Ici Au Faso : Des « Vagabonds de l’éducation » au service des déplacés internes

publicite

21 jeunes bénévoles, à travers leur Programme Vacances Utiles (PVU), offrent des cours gratuits à des enfants déplacés internes dans le quartier Pazani de Ouagadougou. Ces cours sont dispensés aux élèves de la classe du premier cycle (de la 6ème à la 3ème). 

La suite après cette publicité

Un coup de baguette sur la table : les dos se penchent sur les pupitres de bois délabrés. Un autre coup : les cahiers d’exercices se lèvent, griffonnés d’écritures enfantines où chacun tente de conjuguer le verbe « prier » au passé composé.

Mardi 3 août 2021. Nous sommes à l’école « Menefredcia » de Pazani. Il est 8h. Ici, des enfants déplacés internes bénéficient de cours gratuits grâce à un groupe de bénévoles. Dans une des salles de classes, règne un silence de plomb. Les élèves ont déjà débuté les cours.

Au quartier non loti Pazani de Ouagadougou, retrouver cette école n’est chose aisée. Les routes sont presque impraticables, fermant l’accès à plusieurs pistes. A l’aide d’une application de géolocalisation et de renseignement auprès des riverains, nous arrivons enfin à bon port.

« Qui peut me donner l’infinitif des verbes qui se trouvent au tableau ? »

Dans la salle à peine crépie, avec des toits classiques, plusieurs élèves du premier cycle prêtent l’oreille aux instituteurs bénévoles. Ces enfants sont répartis dans trois salles distinctes. Nous suivons les cours avec eux.

Dans la première salle visitée, environ une dizaine d’élèves ont leur attention attirée vers le cours de conjugaison. Chacun avec un air innocent, essaye malgré tout de paraître bien.

De partout, les stylos résonnent comme pour prouver à l’instituteur que l’attention au cours y est. Rapidement, le verbe « prier » est conjugué au présent de l’indicatif puis au passé composé. Les élèves semblent assimiler désormais les principes de cela. Place à un autre module.

« Qui peut me donner l’infinitif des verbes qui se trouvent au tableau ? » lance l’instituteur de la première salle, Abdoul Samad Ouédraogo. Les enfants, d’un regard figé, essayent de trouver la réponse. Les yeux sont rivés vers le haut, comme pour calculer la quantité de matériaux de toiture. Ainsi, à tour de rôle, les élèves passent au tableau pour démontrer leur savoir-faire.

Dans un coin de la salle, Samira (nom d’emprunt), 14 ans, en classe de 6ème, est souriante depuis notre arrivée. Elle essaye de jouer la « maîtresse » en expliquant une partie d’un exercice à sa voisine, à l’insu du maître.

Le seul garçon de la salle, Moussa (nom fictif), vêtu de vêtements communément appelés « friperie », tient fort bien sa plume en griffonnant une note. A la suite, il se fait interpeler par le maitre : « Chef, peux-tu nous conjuguer le verbe vouloir au présent ? ».

Après plusieurs tentatives entremêlées de titubations, c’est finalement Samira, habillée en tee-shirt vert délavé, qui vient à sa rescousse. « Je veux, tu veux, il veut, … ». « Bravo », applaudit l’enseignant, Abdoul Samad Ouédraogo.

« Là où on était, tout allait bien. Je rêvais de devenir infirmière »

Derrière le sourire de Samira, se cache une histoire de vie ! Elle ne s’est pas retrouvée volontairement à Ouagadougou. Dans un français approximatif, elle raconte : « Je suis en classe de 6ème. Nous avons fui les Hommes armés de Seressouma, pour venir jusqu’à Ouagadougou. Là où on était, tout allait bien. Je rêvais de devenir infirmière.

Ici, nous recommençons les cours. J’espère pouvoir poursuivre mes rêves à partir de cela », lance d’un air nostalgique la petite Samira. Ensuite, dit-elle, ses parents s’occupent bien d’elle en ce moment, car ils ne ménagent aucun effort pour lui permettre de rattraper le temps perdu à l’école même si cela s’avère difficile.

Après quelques minutes passées dans la première salle, nous nous orientons vers la salle suivante, toujours dans le même décor que la salle précédente. Là-bas, les élèves sont beaucoup plus concentrés compte tenu du silence sur place.

Normal ! Car il s’agit de la classe de 4ème, donc les aînés de la salle précédente. L’ambiance est partagée entre correction d’exercices et questions-réponses de l’enseignant. Dans un couloir à gauche de la classe, l’on peut d’ores et déjà apercevoir Salimata, un foulard sur la tête.

Elle fait mine de se cacher, peut-être pour éviter les interrogations du maître ou peut-être qu’elle est intimidée par notre présence. Toute calme, la tête baissée, elle essaye tant bien que mal de participer aux cours dispensés.

Enfin de compte, sur suggestion du groupe de bénévoles, Mariétou s’avance pour donner ses impressions. Agée de 14 ans, elle nous confie qu’elle vivait à Taorèma, une localité située dans le Soum. Elle voulait, avant que ce rêve ne devienne à la limite illusoire, devenir médecin pour soigner les habitants de sa localité.

« C’était un jour de marché, nous sommes allés pour chercher à manger, puis ils (Hommes armés) sont venus et ils ont commencé à tirer. Ils ont tué 6 personnes ce jour-là au marché. Cela était vraiment effrayant. On avait vraiment très peur. Après, ils sont revenus 3 fois et dans ces retours, ils ont encore tué 7 personnes.

A partir de là, nos familles ont décidé d’aller à Kelbo avant de rejoindre Ouagadougou. On était en tout 26 personnes. Moi je rêvais de devenir médecin pour soigner les personnes de mon village. J’espère que ce rêve, je pourrais le poursuivre à travers ces cours », souhaite Mariétou dans un français familier, mais l’air confiant.

« La situation rentrera dans l’ordre dans quelques jours »

Le troisième bâtiment, lui, abrite les élèves de la classe de 3ème, tous dans la tranche d’âge de 14 à 16 ans, et aussi déplacés internes vivant à Ouagadougou.

La classe est à moitié pleine. Cette situation est due, à en croire Armel Jules Kima, initiateur de ce Programme Vacances Utiles (PVU), au fait que ce soit le premier jour de la rentrée.

« La situation rentrera dans l’ordre dans quelques jours », affirme-t-il. Pour éviter d’empiéter sur la concentration des futurs brevetés, au regard de leur inattention lorsque nous faisons irruption dans la salle, nous préférons ressortir pour permettre le déroulement normal des cours.

Mais Karim, âgé de 15 ans, veut, lui aussi, raconter le récit des événements qui lui sont arrivés. Les enseignants marquent une petite pause pour lui permettre de se retirer de la salle.

Il veut devenir militaire…

« D’abord, ils sont venus dans le village pour dire qu’ils ne veulent plus venir nous trouver ici. Ensuite Nous étions tranquillement à Seressouma, quand tout à coup des Hommes armés sont rentrés dans le village, et nous avons donc couru pour rentrer en brousse. Nous étions 10 personnes. A notre retour, nous avons vite cherché un moyen pour arriver à Ouagadougou », se fie Karim à sa mémoire d’éléphant.

Ce sont leurs aînés, poursuit-il, qui ont préparé leur départ, car dès leur retour de la brousse, des véhicules prêts à bouger étaient déjà sur place. Karim a un rêve : Il veut devenir militaire pour pouvoir, non seulement, sauver sa famille, mais également épargner cette horde à tout être humain au Burkina Faso.

« Heureusement toute ma famille est ici et avec ces cours, je pense que rien n’est perdu. Mon papa s’est mis à la vente de téléphones et accessoires depuis 2019 pour que nous puissions continuer le cours normal de la vie », ajoute-il.

Pendant que nous sommes encore au sein de l’établissement, une dame fait son arrivée, en compagnie de Jules Kima que nous surnommons « le premier des Vagabonds de l’éducation à Pazani« , à l’image du Français Raoul Follereau.

Aminatou, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, avec un nouveau-né au dos, et un foulard jaune sur la tête et vêtu de blanc, indique que ces élèves déplacés se présentent pour elle comme les siennes, au regard des situations qu’ils ont vécues avec elle, ou avec leurs parents respectifs. Et cela, malgré leur jeune âge.

« Je suis présente ici en tant que belle-mère d’un enfant qui suit les cours de ces bénévoles. Ce petit est l’enfant de ma coépouse, certes, mais c’est comme si je l’avais mis au monde, surtout avec les événements que nous avons traversés ensemble », s’alarme-t-elle.

La famille de Aminatou vient de Silgadji, qui relève de la commune de Tongomayel. « Les hommes armés sont d’abord venus chez les voisins, ensuite, après les répétitions des attaques et leur retour permanent, comme on avait par chance déjà nos maris en dehors de la zone, ils ont orchestré notre entrée à Ouagadougou. Nous avons, avant d’arriver ici, transité par plusieurs endroits », marmonne-t-elle.

A leur arrivée à Ouagadougou, la vie ne leur fait pas de cadeau non plus. « À peine si les autorités nous considèrent comme des déplacés. Nous vendons des tas de sable pour survivre. Heureusement, les logements nous ont été donnés par des personnes de bonne volonté. Imaginez notre joie lorsqu’on constate que nos enfants continueront l’école et cela gratuitement. Seul Dieu pourra récompenser ces bénévoles », déclare-t-elle, presque en larmes, en langue Mooré.

59 élèves déplacés internes de la 6ème à la 3ème

Nous nous dirigeons vers les bénévoles pour comprendre ce qui est à la base de ce sacerdoce. Selon Armel Jules Kima, volontaire humanitaire et initiateur du programme Vacances Utiles (PVU), l’initiative est née du constat que l’aspect éducatif des déplacés internes reste un peu délaissé.

« Certains parents avaient les moyens d’envoyer leurs enfants dans les privés. Mais que deviennent ces déplacés ? Qui va s’en charger ? C’est vrai, il y a beaucoup de dons dans ce sens mais le côté éducatif est moins considéré. Donc on s’est lancé dans cette cause.

Au début, ce n’était pas facile. L’an passé, on avait 12 élèves en 3ème et ils ont fait un 100%. C’est quelque chose qui mérite que nous continuions ce programme. Pour cette année, nous avons 59 élèves déplacés de la 6ème à la 3ème », se félicite-il.

Le Programme Vacances Utiles est une initiative d’un groupe de bénévoles, à l’égard des enfants déplacés internes vivant à Pazani. Les cours sont dispensés par 21 jeunes dont 17 enseignants bénévoles et 4 du comité d’organisation. Les cours se déroulent du lundi au samedi à partir de 07h sur fonds propres du comité.

Au Burkina Faso, les personnes déplacées internes (PDI), ont atteint 1.368.164 à la date du 31 juillet 2021, repartis sur 274 communes dont 60,73% sont des enfants.

Abdoul Gani BARRY

Burkina 24

❤️ Invitation

Nous tenons à vous exprimer notre gratitude pour l'intérêt que vous portez à notre média. Vous pouvez désormais suivre notre chaîne WhatsApp en cliquant sur : Burkina 24 Suivre la chaine


Restez connectés pour toutes les dernières informations !

publicite


publicite

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page