Tribune : « L’école burkinabè : grabataire depuis 118 ans » (1/3)

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Ceci est une tribune de Zakaria Guingané sur l’état du système éducatif burkinabè. Subdivisée en trois parties, elle sera diffusée sur trois jours. Voici la première partie.

Depuis le début du premier semestre de l’année scolaire 2017-2018 au Burkina Faso, l’actualité au niveau national est largement marquée par le mouvement de la Coordination Nationale des Syndicats de l’Education et de la Recherche (CNSE). Une lutte rendue possible pour, dit-elle, obliger les autorités aux commandes du pays à se pencher sur ses préoccupations résumées en quatre points qui sont : i) l’adoption d’un statut valorisant des personnels de l’éducation et de la recherche ; ii) l’amélioration de l’accès à l’éducation ; iii) l’amélioration des conditions de travail pour une efficacité du système éducation et iv) la revalorisation de la fonction enseignante. Après une analyse sérieuse de ces points de revendication, nous sommes arrivés à la conclusion que la CNSE a engagé là une des batailles de la guerre de libération de l’école burkinabè que mène notre peuple depuis des lustres. Sur quelles bases objectives fondons-nous un tel postulat ? Le présent écrit tentera de les décliner dans les lignes qui suivent. Mais avant, parlons de l’origine et la philosophie de l’Ecole pour l’espèce humaine.

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L’éducation, nous apprend Emile DURKHEIM, « est l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et mentaux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu social auquel il est particulièrement destiné ».

Sous sa forme classique actuelle, l’institution scolaire daterait de deux millénaires. Selon les évolutionnistes, l’Homo sapiens est apparu il y a 200 000 ans[1]. Mais d’où vient l’Ecole ? Toutes nos recherches nous ont conduits d’abord en Afrique (en Egypte notamment), en Grèce, en Chine et Inde antique. Nous retenons un des résultats auxquels nous avons abouti et dont nous pensons être le plus plausible. Celui-ci émane de Martine PIGUET du Laboratoire d’archéologie préhistorique et anthropologie à l’Institut FOREL, Université de Genève en SUISSE.

Répondant à une question « qui a inventé l’école ? », l’archéologue-anthropologue dit en substance que l’école a existé au moins depuis l’apparition de l’écriture vers le 4e millénaire avant Jésus Christ. A l’époque des pharaons, et plus tard dans la Grèce antique et chez les Romains, on apprenait aux enfants l’écriture et la lecture mais aussi le sport ou les arts. Pour elle, Charlemagne couronné Empereur romain d’Occident en l’an 800 après Jésus Christ et à qui l’on attribue faussement la paternité de l’école n’a fait que la rendre populaire car à ses premières heures, l’Ecole était réservée aux enfants des nantis.

En France, c’est Jules Ferry qui rend l’école obligatoire, laïque et gratuite en 1881. Selon le site Wikipédia citant les propos des historiens, la toute première école en tant qu’institution scolaire a été bâtie en Chine avant Jésus Christ. La première école publique dans le monde a été créée par un certain Wen Weng à l’époque de la dynastie des Han entre 143 et 141 av. J.-C.

L’école a été ouverte à Chengdu, en Chine, sous le nom de Chengdu Shishi, qui signifie maison de pierre. Les propos de Martine PIGUET quant au fait que l’Afrique et l’Asie aient joué un grand rôle dans le processus de scolarisation sont corroborés par Ayi Kwei ARMAH écrivain panafricaniste ghanaéen : « Apart from what I learned in the reading room and the library, I was never taught, as part of my formal educative at Achimota, that Chinese and Japanese authors were writing novels centuries before the first European novelists emerged. In no classroom there could I have learned that Africans and Asians produced the world’s oldest epics »[2].

Ce qui peut se traduire par : « A part ce que j’ai lu dans la salle de lecture et dans la bibliothèque, je n’ai jamais eu un enseignement, en tant qu’élève à Achimota, me faisant savoir que les Chinois et les Japonais écrivaient des romans bien avant que les premiers romanciers européen n’émergèrent. Dans aucune salle de classe là-bas ai-je pu apprendre que les africains et les asiatiques ont produit les plus vieilles des épopées du monde ».

L’histoire de l’épopée mandingue avec Soundiata KEITA, la très prestigieuse université islamique de Tombouctou avec ses 25 000 étudiants de nationalités diverses et construite au 14e siècle sous le régime de Sonni Ali Ber et où des matières religieuses et séculaires y étaient enseignées en sont des exemples tangibles. Au Burkina Faso, les premières écoles (au nombre de deux) virent le jour il y a 118 ans. En effet, elles ont été créées entre 1900 et 1902 par l’Eglise catholique et ce, 19 ans avant la création par décret français de la colonie Haute-Volta. Après la séparation de l’Eglise de l’Etat en France suite à la vague d’anticléricalisme, l’administration coloniale en Haute-Volta ouvrit deux autres écoles en 1906. En 1927, la colonie comptait cinq écoles régionales (Ouagadougou, Bobo Dioulasso, Dédougou, Dori, Koudougou et quelques écoles de village (Claude Sissao, 1985, p. 64).

L’éducation dans son sens large englobant l’acquisition et le développement des facultés intellectuelles, morales, physiques, psychiques et sportives a toujours existé selon les spécialistes du domaine à toutes les époques, dans toutes les sociétés et ce, sous diverses formes.

Par exemple, avant que l’occident ne foulât le sol africain, c’est par le truchement des procédés d’immersion, d’initiation, des rites sociales, des conclaves familiaux, des regroupements sociaux, des assemblées communautaires, des séances de contes, des visites guidées des enfants par leurs géniteurs, les légendes, et des œuvres épiques souvent déclinées dans l’oralité que les valeurs sociales, sociétales ainsi que les interdits, se donnaient et s’acquéraient. Dans l’œuvre du kenyan N’Gugui Wa THIONGO intutilée The River Between (1965), le viel homme Chege, dans l’intention de faire apprendre à son en enfant Waiyaki (personnage principal) la médecine traditionnelle Gikuyu, amenait ce dernier dans la forêt où les noms des plantes médicinales et leur posologie lui étaient « enseigné ».

Il nous souviendra aussi que la quinine, premier produit antipyrétique et antipaludique obtenu à partir de l’écorce du Quinquina (ou Cinchona) a été découvert au début du 17e siècle (il est reconnu officiellement en 1639) par des villageois indiens des plateaux andins de cette terre qui deviendra plus tard les Etats-Unis d’Amérique. Comme on le voit, en 1639, la médecine moderne n’avait pas encore évolué.

Qu’il soit par voie naturelle, informelle ou formelle le processus d’éducation (dans son sens large) est une réalité intrinsèquement reconnue à l’Etre humain comme nous le dit Jacob FAYARD. Dans un de ses Essais, ce dernier nous laisse entendre que « comme tout organisme vivant, l’être humain est génétiquement programmé, mais il est programmé pour apprendre ».

Cette obligation lui est imposée par (Dieu ou Dame Nature c’est selon) parce que, quoique doté de Raison, il reste l’être le plus fragile de la terre. Aussi, pour pouvoir jouir du contrat de vie terrestre, l’Homme doit impérativement chercher à connaître ce monde. Mieux, il est condamné à le dompter pour mieux se protéger et protéger ses intérêts vitaux contre l’adversité de la nature. C’est faisant siennes toutes ces réalités que, par exemple, pour nous protéger contre la piqûre mortelle du « tout petit moustique » (soit dit en passant, le paludisme est la première cause de consultation dans les centres de santé au Burkina Faso), il eut fallu à l’Homme d’apprendre et de développer des techniques de protection et de soin en faisant usage des insecticides, des désinfectants, de moustiquaires et des médicaments traditionnels et modernes.

De tout ce qui précède, il ressort clairement que l’éducation, en plus du fait qu’elle est obligatoire pour l’Homme, est une voie impérieuse pour sa survie sur terre. L’homme politique et intellectuel burkinabè Joseph Ki-Zerbo ne nous contredira pas lui qui, dans une de ses nombreuses publications nous laisse percevoir que nous sommes voués à périr si nous n’éduquons ou que nous ne nous éduquons pas.  Et l’icône de la révolution sud-africaine, Nelson Mandela de renchérir que l’éducation est fondamentalement la «clé du développement » d’une société qui lui reconnait ce mérite et qui y investit conséquemment.

Ce n’est pas faux. Les sociétés qui ont compris cela ne lésinent point sur la question. Aussi, la tient-elle (cette éducation) comme à la prunelle de leurs yeux. Voici comment le tout premier gouverneur de L’Afrique Occidentale Française (AOF)[3] dans une de ses Lettres Circulaires aux Commandants de Cercles (équivalant des préfets ou gouverneurs de région d’aujourd’hui), rappelait les objectifs très égoïstement spécifiques de l’Ecole coloniale pour la France : « L’école est, en effet, le moyen d’action le plus sûr qu’une mission civilisatrice ait d’acquérir à ses idées les populations encore primitives et de les élever graduellement jusqu’à elle. L’école est en un mot, l’élément de progrès par excellence. C’est aussi l’élément de propagande de la cause et de la langue française le plus certain dont le gouvernement puisse disposer. Ce ne sont pas, en effet, les vieillards imbus des préjugés anciens, ce ne sont même pas les hommes faits, pliés déjà à d’autres coutumes, que nous pouvons espérer convertir à nos principes de morale, à nos règles de droit, à nos usages nationaux. Pour accomplir avec succès cette œuvre de transformation, c’est aux jeunes qu’il faut s’adresser, c’est l’esprit de la jeunesse qu’il faut pénétrer et c’est par l’école, l’école seule que nous y arriverons »[4].

Cette Lettre du gouverneur Chaudié qui donne des frissons lorsqu’on la lit montre si besoin il y a que le système éducatif de toute société doit non seulement être à l’image de celle-ci mais aussi et surtout doit œuvrer à la réalisation des aspirations de cette société pour laquelle il est institué. Pouvons-nous alors dire que depuis la construction des premières écoles en Haute-Volta par l’Eglise catholique en 1900 et 1902 le système éducatif burkinabè reflète nos réalités et concourt au bonheur des burkinabè ? Avant toute tentative de réponse, il sied de s’entendre sur un certain nombre de critère d’appréciation de ce que nous comprenons par « bonheur ou aspirations du peuple » qu’offrirait l’école.

Zakaria GUENGANE

Elève Conseiller pédagogique de l’enseignement secondaire, option : anglais à l’Ecole normale supérieure de l’Université Norbert ZONGO ;

Ecrivain et militant de la CGT-B/F-SYNTER et de l’ODJ.


[1] Dominique Grimaud-Hervé, professeur au Département de Préhistoire du Muséum national d’Histoire naturelle : « Les plus vieux fossiles du genre Homo remontent à 2,8 millions d’années avec Homo habilis. Les premiers Homo sapiens seraient apparus il y a environ 200 000 ans ».

[2] Extrait de « The Eloquence of the Scribes ; a memoir on the sources and resources of africain literature », PER ANKH, Popenguine, Senegal, p. 70.

[3] En l’occurrence M. Jean- Baptiste Emile Louis Barthlémy Chaudié (28 février 1853 – 5 janvier 1933)

[4] Extrait du préambule du document cadre du Plan de Développement du Secteur de l’Education de Base intégré dans la Loi 013 portant Loi d’orientation de l’Education adoptée par l’Assemblée Nationale du BF le 30 juillet 2007.

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