Tribune │« Quand Joseph Ouédraogo parlait de liberté, de race, de religion, de communisme… »

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Ceci est une tribune de Jean Hubert-Bazié.

Il fut l’un des trois rivaux célèbres du Rassemblement démocratique africain (R.D.A), face à Gérard Kango Ouédraogo et Issouf Joseph Konombo. Lui-même se définissait comme « le lépreux qui ne peut pas traire les vaches, mais qui sait renverser les calebasses ».

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Très influent dans le milieu syndical de l’époque, il a été de toutes les batailles politiques de son époque et a contribué significativement à la chute du Président Maurice Yaméogo, le 3 janvier 1966.

Lui, c’est Joseph Ouédraogo dit Jo Wéder ! Il fut comme beaucoup d’autres hommes politiques, interné sous le Conseil de salut du peuple (CSP) qui avait à sa tête, le Président Médecin-Commandant Jean-Baptiste Ouédraogo.

Au moment où la situation sécuritaire de notre pays se fait de plus en plus douloureuse, au moment où le communautarisme et les préjugés en tous genres mettent sournoisement à mal notre vivre ensemble, au moment où le tissu national est entrain de s’effilocher, cette lettre que « l’Homme de Saaba » (localité aux portes de Ouagadougou), avait adressé, de son exil de Ouahigouya, au Président du CSP, peut donner à réfléchir, sur les dangers multiples et multiformes qui guettent notre cher Faso.


Ouédraogo Joseph                                              A          Monsieur le Médecin Commandant

Ancien Président de                                                        Jean-Baptiste Ouédraogo

L’A.N. de Haute-Volta                                                      Chef de l’Etat

Interné Administratif à Dori                   

Dori le 10 avril 1983

            Excellence,

                        Toute injustice commise contre un homme est une injustice contre la dignité de l’humanité entière car la dignité des hommes en tant que tels procède du même principe que vous devez connaître autant que moi, puisque vous en parlez à tout moment. Je voudrais en ce dimanche de captivité imméritée vous entretenir de deux problèmes.

Premièrement, je suis arrêté et interné soit disant pour avoir participé à une réunion de conspiration contre le C.S.P. Cette réunion d’après votre propre déclaration se serait tenue le 15 Mars 1983 de 13h à 15h chez mon ami Kaboré François à Tanghin-barrage à Ouagadougou.

Vous devez savoir maintenant que cette accusation est absolument fausse, dénuée de sens et même criminelle, puisqu’elle vous emmène à attenter à la liberté de vos semblables, à la dignité de vos frères de race et de religion. Cette ignoble accusation vous place face à face avec votre conscience car elle est une odieuse calomnie.

 

J’ai demandé en effet à être confronté et il n’en a rien été. J’ai demandé à connaître les noms des commerçants présents à la réunion et on n’en a pu citer aucun. Bref si vous n’avez pu apporter aucune preuve, c’est que tout ce que veut et tout ce que dit « le pouvoir » seul est vrai ! Votre vérité c’est que vous m’avez séparé de ma famille, séparé de mes amis et séparé de mes occupations professionnelles.

Votre seule vérité, c’est que vous m’avez interné à Dori pour miner ma santé et faire le vide devant vous. Faites un examen de conscience et répondez-vous à vous-même : exigez de ceux qui vous ont induit en erreur des preuves et l’acceptation d’une confrontation car condamner un homme sans l’avoir entendu constitue une condamnation injuste et préméditée. Je pouvais m’attendre à tout en Haute-Volta sauf d’être victime de mensonge surtout de votre part. Vous connaissez comme moi les chemins tortueux qu’empruntent ceux qui ne croient ni à Dieu ni au diable.

J’en viens donc au deuxième point de mon entretien. Je suis victime justement de ceux qui ne croient ni à Dieu ni au diable.

J’ai été arrêté ainsi que Frédéric Guirma pour avoir dénoncé le communisme athée qui fait sournoisement son entrée en Haute-Volta sous le couvert de gens qui se disent croyants et même chrétiens. Mais nous n’avons jamais écrit que le CSP était communiste !

Je suis interné pour avoir osé dire que je ne soutiendrai jamais le communisme. Mais Monsieur le Président, quel mal y a-t-il à être contre le communisme ? Vous êtes Chrétien, est-ce que les Musulmans vous ont interné ? Quand le précédent régime était CMRPN et que vous étiez CSP en puissance, est-ce que le CMRPN vous a interné ? Quand le RDA, le vrai, était au pouvoir est-ce qu’il avait interné les partisans du PAI ou de la LIPAD ? Et pourtant on les connaissait !

            M’interner parce qu’anticommuniste, c’est violer ma conscience et je peux accepter difficilement de pareilles pratiques de la part de responsables qui ne parlent que de liberté de conscience, de justice et de démocratie. La liberté et la démocratie supposent la possibilité du choix et c’est le respect de ce choix qui constitue la justice au moins dans ces deux domaines.

J’ai exercé mes droits d’homme et mes droits de citoyen d’un pays proclamé surtout par vous, pays de liberté, de justice et de démocratie et c’est votre devoir de respecter mes choix tant que ces choix respectent les lois de mon pays que j’ai toujours loyalement servi.

            Nous sommes tous des croyants, nous avons un maître commun, Dieu qui nous rendra tous un jugement équitable.

            Veuillez agréer, Excellence tous mes sentiments respectueux.

                                                                                                           Signé

                                                                                                           Ouédraogo Joseph


Le Président Jean-Baptiste Ouédraogo, dans son livre « MA PART DE VERITE », (Presses Universitaires, juillet 2019, Ouagadougou), en page 78, confessera, pratiquement 37 ans plus tard :

 

« Les seuls actes répréhensibles, en matière de droits de l’homme, que nous ayons posés, à notre corps défendant d’ailleurs, ont été les arrestations et les interpellations arbitraires opérées en février et mars 1983, suite à des rapports erronés des services de renseignements mal informés  par des indicateurs peu scrupuleux ou vindicatifs. Tel fut le cas de l’interpellation de Joseph Ouédraogo dit « Jo Weder » et de son compagnon François Ouédraogo».

 

Comme quoi, le mensonge aura beau courir trente sept ans durant, la vérité le rattrape en un jour et sur une page !

Docteur Jean-Hubert Bazié

                                                                                              

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