Burkina Faso : Quand des populations soignent leur barrage à mains et pieds nus

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Au Burkina Faso, des populations ont compris que la gestion durable des ressources en eau les concerne d’abord. Dans les régions du Centre-Sud et du Centre-Est, des autochtones, sous l’impulsion du ministère de l’eau et de l’assainissement et ses partenaires, font montre d’un exemple qui force des hourras dans ce domaine. Mais les sensibilisations se poursuivent toujours pour un changement de comportements dans plusieurs villages. Constat du 12 au 15 octobre 2020 dans le cadre d’une tournée médiatique organisée par le ministère en charge de l’eau qui se poursuit jusqu’au 17 octobre dans le Plateau-Central. 

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Sous un soleil de plomb, femmes, jeunes et enfants s’obstinent au bord d’une eau qui se perd dans l’horizon. Ecrasant par à-coups des gouttes de sueur qui coulent le long du visage, Fatimata n’a pas le temps de redresser son foulard qui menace de patauger dans la boue. L’heure est grave et il faut compter sur ses dix doigts pour guérir la digue qui vient de céder partiellement.

La dame frisant la quarantaine, ses trois fils ainsi que son époux, barbotent dans les eaux du barrage de Konioudou, le plus grand de la commune de Kombissiri située dans la province du Bazèga, région du Centre-Sud. Ce barrage de 738.944 m3 à vocation agricole construit en 1986 fait la fierté du village de Konioudou. Plus de 10.000 personnes exploitent cette retenue d’eau.

Le barrage de Konioudou fait la fierté des populations.

Une vingtaine de femmes dont Afatime, comme l’appellent ses voisines maraîchères, ont le nez qui côtoie la gadoue. Elles prêtent la main à l’effort de reconstruction de la digue « tondue » ; se chargeant de creuser la terre libérée avec le repli provisoire de l’eau. Munies d’ustensiles, de sacs vides, de pelles, et de quoi excaver le sol, ces « braves dames » du village de Konioudou sont aux côtés de la cinquantaine d’hommes depuis 7h du matin.

Elles s’attèlent à rassembler le sable et remplir les récipients qu’elles portent ensuite jusqu’au niveau de la digue. S’exprimant en Mooré et s’accrochant à leurs tâches du jour, elles préfèrent laisser la parole aux hommes. Et c’est Adama Ouédraogo, secrétaire adjoint au Comité d’usagers de l’eau (CUE) qui… se jette à l’eau.

« Nous n’avons autre activité ici que celle autour du barrage »

« C’était le 13 juin 2018, après une forte pluie que la digue du barrage a connu ce problème. Comme le barrage s’étend sur plusieurs centaines de mètres, l’eau est venue en puissance et une partie de la digue est partie. Ce matin, nous nous sommes mobilisés, ainsi que les femmes, pour la réhabilitation de cette digue qui est en train de céder. Nous sommes composés essentiellement de maraîchers, de jardiniers. Nous avons cotisé pour payer des sacs vides qu’on remplit avec du sable pour essayer de maintenir la digue », explique-t-il.

Selon les riverains et les autorités, le barrage de Lalgaye se porte également bien.

Il n’y a pas que les fils et filles du village de Konioudou qui sont mobilisés pour l’entretien du barrage qui nourrit plus de 10.000 âmes. Les habitants de la dizaine de villages environnants sont également présents pour sauver le rempart en péril. Chacun met la main à la pâte afin que l’édifice résiste durablement au poids de l’eau. Les populations tiennent au barrage comme à la prunelle de leurs yeux. « Nous n’avons autre activité ici que celle autour du barrage. Nous sommes obligés de l’entretenir », souffle Souleymane Ouédraogo, un jardinier de la quarantaine.

A la suite de plusieurs réhabilitations dont l’une intervenue en 1994, l’état de l’ouvrage est jugé passable par Félix Sou, le directeur provincial de l’eau et de l’assainissement ; malgré cette rupture d’une partie de la digue en 2018. Une étude, selon ce dernier, a recommandé la mise en état du déversoir, le nettoyage et le revêtement de la digue. Un Comité d’usagers de l’eau, en abrégé CUE, a été mis en place en 2018 et a reçu une formation sur l’entretien courant du barrage grâce à un appui du ministère.

Les cotisations des populations locales s’élèvent à plus de 23 millions de F CFA

Une piste d’accès à bétail a également été délimitée. Les actions à mener préconisées par le ministère de tutelle, qui doivent permettre à l’ouvrage de jouer son rôle, sont la délimitation et la valorisation de la bande de servitude.

Les femmes étaient également de la partie.

« Quand on a fait les études pour la réhabilitation de ce barrage en 2018, il fallait mobiliser 700 millions de F CFA pour le réhabiliter complètement. Les études ont été bouclées. Donc, c’est la recherche de financement actuellement au niveau du ministère afin de faire face aux difficultés de ce barrage. En attendant, comme le CUE fonctionne correctement, nous les encourageons en les accompagnant dans leurs programmes d’activités annuelles pour l’entretien de la digue », précise le directeur régional de l’eau et de l’assainissement du Centre-Sud, Mahamadou Tiemtoré.

Les populations sont mobilisées pour la conservation et la valorisation du barrage, sous la houlette du Chef du village de Konioudou, Naaba Kobga, ou Albert Guigma à l’état civil. « Le Comité d’usagers de l’eau (CUE) fonctionne actuellement assez bien et se réunit régulièrement. Pour être membre du CUE, il faut cotiser dès le départ, et en plus, tous les ans. Dans les textes du comité, celui ou celle qui refuse de cotiser aura affaire à la Police. Le total des cotisations à ce jour s’élèvent à plus de 23 millions de F CFA », confie cet ancien ministre de l’agriculture et de l’élevage.

« Il y a un camp militaire qui était venu s’installer sur l’autre rive »

C’est son père, le Naaba Boulga, décédé en décembre 1985, qui avait contacté le Frère Adrien du Monastère de Koubri venu identifier le site. Il avait déjà commencé à réunir les matériaux, les cailloux sauvages, etc. « Après son décès, dès qu’on a fini les funérailles, on a attaqué les travaux de construction du barrage. Il faut dire qu’on a eu un coup de pouce assez important puisqu’il y a un camp militaire qui était venu s’installer sur l’autre rive », foi du Naaba Kobga de Konioudou.

Le Chef du village de Konioudou, Naaba Kobga, Albert Guigma à l’état civil, pointant le doigt sur le barrage.

Il s’agissait, poursuit-il, de la 5e Région militaire : « Ils avaient besoin d’eau. Moi, j’ai alors contacté le Lieutenant qui commandait le camp. Ils nous ont donc aidés à creuser le fossé d’ancrage. Parce qu’on avait fait une grande fosse qui valait la hauteur d’un homme. On a ensuite construit un mur en dur dedans jusqu’au sommet. Après, on a comblé chaque côté avec de la terre et compacté le tout. Cependant, dès l’hivernage 1986 déjà, on avait des problèmes parce qu’il y avait beaucoup d’eau ».

A l’en croire, le nommé Frère Adrien avait la particularité de ne pas vouloir laisser une seule goutte d’eau s’échapper. Ce dernier est venu ainsi compléter la digue de l’autre côté. « A l’hivernage suivant, c’est nous-mêmes qui avons été obligés d’enlever une partie de cette digue pour que tout le barrage ne s’en aille pas. J’avais réussi à faire venir ici le ministre de l’eau à l’époque, feu Alfred Nombré. Quand il a vu le site, il a regretté de ne pas avoir devancé le Frère Adrien sur le lieu, parce qu’il disait que ce barrage ne va pas tenir », se rappelle encore le Chef du village.

Les populations décident de végétaliser la bande de servitude…

C’est pour cette raison, ajoute-t-il, que le ministère de l’eau et de l’assainissement a construit une deuxième digue derrière. Mais selon les dires de l’homme au chapeau rouge, cette digue n’est pas aussi fonctionnelle que celle construite avant.

C’est cette partie de la digue du barrage de Konioudou qui a cédé suite à une forte pluie en 2018.

« C’est pourquoi des riverains s’accrochent à l’ancienne digue, car c’est elle qui retient le maximum d’eau. Sur un à deux kilomètres, il y a des jardins, des vergers partout. Et en 2018, la direction provinciale de l’eau et de l’assainissement a tenu une réunion avec nous pour la mise en place du Comité d’usagers de l’eau (CUE) fort de 12 membres », termine le Naaba Kobga de Konioudou.

Qu’à cela ne tienne, le barrage de Konioudou fait la fierté des pêcheurs, des producteurs de tomates, de salades, d’oignons, de maïs, de concombres, d’aubergines, de choux et bien d’autres aliments destinés à la consommation et au commerce.

La même fierté se lit sur les visages des riverains du barrage de Lalgaye situé dans la province du Koulpélogo à 35 kilomètres de Tenkodogo et à 230 kilomètres de Ouagadougou. Avec une longueur totale de 1.544 mètres et une digue hors déversoir de 1.150 mètres, le barrage de Lalgaye construit à près de 300 millions de F CFA en 2012 respire une santé florissante. Le secret : Dès 2014, les populations, avec les conseils des services du ministère de l’eau, commencent à protéger et à végétaliser la bande de servitude.

Fidèle Koama, Directeur régional de l’eau et de l’assainissement du Centre-Est, salue l’effort de l’Etat et des populations locales.

Le résultat est sans appel. L’utilisation des motopompes à travers la digue est ainsi bannie pour de bon. La police de l’eau rentre également en jeu en sanctionnant les éventuels récalcitrants.

Des exemples de producteurs modèles à suivre

« Les actions de protection du barrage vont de la végétalisation de la bande de servitude, à la sensibilisation des usagers de l’eau, la délimitation de la bande de servitude, jusqu’à la mise en place d’un Comité d’usagers de l’eau (CUE) et l’entretien périodique de la digue du barrage », fait comprendre Fidèle Koama, Directeur régional de l’eau et de l’assainissement du Centre-Est.

Une vue du système de protection de la bande de servitude du barrage de Lalgaye.

Contrairement à Konioudou et à Lalgaye, le barrage de Kierma, toujours à Kombissiri, et le barrage de Bidiga situé à cheval entre Garango et Tenkodogo dans la région du Centre-Est, dès janvier de la nouvelle année, ces ressources en eau se vident petit à petit de leurs jus. Lesdits barrages s’assèchent ainsi sous le poids notamment de l’ensablement.

Les populations ont désormais les yeux rivés sur l’Etat ; malgré l’appui des Agences de l’eau, la mise en place de Comités locaux de l’eau (CLE), de Comités d’usagers de l’eau (CUE) et les nombreuses sensibilisations sur la lutte contre l’érosion, l’ensablement, l’utilisation de pesticides et bien d’autres mauvaises pratiques agricoles.

Il y a lieu de noter que nombre de barrages sont menacés ; bien qu’il y ait, de part et d’autre, des producteurs considérés comme modèles qui se sont installés à plus de 100 mètres du barrage ; qui ont végétalisé la bande de servitude à leur frais ; ou  encore qui font de la protection des berges leur cheval de bataille, à l’image d’Issa Nongani, maraîcher du côté du barrage de Bidiga.

Ce dernier a construit un forage qui alimente son jardin grillagé et situé à plus de 300 mètres du barrage ; sous le regard inquisiteur de certains producteurs…


VIDEO – Les populations de Konioudou soignent leur barrage à mains nues et pieds nus


Noufou KINDO

Burkina 24

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Noufou KINDO

@noufou_kindo s'intéresse aux questions liées au développement inclusif et durable. Il parle Population et Développement.

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