Rémis Dandjinou : « Nous avons envie de communiquer »

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La loi d’accès à l’information publique et administrative a été adoptée au Burkina. Mais est-elle appliquée sur le terrain ? Quelles sont les difficultés de mise en œuvre sur le plan administratif et juridique ? A quels obstacles les demandeurs d’information sont-ils confrontés ? Quelles sont les initiatives du gouvernement pour faciliter la jouissance de ce droit ? Quelle adaptation face aux attaques terroristes qui touchent le Burkina ? Le ministre de la communication, Rémis Dandjinou, répond dans cette interview (qui a été très rapidement accordée dès que la Rédaction a formulé la demande) réalisée le 14 mars 2017.

Burkina24 (B24) : Est-ce que depuis son adoption, la loi d’accès à l’information publique est mise en œuvre ?

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Rémis Dandjinou (R D): La loi a été adoptée le 30 août 2015. Et ce n’est pas seulement une loi qui a attrait à l’accès à l’information pour les journalistes mais aussi pour tous les citoyens. Cela pose un certain nombre de spécificités, notamment au niveau d’un organe qui est, semble-t-il, chargé d’assurer le contrôle de cet accès à l’information. Et c’est lors du débat à l’Assemblée nationale, à l’époque le Conseil national de la transition, que la question s’était posée.

Mais  aujourd’hui, dans le cadre de la relecture d’ensemble des textes qui est en cours, il apparait nécessaire de revoir comment cette instance va se mettre en place (…).

La deuxième problématique  qui est posée dans cette loi, c’est un certain nombre d’éléments pour garantir effectivement l’accès, notamment la classification des documents. Ce sont les structures qui étaient relativement un peu lourdes qui ont, je pense, freiné.

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Mais lorsque nous sommes arrivés au ministère de la communication, nous avons échangé avec le Premier ministre et nous avons jugé nécessaire de laisser les relectures des textes en cours au niveau de la  Constitution prendre en charge ce questionnement pour qu’il soit définitivement réglé. A la date d’aujourd’hui, le décret d’application n’existe pas. Mais la relecture de la Constitution nous permettra de régler la question.

B24 : Des journalistes ont confié qu’ils font toujours face à des portes fermées lorsqu’ils cherchent l’information publique. Vous est-il revenu des difficultés rencontrées par les journalistes ou les citoyens dans l’application de la loi ?

RD : Je pense que l’accès à l’information est un droit garanti par notre constitution. Et nous sommes sortis de deux ou trois années relativement ardues avec l’insurrection avec la transition qui oblige aujourd’hui tous les gouvernants à un minimum de redevabilité.

Il ne peut pas y avoir de ministre ou d’administrateur qui pourra refuser de répondre. A plusieurs reprises, nous avons dit aux journalistes que nous sommes à leur disposition. Nous sommes disposés à recevoir les journalistes. Nous allons au-delà de leur requête. Le service d’information du gouvernement (SIG) écoute les journalistes et leur fait des propositions de sujets.

Nous avons depuis 5 à 6 mois demandé que les ministres aillent dans les émissions interactives pour répondre directement aux questions des auditeurs parce que cela pose un problème de redevabilité. On n’a rien à cacher. S’il y a des choses qui sont impossibles à faire, le gouvernement dira que c’est impossible à faire. S’il y en a qui sont en discussion, on vous dira qu’elles sont en discussion. S’il y a des choses qui ont été commises  qui peuvent être reprochées, le gouvernement prendra acte et dira comment il compte rétablir.

 « Il y a eu des attentats extrêmement graves aux Etats-Unis. Je n’ai jamais vu la photo ou l’image d’une personne morte dans un magazine américain. Jamais ! C’est pareil en France.

On montrera de loin les forces armées en train d’agir mais nous, (…) nous ferons de gros plans sur des personnes couchées, mortes, etc »

Il n’y a donc pas de crainte. Nous faisons le point de presse du gouvernement. D’ailleurs, après chaque conseil des ministres, nous obligeons les ministres à aller sur le plateau  pour aborder une question. Nous avons arrêté qu’une fois par semaine, sur un des cinq medias que nous avons choisis de façon vraiment arbitraire par rapport à leur disponibilité et les langues utilisées, un ministre répondra dans une émission interactive aux questions des téléspectateurs ou  des auditeurs. Pour nous, il n’y a aucun besoin de cacher quoi que ce soit.

C’est vrai que parfois les contacts peuvent être difficiles. C’est pourquoi je dis chaque fois aux journalistes qu’ils ont un point d’ancrage qui est le Service d’information du gouvernement.

Lorsque nous avons repris notre année gouvernementale à la faveur du remaniement, nous avons fait un séminaire gouvernemental et tous les ministres ont convenu qu’il était nécessaire que le SIG assure un plus grand rôle de coordination pour éviter parfois des questions de calendrier. Le SIG prend une place très importante dans cette communication et vous pouvez être certain que nous  sommes ouverts. On a envie de communiquer.

Je voudrais rappeler que lors des 100 jours du Président Roch Marc Kaboré à Bobo, il (le Chef de l’Etat, NDLR) a dit qu’il veut que nous parlions et il est dans cette optique-là. Je pense que vous remarqué que le président du Faso s’est prêté au jeu des interviews sur « Twitter ». Il possède une Page Facebook très active.

La communication est donc pour nous un élément essentiel sur lequel nous travaillons. Chaque fois nous voulons être plus performants pour être dans cette redevabilité vis-à-vis des populations.

B24 : Vous confirmez que les agents de l’Etat sont informés de l’existence de cette loi ?  

R D : La loi existe mais le décret d’application n’a pas été pris. Il  y a donc un certain nombre de difficultés qui seront réglées dans le cadre de la relecture constitutionnelle que nous mettons en place. Elle nous permettra de toiletter parce que l’outil de contrôle apparaissait un peu trop lourd avec des membres permanents, des questions de rémunération, de désignation. C’était un peu compliqué et je pense que la relecture permettra de le faire.

 En attendant que cette loi puisse être mise en œuvre de façon pertinente, je confirme que les membres du gouvernement, les responsables de l’administration publique ont obligation de rendre compte. C’est une obligation de rendre compte à leurs mandants qui sont les populations qui ont donné quitus au président et qui les a choisis pour exercer par délégation certaines branches de son pouvoir.

B24 : Quand cette loi sera effective, est-ce que les journalistes pourront recourir à l’action judiciaire pour obliger certains agents réticents à donner l’information sollicitée ?

R D : On verra ce que la loi va donner en l’état. Le contexte a fondamentalement changé. Si vous voyez aujourd’hui que des personnes convoquent des animateurs de réseaux sociaux au tribunal, de la même façon, je pense que de plus en plus, des personnes astreignent l’administration pour lui demander des comptes. Aujourd’hui, ce droit à l’information, il est de fait une obligation. C’est vrai que la mise en œuvre à travers le texte légal peut être un peu plus lente parce qu’il n’y a pas assez de décrets d’application. Mais en attendant, je pense que cela ne pose pas un problème.

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Aujourd’hui, il y a un besoin de transparence. Il y a même un problème dans l’administration : c’est un manque de confidentialité parce que tous nos dossiers sont dans la rue avant que  nous les ayons étudiés. La transparence est donc partout. Beaucoup de medias, par exemple, ont fait cas de cette acquisition de véhicules. Il est dit qu’on a pris trois milliards (de F CFA, NDLR) pour payer des véhicules. C’est un dossier qui, arrivé en conseil de ministres, les ministres disent il n’en est pas question.

Mais de fait, les medias n’auraient pas dus  être informés puisque le conseil des ministres n’a pas étudié la question. Il l’a mise sur la touche. (…) Certains dossiers sont mis au-devant de la presse, qui est également le relai, parfois sans précautions parce qu’il y a ce besoin de précaution-là. Est-ce qu’ils ont adopté ou pas ? Que vont-ils faire avec ? Et on jette un peu l’anathème sur tout le monde sans avoir tiré le minimum de parti. Les documents sont-là, vous le savez. Vous avez accès à pratiquement tous les documents.

B24 : En ces temps d’attaques terroristes qu’est ce qui relève selon vous du secret défense ou des informations qui ne doivent pas être divulguées ?

R D : Je ne fais pas la régulation des contenus. Nous avons un organe qui est le Conseil supérieur de la communication et vous avez des organes de presse qui ont leur code d’éthique : c’est la charte de l’AJB (Association des journalistes du Burkina, NDLR) que nous avons tous adoptée et qui ont également le minimum de responsabilité citoyenne dans la mesure de cette situation sécuritaire.

Nous avons mis en place sous la houlette du ministère de la sécurité un comité de communication civilo-militaire qui gère ces questions-là et qui se met en contact avec les organes de presse. Vous avez discuté avec la communication de l’armée sous le biais du Conseil supérieur de la communication il y  a quelques jours de cela. Le secret militaire est défini par les spécialistes à la question et je pense que dans une situation comme celle que nous connaissons, nous devons aussi avoir à la fois le besoin de donner l’information aux populations et le besoin de préserver notre vivre en commun et la lutte que nous menons.

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Si nous devons dans le traitement de l’information être systématiquement en situation de dévoiler un certain nombre d’aspects qui peuvent fragiliser nos forces armées dans la mise en œuvre de leur riposte, je pense que cela peut devenir dangereux.

Si nous devons, dans le traitement de l’information, passer outre notre responsabilité sociale et faire de la désinformation parce que l’information n’a pas été corroborée et qu’on veut  juste faire du sensationnel et que ça amène les populations à quitter certains lieux, alors que ce n’est pas vérifié,  c’est notre responsabilité sociale. Et je pense que sur le fait, notre charte de journaliste de l’AJB et la responsabilité sociale de chaque journaliste  définisse ce qu’il peut dire ou ne pas dire.

Je suis journaliste donc je ne voudrais pas que quelqu’un d’autre vienne mettre le nez dans ma rédaction et je pense que chacun de nous a sa responsabilité par rapport à la situation dans laquelle nous sommes.  Il y a eu des attentats extrêmement graves aux Etats-Unis. Je n’ai jamais vu la photo ou l’image d’une personne morte dans un magazine américain. Jamais ! C’est pareil en France.

On montrera de loin les forces armées en train d’agir mais nous, (…) nous ferons de gros plans sur des personnes couchées, mortes, etc. Parfois, c’est un peu difficile à admettre, mais c’est notre responsabilité de journalistes. Il nous faut arriver à ce que  la personne humaine redevienne un élément à sacraliser tout comme nous sacralisons notre identité nationale, notre vivre en commun (…).

B24 : Est-ce que le gouvernement peut  astreindre certains medias ou citoyens à ne pas trop communiquer sur les évènements qui se passent ?

R D : Le gouvernement n’est pas dans ce rôle-là. Nous avons un organe de régulation qui est le CSC. Nous devons faire la part des choses et nous sommes dans un respect des rôles de tout un chacun. Si à un moment donné, le gouvernement estime qu’un organe de presse pose des actes qui portent atteinte à la sécurité de l’Etat, à ce moment,  il engagera la procédure judiciaire comme tout autre acteur pour trouver réparation. C’est très important que nous respections cela.

C’est pour cela qu’à l’initiative de la direction générale des médias, nous allons le 23 mars prochain au CBC faire une grande conférence sur les réseaux sociaux.

Qu’est-ce qu’ils nous apportent en termes de liberté et que peuvent être les risques en termes de cohésion sociale et de maintien sécuritaire ? Nous allons inviter des activistes des réseaux sociaux, des magistrats, des avocats et des acteurs de médias pour qu’ensemble, avec le public, il y ait un échange. 

Il y a un seuil que nous devons garder. Parce que malheureusement, dans notre pays, le niveau d’analphabétisme est tel qu’aujourd’hui, ce qui est dit sur « Facebook » en termes de « fake news » (fausses informations, NDLR) comme vous dites, est parfois perçu par les populations comme une vérité.

« Chaque acteur dans la mesure de la loi 081 doit pouvoir dans le respect de la hiérarchie, dans le respect de la procédure, donner l’information qu’on lui demande »

Certains organes de presse malheureusement  prennent ces éléments et leur donnent du crédit  alors que les éléments élémentaires de vérification de l’information, de confrontation des sources n’ont pas été réunis. Cela peut créer des problèmes parce que nous sommes dans une situation où la crainte est présente parce que nous sommes dans une guerre extrêmement asymétrique.

Vous mettez un million de soldats, cela n’empêchera pas un fou de Dieu de venir tuer 10 ou 15 personnes. Parce qu’on  ne sait pas à quel moment ils (les terroristes, NDLR) déclenchent cette attaque malgré tous les efforts que nous pouvons faire. Il y a ce petit problème que nous devons régler  mais on ne peut pas le régler de façon péremptoire,  avec des directives.

C’est un ensemble d’acteurs  qui doivent discuter ensemble et que, dans une éducation aux medias, les réseaux sociaux, les uns et les autres se rendent compte qu’il y a des choses sur lesquelles il faut faire attention. Il s’agit du respect de la vie humaine, de la désinformation, de la remise en cause de la sécurité nationale et des critiques sur les actions politiques sur tel ou tel acteur public.

Quand vous êtes sur la scène publique, tout ce que vous faites, y compris une partie de votre vie privée, a droit d’être critiqué. C’est donc  normal. Cela fait partie du jeu normal  de la gouvernance et de la démocratie. On ne peut pas empêcher cela.

B24 : Avez-vous un message à l’endroit  des agents de l’Etat vers qui les citoyens ou les journalistes vont se tourner pour avoir l’information ?

R D : Il y a un besoin de redevabilité et que chaque acteur dans la mesure de la loi 081 doit pouvoir dans le respect de la hiérarchie, dans le respect de la procédure, donner l’information qu’on lui demande. Il y a certaines informations demandées qui sont refusées alors qu’elles sont déjà publiées sur le site du ministère.

Je pense qu’il y a donc des aspects qui relèvent  d’une gestion dépassée de l’information. Vous en avez connaissance. Les acteurs ont envie de communiquer, de montrer patte blanche, de donner les éléments d’information pour que leur action politique et administrative soit mieux comprise. Je n’ai donc pas de message particulier parce que je sais qu’au niveau de l’administration, les choses ont énormément bougé dans ce sens-là.

Propos recueillis par Irmine KINDA

Burkina24

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