Dr Aboubacar Sango : « Le nomadisme politique est une insulte à l’électeur »

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Dr Aboubacar Sango, maître assistant de droit public à l’Unité de formation et de recherche (UFR) Sciences juridiques et politiques de l’Université Thomas Sankara (UTS), contacté par  Burkina 24 le vendredi 28 mai 2021, a donné sa lecture sur les contours de la loi portant nomadisme politique au Burkina Faso.

Burkina 24 (B24) : Que dit la loi sur le nomadisme politique au Burkina Faso ?

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Dr Aboubacar Sango (Dr Sango) : Le nomadisme politique est un phénomène qui se caractérise par la démission d’un élu de son parti politique pour rejoindre un autre parti politique. C’est un phénomène que beaucoup de pays africains, y compris le Burkina Faso, ont connu et ils ont essayé d’apporter des réponses. C’est ainsi qu’en 2009, au Burkina Faso,  la Constitution sera révisée, et son article 85 dit que tout élu qui démissionne librement de son parti politique est déchu de son mandat.

Plus tard, le Code électoral en 2015 sous le CNT (conseil national de la Transition, ndlr) va procéder aussi à la consécration de l’interdiction du nomadisme politique au niveau local. L’article 238 du Code électoral va disposer que tout élu, tout conseiller qui démissionne librement de son parti politique est déchu de droit et est remplacé par un suppléant. Il en est de même si la personne était ou est un élu indépendant. De la même manière au niveau de l’Assemblée nationale, les indépendants qui démissionnent sont déchus de leur mandat.

La difficulté de trouve dans la notion de démission. Comment on entend la notion de démission ? Ça peut être un acte volontaire. Vous écrivez à votre parti politique que vous démissionnez, et vous rejoignez un autre parti politique. Cela a été le cas de Armand Ouali. Il était élu sous la bannière d’un autre parti politique et en cours de mandat, il avait rejoint l’UPC (l’Union pour le progrès et le changement, ndlr).

Mais est-ce qu’il n’y a pas des comportements qu’on peut assimiler à une démission ? C’est cela la question. Je crois que la situation que nous vivons aujourd’hui répond à cela. C’est un sujet que j’avais abordé dans ma thèse de doctorat. La démission, est-ce que quelqu’un qui se met en position d’exclusion ne peut pas être considéré comme démissionnaire ?

J’appelle quelqu’un qui se met en position de démission, quelqu’un qui sait que s’il démissionne volontairement de son parti politique, il sait qu’il sera déchu de ses fonctions. Alors que s’il est exclu, il est censé ne pas perdre son mandat, donc la personne peut se mettre dans une position d’exclue. C’est la personne qui veut démissionner mais qui oblige son parti à l’exclure.

Je pense qu’il y a des comportements qu’on peut assimiler à la démission. Pour répondre à cette question, il faut se fier au fonctionnement des partis politiques, aux comportements des élus à l’intérieur des partis politiques, parce que la loi a un sens, ses dispositions ont un sens et c’est d’éviter de fragiliser les partis politiques, c’est éviter de fragiliser les majorités à l’intérieur des Conseils municipaux, des Assemblées nationales. Mieux, c’est éviter que l’élu ne trahisse son électeur.

On a vu le cas en 2019, de l’affaire Elisée Kiemdé. Il faisait partie des 13 qui ont créé l’UPC-RD (groupe parlementaire Union pour le progrès et le changement-renouveau démocratique, ndlr). Plus tard, Kiemdé est parti créer un parti politique (l’Union pour la république et la démocratie, ndlr). Je crois qu’il a voulu jouer avec son parti mais qui a été plus rusé que lui puisque le parti avait d’abord pris un acte d’exclusion provisoire. Ensuite, le parti est revenu sur son acte d’exclusion provisoire. Et entre-temps Elisée Kiemdé a créé son parti politique dont il était le président. Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi, il a interprété ce comportement comme un comportement qu’on pouvait assimiler à une démission. Par conséquent, Elisée Kiemdé a perdu son siège, il a été remplacé par Nikièma Kouliga.

Le cas UPC-RD ressemblait fortement à la situation d’élus qui se mettent en position d’exclusion. Je suis de ceux qui soutenaient que depuis lors, il fallait considérer cela comme un cas de nomadisme politique et en tirer les conséquences.

B24 : Mais les cas actuels, il y a des démissions formelles et des démissions non formelles…

Dr Sango : C’est ce que le Conseil d’Etat a appelé une démission tacite. N’oubliez pas que le ministre (en charge des libertés publiques, ndlr) dans l’affaire qui fait les gorges chaudes actuellement avait demandé un avis du Conseil d’État. Le Conseil d’État a dit qu’on pouvait considérer cela comme une démission tacite et que les partis pouvaient en tirer les conséquences.

Mais au-delà du Conseil d’Etat, je considère ce type de comportement comme des situations de démission tacite où on oblige le parti à vous exclure pour conserver votre mandat. Et parmi les protagonistes, il y a certains dont la situation ressemble vraisemblable à la situation d’Elisée Kiemdé. C’est vrai que ce sont des élus, mais on ne peut pas interpréter et ignorer les interprétations qui ont été déjà faites par d’autres juridictions.

C’est vrai qu’on est devant le Conseil d’Etat, par le dialogue des juges, par l’influence des jurisprudences, le Conseil d’Etat ne peut pas ignorer des situations que le juge constitutionnel a eu déjà à traiter. Parmi eux, certains, leur situation ressemble à celle d’Elisée Kiemdé, puisqu’ils ont joué aux rusés, ils ont démissionné qu’à un mois de la fin de la législature et ils sont allés créer leur parti politique MBF (Mouvement pour le Burkina du Futur, ndlr). Mais certains avaient été élus maires, conseillers municipaux, sous la bannière de l’UPC. De ce fait, ils devraient perdre les mandats d’élus locaux. Il me semble qu’on est dans une situation qui est assimilable à une démission.

Le rôle du juge aussi, c’est de combler le vide législatif. Il n’y a pas de vide juridique, mais législatif. Le juge a un pouvoir normatif.  Cela veut dire qu’il a un pouvoir d’interprétation des textes. C’est à lui, dans ces genres de situation, en attendant que les législateurs n’interviennent, d’interpréter les textes de sorte à donner sens à ce que le législateur a voulu réprimer.

Je pense qu’on est dans une situation de démission. Qu’ils (les élus, ndlr) aient le courage de partir. Et le Code électoral dans son article 238 dit que lorsque vous démissionnez, vous êtes déchus de droit. Si on considère leur situation comme des gens qui ont démissionné et je considère cela comme des démissions, je dis qu’il y a des comportements qu’on peut assimiler et on peut les considérer comme des gens qui ont démissionné.

Dr Sango : « Aucune loi ne peut envisager toutes les situations »

B24 : Par rapport à la démission tacite, est-ce que la loi est claire sur le sujet ?

Dr Sango : Aucune loi ne peut envisager toutes les situations. Le grand maître Portalis disait que la loi ne peut pas tout prévoir. C’est le rôle du juge, de pallier ces insuffisances en utilisant son pouvoir normatif. D’un point de vue technique, si le Conseil d’Etat a assimilé ce comportement à une démission tacite, si dans l’affaire Elisée Kiemdé, le juge constitutionnel a considéré son comportement comme étant une démission, il y a de la jurisprudence en la matière pour suffisamment interpréter les comportements.

Et j’ai dit, nous sommes en matière politique, il faut bien connaître le fonctionnement des partis politiques, il faut bien être sensibilisé sur la ruse des politiciens, des élus pour en tirer les conséquences. Depuis l’affaire UPC-RD, c’était l’exemple d’une démission. A l’époque, l’UPC n’avait pas été soutenu par les partis politiques. Mais en tant qu’analyste, j’étais convaincu que ce problème pouvait se produire dans n’importe type de parti (politique). Après le cas UPC-RD, ça a été le cas du député Alexandre Sankara.

J’ai l’impression aujourd’hui, que les partis politiques ont pris la mesure de la situation. Et même un parti comme le MPP (Mouvement du peuple pour le progrès, ndlr) n’est pas à l’abri d’une telle situation, même à l’Assemblée nationale. Vous savez, dans le cas de qui sera le successeur du chef de l’Etat, beaucoup de choses peuvent se passer. S’ils tiennent à donner l’exemple, c’est pour décourager les futurs candidats à des exclusions forcées.

B24 : Une question de précision, si l’élu national ou local est exclu de son parti, perd-il son mandat ?

Dr Sango : S’il est exclu volontairement par son parti politique, il conserve son mandat. Attention, si vous usez objectivement de votre liberté d’expression à l’intérieur de votre parti politique et que cela ne plait pas à certains individus y compris le leader de votre parti politique, si vous êtes exclu, vous n’allez pas perdre votre mandat.

B24 : Comment expliquez-vous la réhabilitation des maires par le tribunal  administratif ?

Dr Sango : Il m’est difficile d’analyser la décision du Tribunal administratif puisque je ne l’ai pas sous mes yeux. Je vous lis l’article 238 du Code électoral : « Tout conseiller municipal qui démissionne librement de son parti ou de sa formation politique en cours de mandat est de droit déchu de son mandat ».  Dès que vous êtes dans cette situation, vous êtes considéré comme quelqu’un qui est déchu de son mandat. Tout ce qu’on peut faire, c’est de prendre un acte pour qu’on vous remplace. Je ne veux pas commenter les décisions du juge. N’ayant pas lu la décision du juge, j’ai eu des échos. Mais l’un dans l’autre, je dis, ils sont considérés comme des gens qui sont déjà déchus de leur mandat. Je crois que ça ne souffre d’aucun doute, leur comportement est assimilable à une démission. Tout ce que l’administration peut faire, c’est de prendre des initiatives pour qu’ils soient remplacés.

B24 : Personnellement, que pensez-vous du phénomène de nomadisme politique au Burkina Faso ?

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Burkina 24

Propos recueillis par Ignace Ismaël NABOLE

Burkina 24

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Ignace Ismaël NABOLE

Journaliste reporter d'images (JRI).

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