Vie de déplacés au Burkina Faso : Laveur de moto, gérant de parking, lessiveuse, en attendant…

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Le Burkina Faso enregistre plus d’un million de déplacés internes à la date d’août 2020. Dans la région du Centre-Nord, plus précisément dans la ville de Kaya, plusieurs milliers y sont installés. Là-bas, la lutte pour la survie se poursuit pour ces Burkinabè qui ont fui leurs localités à cause de l’insécurité. Certaines familles bénéficient de l’aide apportée par l’Etat et des organisations humanitaires. Mais beaucoup d’autres déplacés sont contraints de développer des doigts de fée pour exercer des activités génératrices de revenus… Immersion à Kaya, la « cité du cuir et des brochettes au koura-koura », où plusieurs déplacés se montrent aptes à résister aux aléas de la vie.


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Le soleil dirige ses rayons sur la ville de Kaya. Il est un peu moins de 15h en cet après-midi d’août 2020. La circulation est fluide. Les habitants vaquent à leurs occupations quotidiennes. Mais tout n’est pas rose pour beaucoup. Surtout pas pour Antoine Sawadogo. Il est ressortissant du village de Gibga, localité située à une quinzaine de kilomètres de Kaya et a plein d’histoires à raconter.

« Nous étions chez nous. Et une nuit, nous avons entendu les crépitements des armes dans le village. Après ça, des habitants se sont déplacés à Piéla, situé à environ 120 Kilomètres de Kaya ; puis certains ont continué à Kaya », lâche-t-il le regard dirigé vers le vide. Le jeune homme frisant la trentaine confie avoir été témoin d’atrocités : « Nous avons enterré des gens criblés de balles et souvent en décomposition ».

Au fur et à mesure que les jours passent, la vie tranquille qui régnait à Gibga se conjugue au passé. Après plusieurs nuits d’insomnie, des habitants décident de déserter la localité. Ainsi, Gibga se vide peu à peu de ses ressortissants. Et comme Antoine ne veut pas continuer d’être témoin des atrocités, il suit le mouvement.

Il n’est d’ailleurs pas le seul déplacé interne qui a trouvé refuge dans la capitale du Centre-Nord. Avec lui, d’autres jeunes ont dû abandonner activités et études pour sauver leur peau. Une fois à Kaya, pas question de se laisser abattre par le désespoir. Chacun fait dans son « petit métier ».

Des récits de vie semblables

« Aujourd’hui, si tu as un problème et tu veux attendre de l’aide, tu ne vas jamais t’en sortir », laisse entendre Souleymane Sana, ressortissant de Bouroum, situé à une centaine de kilomètres de  Kaya. « Il faut donc se battre pour survivre », tel est son crédo.

Un état d’esprit également épousé par Issa Sawadogo, jeune de la vingtaine et originaire de Pissila, à environ 30 kilomètres de Kaya. Antoine, Souleymane et Issa partagent très souvent le même « grin » dans la « cité des peaux ». Ils se sont trouvé une activité pour subvenir à leurs besoins.

Tous célibataires, les trois vivent loin de leur famille biologique. En ce qui concerne les logements, ils ont trouvé des maisons offertes par des bonnes volontés dans la ville de Kaya. Ils partagent des moments de distraction et des souvenirs tant amers que douloureux. En réalité, les trois jeunes ont des histoires semblables. Ils sont tous orphelins de père. Et également leurs mères sont restées dans leurs villages respectifs.

« Nous étions paisibles chez nous »

Revendeur de crédits de communication, gérant de parking, laveur d’engins, « les trois jeunes braves » affrontent les réalités de la vie à Kaya. Tous les trois sont titulaires du diplôme de BEPC. Ils affirment qu’aucun préjugé ne peut perturber leur état d’esprit et l’élan de courage qui les anime.

« Quand je suis arrivé à Kaya, je n’ai pas eu de l’aide. Je me suis inscrit pour avoir du soutien. Mais je n’ai pas eu. Je suis donc allé voir des bonnes volontés qui m’ont aidé à avoir une motopompe afin de commencer à laver les motos », informe Issa, autrefois éleveur de bétail à Pissila.

A l’entendre, les hommes armés non identifiés font la pluie et le « beau temps »  dans leur village. Ces derniers imposent leur loi, dit-il. « Nous étions paisibles chez nous. Mais régulièrement, des hommes armés venaient dans le village commettre des abus. Une fois, ils sont venus jusqu’à l’école et nous sommer de quitter les lieux. Après ces évènements, la terreur a continué au village jusqu’à ce que les gens se décident à partir », poursuit-il.

« On place notre espoir en Dieu et on espère que ça va aller »

Pour le trio de déplacés internes, la situation qui prévaut dans leurs villages respectifs n’augure rien de bon. « A vrai dire là, nous étions bien. Tout était calme et il faisait bon vivre. Seulement, les terroristes ont débarqué et ils ont commencé à terroriser tout le monde dans le village. A un moment donné, les gens ont commencé à fuir un à un. Et au bout d’un moment, c’était en grand groupe que les gens fuyaient. Voilà comment moi je suis arrivé ici », marmonne Souleymane Sana, cultivateur à Boroum et reconverti en revendeur de crédits de recharge à Kaya.

Le visage empreint de mélancolie et de chagrin, Souleymane s’efforce pourtant de présenter un air serein. Il déclare la gorge tremblante : « On a toujours des souvenirs de ce qui s’est passé », qualifiant d’ailleurs son récit de vie de « parcours du combattant ».

Il est très difficile, souffle-t-il, de se remettre de certaines situations dans la vie. « On place notre espoir en Dieu et on espère que ça va aller », prie-t-il avant de se retirer pour vaquer à ses occupations.

« On était sans défense et on ne pouvait rien faire »

Antoine Sawadogo, lui, entend tout faire pour oublier les évènements survenus devant lui à Gibga. Reconverti en gérant de parking à Kaya, il avoue aimer sa nouvelle vie. « Je suis content de ma vie ici. Mais, si les choses reviennent à la normale, on peut envisager un retour. Pour l’instant, … », murmure-t-il sans terminer sa phrase, l’air évasif.

La peur se lit toujours sur le visage d’Antoine, assis sur un banc délabré : « On ne sait pas qui est qui. Et on ne sait pas qui va suivre votre reportage. Celui qui a vu et vécu ces situations comprend autrement que ceux qui lisent et entendent ».

Les hommes contraints au déplacement ne sont pas les seuls à se battre pour subvenir aux besoins de leur famille à Kaya. Adjaratou Ouédraogo fait partie des femmes qui, sans un seul homme dans la famille après le « passage horrible » des terroristes, ont rejoint Kaya. Elle sillonne les quartiers de la ville à la recherche de travaux ménagers. Du lavage des habits au nettoyage des maisons en passant par d’autres travaux domestiques, elle estime qu’il n’y a pas de sot métier, surtout en ces temps-ci.

« Avant, on cultivait et on élevait aussi. Les terroristes sont venus une fois la nuit chercher les hommes. Ceux qui sont restés ont finalement fui, laissant les femmes et les enfants. Une autre fois, ils sont revenus de nouveau disant que ce sont les hommes qu’ils cherchaient. Et comme il n’y avait plus d’hommes, ils ont emporté notre bétail. On était sans défense et on ne pouvait rien faire », se rappelle encore amèrement la ressortissante de Nagraogo, localité située à une cinquantaine de kilomètres de Kaya.

«  Si le calme revient, on repartira »

« Avec ce qu’on gagne, on repart faire ce qu’on peut pour la famille. Nous sommes 22 dans notre famille et ce n’est pas facile. Ce sont donc 2 000 FCFA, souvent 3 000 ou bien 500 FCFA que nous gagnions et nous vivons avec ça », dit-elle en arborant un sourire forcé qui en dit long sur son état d’esprit.

Mais derrière l’expression du visage, Adjaratou Ouédraogo confie que « la vie est très difficile avec une aussi grande famille ». Après environ sept mois passés dans la ville de Kaya, elle dit n’avoir toujours pas reçu de l’aide venant de l’Etat. Pour l’heure, les « petits travaux » lui permettent de se nourrir et d’espérer un lendemain meilleur, en plus du geste des bonnes volontés.

Sur toutes les lèvres, ce sont les mêmes espérances : «  Si le calme revient, on repartira ». Mais pour l’instant, la principale préoccupation de ces déplacés est de trouver de quoi satisfaire leurs besoins. Et enfin, être au bout du tunnel…

Basile SAMA

Burkina 24

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