République populaire de Chine : Menace ou opportunité pour l’Afrique ?

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Ceci est un message du journaliste burkinabè Adama Ouédraogo dit Damiss

Le sentiment anti-français est grandissant au sein de l’opinion publique africaine, particulièrement au niveau de la jeunesse. Des voix s’élèvent pour exiger un nouveau partenariat avec la France qui préserverait et protègerait les intérêts de nos pays. Les plus extrémistes vont jusqu’à proposer la rupture avec Paris, seule voie, selon eux, vers une indépendance totale de l’Afrique. L’ancienne puissance coloniale est l’objet de fantasmes et de débats passionnés, au point qu’on s’intéresse peu aux autres géants, notamment à la République populaire de Chine (RPC), qui a pourtant pris pied sur le continent noir: la coopération bilatérale avec l’Empire du milieu est-elle une opportunité ou constitue-t-elle une menace ? Nous tenterons de répondre à cette interrogation à la lumière des faits.

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En trente ans, la Chine est passée du sous-développement au deuxième produit intérieur brut (PIB) mondial. Et elle n’entend pas s’arrêter en si bon chemin : elle ambitionne désormais de détrôner les États-Unis de leur statut de première puissance planétaire. Avant d’y parvenir, la Chine doit relever trois défis majeurs.

Primo : assurer l’autosuffisance alimentaire de ses 1,3 milliard d’habitants. Le territoire chinois est vaste mais ses terres arables restent relativement insuffisantes pour générer de la nourriture en quantité. Producteurs de blé, par exemple, les Chinois se voient obligés d’en importer depuis chez l’Oncle Sam.

Secundo : atteindre l’indépendance énergétique. La Chine est de loin le premier producteur mondial de charbon, et dispose de pétrole. Elle fait même partie des principaux producteurs mondiaux d’or noir. Sa consommation est cependant si importante qu’elle est devenue l’un des plus gros importateurs pétroliers.

Tertio : arriver à l’indépendance minérale. De la même façon, les Chinois possède un sous-sol riche en ressources minières, malheureusement leur consommation est sans commune mesure avec leur niveau de production.

« Que faire ? », pourrait-on se demander, en reprenant le titre du roman du révolutionnaire russe Nikolaï Tchernychevski (1863) ou celui du traité politique du premier leader soviétique, Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine, publié en 1902.

Pour répondre à ces challenges, l’Empire du milieu s’est lancé à l’assaut d’un eldorado minier: le continent africain, véritable « scandale » en matière de ressources naturelles peu ou prou exploitées. Le contexte lui est favorable : d’une part, les opinions africaines s’indignent de plus en plus de l’ingérence de l’Occident dans les affaires internes ; d’autre part, les pays africains ont du mal à lever des fonds sur le marché financier, et les conditions pour percevoir l’aide au développement et se voir octroyer des prêts sont contraignantes. Or, la Chine, selon sa vision, n’a pas vocation à s’immiscer dans la politique intérieure de ses partenaires. Elle n’a que faire des droits de l’homme et des questions électorales. La RPC se moque du fait qu’un dirigeant africain soit un dictateur, un président mal élu ou issu d’élections fortement contestées. Seuls comptent pour la superpuissance les intérêts de son gouvernement et ses objectifs de développement.

 La diplomatie des gros prêts

Face donc aux difficultés que connaissent nombre de pays africains pour obtenir des financements, la Chine intensifie sa coopération avec l’Afrique et accorde des prêts à tout va. Elle passe à la vitesse supérieure en initiant, en miroir des sommets France-Afrique, des grands-messes sino-africaines afin de mieux appâter les dirigeants du continent.

En 2006, 40 pays étaient ainsi représentés et 24 chefs d’État directement présents à Beijing pour le Forum de coopération sino-africain (Focac). Cette rencontre a désormais lieu tous les trois ans. Au cours de ce jamboree, les Chinois déroulent leurs projets pour les Africains, évoquant une coopération « gagnant-gagnant » et promettant des prestations de qualité à un moindre coût.

Au début de l’année 2006, déjà, le ministre des Affaires étrangères chinois de l’époque, Li Zhaoxing, avait effectué une tournée qui l’avait conduit au Sénégal, au Mali, au Nigéria, au Cap-Vert et au Libéria – où il avait offert 25 millions de dollars au gouvernement libérien, pourtant sous influence américaine, dans le but de contribuer à la reconstruction du pays fortement meurtri par la guerre civile.

Le président Hu Jintao a pris lui aussi le chemin de l’Afrique en visitant le Maroc, le Nigéria et le Kenya. Aujourd’hui, le chef de l’État Xi Jinping a fait de l’Afrique une priorité absolue, et a réussi le tour de force d’étendre davantage son influence sur le continent à travers des crédits défiant toute concurrence : la diplomatie des gros prêts (a priori) sans ingérence politique tourne à plein régime.

La Chine donne de la droite et récupère de la gauche

« Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts », disait le général de Gaulle. Derrière cette ruée vers l’Afrique se cache en réalité un système de prédation savamment orchestré en utilisant les monnaies de la banque centrale chinoise.

En effet, Pékin possède la plus grande réserve de change au monde : en avril 2021, la Chine était en tête du classement planétaire avec 3198 milliards de dollars, très loin devant son dauphin japonais (1 178 milliards). En comparaison, la France pointe en 15e position (223,26 milliards), derrière la plus forte économie d’Europe, l’Allemagne (13e  avec 257,17 milliards).

Grâce aux immenses réserves de sa banque centrale, la RPC dispose donc de moyens inouïs pour financer l’Afrique. Ainsi, elle va octroyer des milliards de dollars de prêts aux pays du continent. Cet argent n’est toutefois pas remis aux États directement, mais via deux canaux: l’Export-Import Bank of China (Exim Bank) et la China Development Bank (CDB).

La première est le véritable établissement bancaire au cœur de tout le système : il a pour rôle de prêter à l’import et à l’export, en particulier en Afrique. Autrement dit, Exim Bank finance les entreprises chinoises qui investissent sur le continent, de même que les entreprises africaines qui achètent en Afrique. 

Lorsqu’un prêt est accordé à un pays africain, l’accord prévoit que les travaux à réaliser seront confiés à des sociétés chinoises. Exim Bank débloque ensuite les fonds et les met à disposition des entreprises nationales concernées. Parallèlement, le pays africain demandeur accorde les autorisations nécessaires aux entreprises chinoises. En somme, la Chine ne fait que prêter à la Chine. Plus grave, il est prévu dans les clauses qu’en contrepartie de ces prêts la Chine exploite durant plusieurs années les ressources naturelles du pays, qu’ils s’agissent de mines ou de gisements pétroliers.

À Madagascar, par exemple, le consortium chinois Wuhan Iron and Steel Corporation (Wisco) a réussi à se faire attribuer la mise en valeur du plus gros gisement de fer du pays, à la suite d’un contrat passé avec le gouvernement pour une valeur de 6,7 milliards d’euros. Ce partenariat prévoit qu’en échange de la libre exploitation des mines pendant 30 ans Wisco s’engage à construire une zone industrielle, des usines de transformation, un espace portuaire et une centrale hydraulique. 

Autre illustration édifiante : Pékin et Kinshasa (capitale de la République démocratique du Congo) ont signé en 2010 un accord qui stipule que, sur un quart de siècle, la Chine recevra 11 millions de tonnes de cuivre, 620 000 tonnes de cobalt et 372 tonnes d’or.

En contrepartie, deux entreprises étatiques chinoises, China Railway Engineering Corporation (CREC) et Sinohydro (construction), vont construire au pays de Kabila 31 hôpitaux, 145 centres de santé, 4 universités, 3 000 kilomètres de routes et autant de voies ferrées. Ces entreprises seront exonérées d’impôt en RDC pendant trente ans. Sur les 10 000 emplois à créer, l’accord prévoit l’embauche de 3 000 Chinois. 

La totalité des recettes de la production minière sera utilisée pour rembourser le coût des travaux, quand les bénéfices seront, eux, répartis sur une base de deux tiers pour la Chine et d’un tiers pour le Congo-Kinshasa.

Plus près de chez nous, la compagnie pétrolière China National Petroleum Corporation (CNPC), plus connue sous le nom de Petrochina, signe un contrat avec le gouvernement nigérien. La Chine décaisse 900 millions de dollars, qu’elle prête à Petrochina à travers Exim Bank. L’établissement financier se rembourse ensuite avec le pétrole nigérien exploité et vendu par Petrochina.

Que dire de la Tanzanie, de l’Égypte, du Ghana, du Nigéria, de l’Afrique du Sud de la Côte d’Ivoire, qui ont signé de très juteux contrats avec Pékin ? La liste est longue comme le bras. La China Harbour Engineering Company a par exemple investi 430 millions de dollars dans la construction du deuxième terminal à conteneurs du port d’Abidjan. Et, pas plus tard qu’en juin 2021, Pékin a également conclu avec Bamako un accord financier de 130 millions de dollars pour l’exploitation de la mine de lithium Goulamina, au centre du pays.

Presque tous les États courent vers la République populaire de Chine pour obtenir du  cash. Mais à quel prix ?

Certes, ces crédits chinois permettent de construire des infrastructures, mais en contrepartie l’ardoise est élevée… sans oublier le fait que ces Chinois viennent avec leur personnel et avec leurs ouvriers pour réaliser ces projets. Il n’y a pas véritablement de transfert de compétences dont l’expertise locale pourrait bénéficier.

Quand le Burkina Faso a organisé la Coupe d’Afrique des nations de football (CAN), en 1998, on s’est rendu compte que les Chinois qui avaient construit le Stade du 4-août à Ouagadougou n’avaient même pas pris la peine de montrer aux techniciens burkinabè comment fonctionne le circuit électrique qui alimente le panneau d’affichage du terrain.

Même les ampoules et l’arrosage du gazon posaient problème. Notre pays a ensuite rompu sa coopération avec la Chine, et il a fallu l’arrivée des Taïwanais pour débloquer cette situation ubuesque.

Corruption et problèmes environnementaux au menu

À cela, il faut ajouter que les Chinois n’accordent aucun égard aux questions environnementales : ils détruisent les forêts et ravagent la faune. Les animaux sont abattus pour leur propre consommation, ou bien font l’objet de contrebande parce que certains organes sont très prisés dans la médecine chinoise.

Autre aspect, et non des moindres : la surfacturation. Les contrats passés avec les États sont très souvent surfacturés afin de pouvoir mieux tenir les dirigeants en laisse. Un audit permet de découvrir la supercherie. Là encore, les Chinois sont passés maîtres dans l’art de corruption. Ils savent arroser les dirigeants africains en espèces sonnantes et trébuchantes.

En 2012, le président d’un pays de la sous-région a cherché à voir clair dans un contrat passé entre la Chine et le précédent régime. Il a donc demandé qu’une expertise soit réalisée par rapport au contrat passé avec Petrochina… et l’opération a révélé des surfacturations énormes. Le chef de l’État en question, flanqué de son ministre des Mines et de l’Énergie, a rencontré les autorités chinoises pour tirer le dossier au clair. Que s’est-il passé dans les coulisses de cet entretien  ? Mystère et boule de gomme.

Aujourd’hui, ce sont les ONG des pays occidentaux que nous fustigeons et qualifions à longueur de journée d’impérialistes qui luttent contre les surfacturations des contrats chinois en exigeant et en obtenant des audits.

Assumons notre part de responsabilité

La République populaire de Chine a plus d’un tour dans son sac. Son hégémonie en Afrique étant mal perçue par les Occidentaux, elle s’associe par moment à des sociétés européennes pour exécuter certains marchés. Dans le même temps, Pékin cherche à contrôler les médias africains ou à s’attirer leur sympathie. Des approches stratégiques sont faites en direction des organes de presse afin d’entretenir les meilleurs rapports possibles avec eux et gagner leur bienveillance.

Les partis politiques, leurs leaders, ou encore les organisations de la société civile, sont tous invités en Chine, avec au menu rencontres d’échanges, visites touristiques, etc.

La jeunesse africaine ne doit pas faire une fixation sur la seule France. Elle doit être regardante sur les partenariats noués avec toutes les grandes puissances. Aucune nation ne fait dans la philanthropie. Certes, la France a colonisé nos pays, pillé nos ressources et soutenu des dirigeants qui oppriment leurs populations, mais aujourd’hui elle n’est pas responsable de tous nos maux.

Nous avons une part de responsabilité dans notre sous-développement, et nous devons avoir le courage de le reconnaître et de nous assumer pleinement. Est-ce la France qui octroie les marchés publics à nos entreprises défaillantes, lesquelles construisent des voies bitumées qui se dégradent en moins d’une année? Est-ce la France qui bâtit des infrastructures scolaires qui s’écroulent dès les premiers vents de la saison pluvieuse ?

Est-ce la France qui nous empêche de former et de recruter des médecins spécialisés en nombre suffisant pour faire tourner nos centres médicaux ? La France nous interdit-elle d’ériger des hôpitaux modernes avec des équipements haut de gamme ? La France s’oppose-t-elle à la constitution d’une armée forte avec des Hommes équipés et bien formés ?

Pendant qu’on y est, n’est-ce pas nous, par notre mode de vie et de consommation, qui enrichissons les entreprises françaises ? La bière que nous achetons et que nous buvons n’est-elle pas fabriquée par une société française ?

Qu’avons-nous fait pour que BRAFASO, du Burkinabè Mohamed Sogli, puisse tenir la dragée haute à la concurrence ? Qu’avons-nous fait pour que les stations d’essence de Mahamadi Savadogo dit Kadhafi se développent face aux compagnies étrangères ? N’est-ce pas des Burkinabè qui ont vivement critiqué l’accord de siège accordé à Coris Bank Holding ? Finalement le siège de cette institution financière s’est délocalisé  ailleurs avec tous les avantages que cela comporte pour le pays hôte. Sous d’autres cieux, on soutient les locaux pour en faire des champions mondiaux dans leur domaine respectif.

Qui nous oblige à nous abonner aux bouquets des chaînes de télévision françaises ? Pourquoi nos politiques n’injectent-ils pas suffisamment de ressources financières pour permettre aux productions audiovisuelles locales de rivaliser ?

En vérité, nous aimons tout ce qui provient de l’étranger. Combien sont-ils, les dirigeants et les cadres africains, à connaître par cœur les coûts et les goûts des vins et champagnes importés de France ? Combien sont-ils à aller passer des vacances en France avec femmes et enfants ou maîtresses, après avoir économisé quelques millions ou encaissé de gros sous grâce à un deal juteux ?

Pourquoi ne pas aller faire un tour au village ou dans des coins touristiques du pays afin de dépenser notre argent, ou bien choisir la sous-région comme destination ? Certes, le voyage permet de découvrir le monde et d’apprendre, mais en même temps on travaille pour aller dépenser chez le Blanc… Nous ne connaissons même pas bien nos propres pays, alors que beaucoup citent par cœur les régions françaises, les magasins du luxe et les restaurants chics des 16e ou 17e arrondissement de Paris.

Que dire de nos hommes politiques qui ont des comptes bancaires fournis et des résidences privées à l’étranger, et dont les femmes ou les maîtresses font leurs emplettes à Paris ou à Bruxelles, payant parfois des sacs à main à des prix équivalents à dix millions de nos petits francs ? Dix millions, c’est peut-être l’économie de plus d’une dizaine d’années de nos pauvres instituteurs ou infirmiers qui pourtant jouent un rôle crucial dans le développement.

Observez les Chinois, ou les Asiatiques de façon générale : quand ils sont dans un pays étranger, ils mangent dans des restaurants asiatiques et achètent des produits chez leurs compatriotes expatriés, afin que le « blé » circule d’abord au sein de leur communauté.

Nous devons arrêter de nous lamenter, d’accuser la France et de ressasser le passé colonial. Nous devons dans un premier temps lutter pour une gouvernance vertueuse, combattre la corruption destructrice de nos économies, créer les bonnes conditions pour que nos entreprises locales soient compétitives, et travailler à un changement de comportement et de mentalités, au niveau individuel comme collectif.

En 1960, Madagascar avait le même niveau de développement que la Corée. Aujourd’hui, les Coréens sont à des années-lumière de la Grande Île. Pourquoi ? Simplement parce que les peuples d’Asie ont résisté culturellement à la pénétration occidentale d’une part, et que d’autre part ils sont très patriotes, individuellement et collectivement disciplinés.

La Chine marche inexorablement vers le statut de première puissance mondiale. D’ici à quelques années, elle pourrait y arriver. Et l’Afrique fait justement partie de sa stratégie pour atteindre cet objectif. Pendant que nous perdons notre trop-plein d’énergie à vociférer à longueur de journée contre Paris, Pékin exploite silencieusement nos richesses en utilisant ses colossales réserves de change…

Adama Ouédraogo dit Damiss

Journaliste-écrivain 

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