ni Dieu pour éventuellement créer à partir de rien le virus du covid-19, ni homme pour transformer une quelconque matière en une nouvelle réalité ou une quelconque molécule du Covid-19. Il est donc difficile de penser ou d’affirmer que le Diable est le principe, la source initiale, le moteur premier du Covid-19. C’est une hérésie de mettre le Diable et Dieu sur un pied d’égalité, de penser qu’il a un pouvoir créateur comme Dieu ou a les mêmes attributions que Dieu. Dieu est au-dessus de tout, partout et en tout.

De plus, le Diable ne peut pas être considéré comme un moteur de transmission du Covid-19. Il ne joue pas le rôle d’un « facteur » ou d’un « agent de transmission » qui   propage le Covid-19 d’un lieu à un autre, d’un pays à un autre, d’un continent à un autre. Le Diable n’est pas le responsable de l’expansion de la pandémie dans le monde. Il s’avère donc difficile de penser que le Covid-19 soit une œuvre diabolique. 

Cependant, sans être le moteur premier ou l’organe d’expansion du Covid-19, le diable, selon son mode d’action (cf. plus haut) peut s’infiltrer dans le cœur de l’homme, l’entrainer à commettre le mal et à être méchant envers son prochain. En d’autres termes, le Diable peut pervertir les intentions profondes et les actions des hommes, les rendre mauvaises et nuisibles dans la gestion du Covid-19. Le Diable aime agir dans le cœur de l’homme afin de le détourner du Bien et de Dieu. Il est très subtil, très rusé et plus astucieux que l’homme. C’est pourquoi le Pape François invite très souvent les chrétiens à s’éloigner du Diable : « Avec le Tentateur, on ne discute pas[4] ». Dans la même lancée, un ancien père de l’Eglise notait avec pertinence : « Satan, après la venue du Christ, est comme un chien attaché à une haie : il peut aboyer et vouloir se jeter sur nous tant qu’il veut ; mais si nous ne l’approchons pas, il ne peut pas mordre. »

Mais l’homme reste toujours libre de s’approcher du Diable, de le suivre ou de rester fidèle à Dieu qui, seul, peut le sauver du mal avec sa puissance paternelle.

IV-Dieu est-il tout puissant devant le covid-19 ?

Le Covid-19, plus qu’une simple maladie, est une pandémie qui touche le monde entier. Tous les jours, des hommes en meurent et le nombre des morts ne fait s’accroître à en croire les médias.  Devant cette détresse universelle et les multiples décès, certaines personnes commencent à relativiser la puissance de Dieu dont témoigne la Bible. Elles se demandent si Dieu est toujours « le Seigneur des armées…le Fort, le Vaillant » (Ps 24,8-10), le tout-puissant « au ciel et sur la terre » (Ps 135,6), celui qui a fait sortir son peuple d’Egypte, le Dieu de l’impossible (cf. Jr 32,17 ; Lc 1,37), le Seigneur de l’univers, le Maître de l’histoire qui gouverne les cœurs et les événements selon son gré (cf. Est 4,17b Pr 21,1 Tb 13,2).

Ces doutes sur la toute-puissance de Dieu peuvent être fondés mais méritent, en ce temps de pandémie, d’être sérieusement examinés. La psychologie enseigne que la projection de l’homme sur la puissance de Dieu peut provenir du désir inconscient et infantile de toute puissance qu’il éprouve. En effet, la représentation que l’homme se fait spontanément de la puissance de Dieu, dépendrait en grande partie de ses rêves de toute puissance qui sommeillent en lui depuis son enfance. Lorsque l’enfant commence à découvrir ses propres limites, il naît inconsciemment en lui, l’idée d’un pouvoir en mesure d’accomplir dans l’immédiat le moindre de ses désirs.

Cette envie infantile du pouvoir influence fortement la manière de concevoir la puissance de Dieu. Le psychologue Antoine VERGOTE le souligne dans ses recherches sur la croyance et l’incroyance en rappelant la pensée de Sigmund Freud sur les représentations les plus communes d’une puissance divine : « L’homme délègue à Dieu la tâche de réaliser la toute-puissance dont il se sent privé. Ainsi le Dieu tout-puissant est-il le reflet de la toute-puissance imaginaire des désirs »[5].

Dans ce sens, l’homme penserait alors que la puissance de Dieu est comme un bâton magique qui accomplit toutes ses aspirations, qui impose ses volontés, qui donne des ordres, qui maîtrise et contrôle toute vie.  

Mais selon la foi catholique, la puissance de Dieu n’est pas une puissance dominatrice, fracassante ou arbitraire. Elle est plutôt sage, juste et bonne. Elle est une puissance paternelle comme le proclame la profession de la foi catholique : « Je crois en Dieu le Père tout-puissant ». Autrement dit, la puissance de Dieu est intimement liée à son rôle de paternité. Elle ne se traduit que dans l’exercice de sa paternité c’est-à-dire dans l’objectif de prendre soin, de protéger, d’accompagner, de faire grandir.

Comme le rappelle le catéchisme de l’Eglise catholique, « Dieu est le Père tout-puissant. Sa paternité et sa puissance s’éclairent mutuellement. En effet, il montre sa Toute-puissance paternelle par la manière dont Il prend soin de nos besoins (cf. Mt 6,32); par l’adoption filiale qu’il nous donne (« Je serai pour vous un père, et vous serez pour moi des fils et des filles, dit le Seigneur Tout-puissant »: 2Co 6,18); enfin par sa miséricorde infinie, puisqu’il montre sa puissance au plus haut point en pardonnant librement les péchés. » (CEC n°270).

En outre, la puissance de Dieu s’est éminemment manifestée dans la passion-mort-résurrection de son Fils. Par sa souffrance, son abaissement et sa mort sur la croix, le Christ a pris sur lui tout le poids du mal (cf. Is 53,4-6) et a enlevé le « péché du monde » (Jn 1,29) (cf CEC n° 1505). Par sa résurrection d’entre les morts, il a vaincu le plus grand mal qu’est la mort. « C’est dans la Résurrection et dans l’exaltation du Christ que le Père a « déployé la vigueur de sa force » et manifesté « quelle extraordinaire grandeur revêt sa puissance pour nous les croyants » (Ep 1,19-22) » (CEC n°272)

Ainsi, en ce temps de crise, il est plus qu’important de mettre sa foi en un Dieu au cœur de la lutte contre le coronavirus, de croire en sa puissance paternelle et en la puissance rédemptrice de la résurrection de Jésus. Dieu est et reste toujours le Père tout-puissant qui relève les humbles et comble de bienfaits ceux qui s’abaissent. Seule une telle foi peut nous aider d’une part, à croire aux choses les plus difficiles et incompréhensible pour l’intelligence humaine, et d’autre part à avoir la certitude que « rien n’est impossible à Dieu », que Dieu est plus fort que le mal comme celui du Covid-19 et que cette pandémie sera vaincue. Mais des questions subsistent : si Dieu peut vraiment éradiquer ce mal, pourquoi tarde-t-il à le faire rapidement ? Se plait-il à voir ses enfants souffrir et mourir du Covid-19 ? Quel est son plan d’action ou sa stratégie ?

V-Quel est le plan de lutte de Dieu contre le covid-19 ?

« Quel est d’entre vous l’homme auquel son fils demandera du pain, et qui lui remettra une pierre ? Ou encore, s’il lui demande un poisson, lui remettra-t-il un serpent ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui l’en prient » (Mt 7, 9-11)

Cette page biblique révèle que Dieu ne désire et ne donne seulement que de bonnes choses à ses enfants. Cependant, au regard de l’évolution de la pandémie dans le monde, bon nombre de chrétiens se posent des questions sur l’existence réelle de cette bonté de Dieu. La foi en l’amour de Dieu pour les hommes semble être se heurter à la persistance et aux dégâts que cause la maladie du coronavirus. Devant le ravage du Covid-19 surtout en Occident, certaines personnes sont perdues, angoissée et d’autres sont révoltées, car elles ne comprennent plus rien de la bonté, de l’amour et du plan de Dieu. 

Pour répondre à ces préoccupations, il semble important de redécouvrir le sens chrétien d’une part, des catastrophes naturelles, et d’autre part, celui de la souffrance et de la maladie.

a-Le plan de Dieu dans les catastrophes : le cas du massacre des Galiléens par Pilate et la chute de la tour de Siloé (cf Lc 13, 1-9).

L’Evangile de saint Luc (13, 1-9) nous rapporte deux faits. Le premier concerne le massacre de Galiléens par un responsable politique. Ceux-ci auraient suscité des troubles à l’ordre public à Jérusalem et Pilate les aurait fait massacrer, au moment d’une cérémonie de sacrifice, mêlant ainsi leur sang à celui des victimes sacrificielles. Ce fait est rapporté seulement par Saint Luc dans les évangiles et semble très probable car les mouvements de foules ou de rébellions étaient fréquentes à cette époque et étaient durement réprimés par les Romains.

Le deuxième fait concerne la chute de la tour de Siloé. Une tour des remparts de la ville, près de la piscine de Siloé, se serait subitement écroulée et aurait enseveli dix-huit habitants de la ville sous ses ruines.

Dans les deux faits, les Juifs voyaient une punition divine car pour eux, une calamité est toujours un châtiment divin qui atteint les coupables et épargne les innocents (cf Jb 4, 7 ; Jonas 9, 2). Jésus conteste cette façon de penser et propose une autre lecture des faits. Pour lui, c’est une erreur de penser que Dieu punit les plus coupables. Ces Galiléens n’étaient pas plus coupables que les autres. On peut même être atteint par une catastrophe sans être coupable de quoi que ce soit. C’est cette même lecture qu’il fait des deux évènements, dont le deuxième représente un accident ou une catastrophe naturelle.

Dans l’un ou l’autre cas, Jésus appelle à ne pas chercher des coupables ou des bourreaux dans l’avènement d’une catastrophe. Certes, dans le premier fait, la volonté et la méchanceté de l’homme peuvent être évoquées ; mais dans le second fait, la responsabilité humaine n’y est pas engagée, du moins dans une première évaluation du fait, car un approfondissement des causes lointaines peut révéler la négligence ou l’incompétence des bâtisseurs de la tour ou encore l’imprudence de ceux qui étaient dans la tour.  Jésus affirme, au fond, que les survivants et les victimes des catastrophes sont également coupables à cause de leur état de pécheurs. Son propos dans l’ensemble du passage biblique n’est pas de donner une réponse au problème du mal mais d’inviter ses interlocuteurs à la conversion. Les deux types de mort brutale décrits dans les faits servent donc d’une part à corriger la pensée et l’opinion erronée selon laquelle les drames et les accidents sont des châtiments divins, et d’autre part, à avertir les bien-pensants qui se croient souvent innocents.

Pour Jésus, les maux physiques ne sont pas des châtiments divins, mais plutôt des occasions pour faire pénitence et changer de vie. Ils sont aussi une épreuve salutaire, faisant progresser l’âme dans la vertu. Dieu ne punit pas ses enfants, bien que les actes des hommes puissent avoir des conséquences néfastes sur eux-mêmes.

Il est donc imprudent de vouloir déchiffrer les secrets de la Providence en termes de malheurs prévus par Dieu qui devront s’abattre irrémédiablement sur l’humanité au temps fixé. C’est pourquoi le chrétien ne doit pas interpréter le sort des malades et des mourants atteints du Covid-19 comme la conséquence de leur culpabilité individuelle ou de celle des hommes, ni accuser Dieu d’être la cause de cette pandémie. Dieu ne nourrit pas un plan machiavélique à travers la pandémie du coronavirus. Le Covid-19, à l’instar des deux faits bibliques, est à considérer comme un pressant appel à toute l’humanité à changer de vie et à reprendre la bonne direction.

b-Le plan de Dieu dans la maladie et la souffrance

  • La maladie, signe de la fragilité humaine

La maladie et la souffrance sont avant tout des signes révélateurs de la limite et de la fragilité de l’homme. Elles mettent en exergue la nature réelle de l’homme : un être fini, impuissant, mortel, une simple créature, une fumée dans le vent. Le Covid-19 vient donc rappeler à l’homme ce qu’il est réellement.

  • La maladie : châtiment de Dieu ou appel à la conversion ?

Selon une certaine pensée, la maladie peut être mise en relation avec le péché. La Bible ne s’oppose pas à cette manière de comprendre la maladie en rapport avec le péché.   En effet, l’Ancien Testament atteste à plusieurs endroits que la maladie est le signe de la colère de Dieu (cf Ex 9, 1-12). Cependant, cette signification est à comprendre dans le cadre de l’Alliance, c’est-à-dire de l’amitié et de la relation intime entre Dieu et son peuple.

Dans ce sens, la maladie semble être la conséquence de l’infidélité du peuple, de la transgression de Loi, du non-respect des clauses de l’Alliance (cf Dt 28, 21s .27ss.35). Le peuple accablé par la maladie doit donc prendre conscience de son état de pécheur et demander pardon pour ses péchés. C’est cette idée qui traverse les psaumes de supplication quand l’homme formule sa demande de guérison en commençant par l’aveu de ses péchés (cf Ps 38, 2-6 ; 39, 7-12).

Dans cette dynamique, la maladie et la souffrance ne sont pas des négations de la bonté et de l’amour de Dieu ni des châtiments divins. Elles doivent plutôt être considérées comme des appels à la conversion (cf. Ps 38,5 39,9 39,12) car elles peuvent aider l’homme non seulement à centrer sa vie sur l’essentiel et à rechercher Dieu de tout son cœur. Ce retour au Seigneur peut alors lui valoir la guérison (cf. Ps 32,5 107,20 Mc 2,5-12). La pandémie du Covid-19 pourrait aussi être comprise dans ce sens comme un appel à un retour radical vers Dieu.

  • La maladie, épreuve de la foi de l’homme

Une autre compréhension non moins importante est à prendre en considération quand la maladie ou la souffrance frappe des justes tels que Job ou Tobie. L’histoire de ces deux personnages bibliques montre que, contrairement au courant de pensée qui lie péché et maladie, l’homme peut faire aussi l’expérience de la maladie sans avoir péché. Quel sens peut-on donc donner à la maladie dans cette situation ?

Dans de pareilles circonstances, la maladie et la souffrance doivent être prises comme une épreuve providentielle destinée à éprouver et à purifier la foi, la persévérance et la fidélité de l’homme à l’égard de Dieu. La figure de Job est très parlante à ce propos. Elle joue deux rôles : d’une part devant l’homme et d’autre part, devant Dieu.

En effet, face à ses amis qui essaient de le convaincre de demander pardon pour ses péchés, Job témoigne de sa foi en Dieu, malgré et contre les apparences évidentes de la sagesse humaine. Face à Dieu, il témoigne du caractère inhumain de la souffrance et lui parle comme Jésus à Gethsémani.  La leçon principale et permanente qui se dégage du livre de Job est qu’en face des grandes douleurs, il faut s’en tenir au silence respectueux de Dieu et en la fidélité à ses commandements[6]. Face au mal du Covid-19, le chrétien est donc appelé à vivre comme Job : garder sa foi en Dieu et respecter le silence et l’apparente inaction de Dieu dans sa réaction contre la pandémie.

A l’instar des justes de la Bible et des grands saints comme Saint Ignace, Saint Thérèse de l’enfant Jésus, Saint Jean Paul II qui ont souffert de la maladie, il doit accepter que la raison humaine n’a pas toujours la clé de lecture ou la connaissance nécessaire pour saisir tout le sens du mystère du mal. Du reste, il doit se convaincre que l’amour de Dieu demeure toujours inépuisable, fidèle et au-dessus de toute réalité ou de tout mal, car « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5,20).

  • La maladie, signe et instrument d’amour et de salut

Le dernier élément à prendre en considération dans la compréhension chrétienne de la maladie en général et du Covid-19 en particulier, se trouve dans son lien avec la Passion du Christ. La tradition de l’Eglise enseigne que l’épreuve de la maladie est aussi une participation à la souffrance du Christ. Elle configure le chrétien à la passion du Christ. Elle a alors une portée salvifique pour le malade lui-même et pour les autres. En effet, la passion du Christ n’a pas été une épreuve stérile, « gratuite », sans fondement ni objectif. C’est pour les hommes et le monde que le Christ a souffert afin d’apporter à toute l’humanité le salut.

Dans cette lancée, l’Eglise confesse que le malade qui associe sa souffrance à celle du Christ, reçoit non seulement soulagement, réconfort et pardon de ses péchés, mais aussi obtient le salut de ses frères. La maladie est alors perçue dans ce sens comme quelque chose de bénéfique, comme une prière de supplication au profit des autres, comme une expiation des péchés, comme un sacrifice agréable aux yeux de Dieu, comme un don de sa vie pour les autres, comme « une épreuve qui apporte des fruits de salut ».  

Le chrétien est alors appelé, en ce temps de Covid-19, à associer toutes les souffrances causées par cette pandémie à celle de Jésus. Ainsi, il lui sera alors facile de porter le joug de la pandémie dans la sérénité et surtout d’être utile aux autres en les portant dans la prière et en souffrant pour eux.  Le Covid-19, à l’instar de la croix, peut être alors considéré comme un haut lieu d’expression de l’amour de Dieu pour les hommes car sur la croix, c’est la plénitude de l’amour de Dieu qui s’éclate pour l’humanité.

Conclusion

Devant la pandémie du coronavirus, l’homme peut ressentir une certaine peur et se poser de multiples questions. Le Covid-19 suscite d’innombrables interrogations existentielles dans le cœur de l’homme. Mais l’essentiel pour le chrétien, ce n’est pas d’être obsédé par la question du mal et notamment celle du coronavirus, mais de comprendre de quoi il s’agit pour y faire face.

Le mal a pour objectif de déstabiliser l’homme et de le détourner de Dieu. Le Covid-19 est une épreuve pour toute l’humanité. Mais cette épreuve doit être vécue par le chrétien, non pas comme une punition divine, mais comme un appel à quitter nos sécurités humaines pour nous attacher plus fermement à Dieu.

Un des plus grands blasphèmes de notre époque serait de penser actuellement que Dieu est à l’origine de coronavirus, qu’il veut faire souffrir l’humanité à travers cette pandémie. En effet, c’est tout le contraire que Dieu désire pour nous : la vie en plénitude. Il veut que, grâce à notre confiance en lui et à son aide, nous traversions la tempête du Covid-19 et parvenions à une pleine communion avec lui. « Heureux l’homme, celui qui supporte l’épreuve ! Sa valeur une fois reconnue, il recevra la couronne de vie que le Seigneur a promise à ceux qui l’aiment. Que nul, s’il est éprouvé, ne dise : « C’est Dieu qui m’éprouve. » Dieu en effet n’éprouve pas le mal, il n’éprouve non plus personne. Mais chacun est éprouvé par sa propre convoitise qui l’attire et le leurre. » (Jc 1, 12-14).

Abbé Valéry Kiswendsida SAKOUGRI

Vicaire à la Paroisse de Pabré

BURKINA FASO

Avril 2020


Bibliographie

  • Vocabulaire de Théologie Biblique, Cerf, Paris, 1982
  • Catéchisme de l’Eglise Catholique, Centurion/Cerf/Fleuris-Name/CECC, Paris, 1998
  • Marchal, Evangile selon Saint Luc, Nancy, 1934
  • Claude TASSIN, Jacques HERVIEUX, Hugues COUSIN, Alain MARCHADOUR, Les évangiles, textes et commentaire, Bayard, Paris, 2001
  • Frère Emmanuel de Taizé, Un amour méconnu, au-delà des représentations spontanées de Dieu, Bayard, Paris, 2008.
  • Jean Emmanuel KONVOLBO, La Banque du cœur de Dieu, Ouagadougou, 2012
  • Jean STEINMANN, Job témoin de la souffrance humaine, Cerf, Paris, 1969
  • Monseigneur Nicodème BARRIGAH, A l’écoute de la Parole, Commentaire des évangiles, dimanches et fête Année B, Saint-Augustin en Afrique, Lomé, 2008

[1] Olivier Clément, Notre Père, Socéval, Paris 1998, p. 52.

[2] Frère Emmanuel de Taizé, Un amour méconnu, au-delà des représentations spontanées de Dieu, Bayard, Paris 2008, p. 30.

[3] Jean Emmanuel KONVOLBO, la Banque du cœur de Dieu, Ouagadougou, 2012, page 25.

[4] Pape François, Homélie du premier dimanche de carême, Rome, 2014

[5] Sigmund Freud cité par Antoine VERGOTE, Religion, foi, incroyance, étude psychologique, Bruxelles, Mardaga, 1987, p. 217.

[6] Cf. Jean STEINMANN, Job témoin de la souffrance humaine, Cerf, Paris, 1969, p.113 et 120

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Un commentaire

  1. Dieu n’a pas créé le mal. Certain. Mais n’a-t’il pas créé le vecteur du mal? « En lui [Dieu] ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, trônes, dignités, dominations, autorités. Tout a été créé par lui et pour lui. »(Colossiens 1 : 16). L’homme lui-même, que Dieu a créé, est un vecteur du mal. Par son libre arbitre, il tue lui-même et/ou crée des instruments de morts. D’oú vient le serpent? Le microbe? Le virus?…Ne sont-ils pas de la création divine? Simple question de rhétorique…

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